Les dérives du petit à cran 

D’après Dino Buzatti

Un ami millionnaire m’a offert une nouvelle télé achetée au Japon. Elle présente une particularité. Elle s’allume toutes les fois où quelqu’un parle de vous, où qu’il soit. Le reste du temps elle reste éteinte.

Je l’ai testé. Une image est apparue, montrant ma chère et tendre Florence en plein ébats torrides avec son chef de service, un arriviste falot qu’elle m’avait présenté une fois.

-Que va dire mon mari ? s’inquiétait-elle entre deux coups de rein.

-Il n’en saura rien. Pense à ton avancement.

Mon ami a compati devant ce spectacle lubrique, semblant prendre conscience qu’allumer ce cube d’apparence insignifiante c’était comme ouvrir une boite de pandore.

Dans la foulée je me suis séparé de ma conjointe mais pas de mon téléviseur en dépit des recommandations du millionnaire. On ne reprend pas un cadeau, lui ai-je dit.

J’aurais dû l’écouter.

La petite lucarne, ici réduite à un trou de serrure, m’a appris au fil des visionnages que mes relations appréciaient surtout ma femme. On se tapait une bonne bière en terrasse et moi, je dégustais. En substance, je l’avais mérité ; trop pantouflard, pas assez ambitieux. Je tirais Florence vers le bas, ce à quoi je m’inscrivais en faux, tout du moins sur le plan intime. Combien de fois m’avait-elle répété que je la faisais grimper au rideau ? J’ose espérer que ce n’étaient pas des paroles en l’air.

Un soir, j’ai voulu mettre les choses au clair avec les principaux concernés. Comme je le craignais, ça s’est mal fini, le plus costaud de mon cercle m’ayant mis la tête au carré. Avec le recul je n’aurais pas dû traiter sa femme de gourgandine.

Résultat des courses, à rester devant cette putain de télé, je me suis mis à dos tout le monde.

Peu à peu, on a cessé de parler de moi, ne serait-ce même qu’en mal. L’écran est devenu aussi noir que mes idées. Dans la continuité logique, mon patron m’a remercié sans pot de départ. Le pot, je l’ai pris tout seul chez moi. Jack Daniels me fut d’un bon conseil. Il me dissuadai du suicide, car pour ça il fallait du cran. Moi j’avais l’écran. Petit, celui ci gagnait à s’élargir, en même temps que mon compte en banque.

J’appelai mon ami millionnaire, le dernier à n’avoir pas coupé les ponts avec moi, pour lui exposer mon projet.

-Bill, combien reste-t-il d’exemplaires de cette nouvelle télé ?

-Très peu. Elle avait vocation à être commercialisée mais le gouvernement japonnais a mis son véto au motif qu’elle représentait une menace pour la sécurité nationale. Sans parler du cercle privé. Tu en sais quelque chose, non ?

-Oui, justement. Pourquoi je devrais être le seul à trinquer dans ce bal des faux derches ? Ta télé va ouvrir les yeux au plus grand nombre. Ecoute, voilà comment je vois les choses. Tu m’avances le fric pour ouvrir une franchise. Je m’occupe de la pub. Nos télés s’arrachent comme des petits pains cathodiques. Alors je peux te rembourser et ouvrir d’autres magasins. Qu’est ce que t’en dis ?

– J’en dis que tu es aigri et que tu veux semer le chaos. Compte pas sur moi !

– Bill, tu as parlé de moi pendant une soirée arrosée. Tu évoquais cette télé que tu m’as offerte, venue du pays de Soleil Levant. Tu as dit que les Japs étaient vraiment vicieux pour concevoir un tel prototype. J’ai conservé l’enregistrement. Ca ferait tâche auprès de tes partenaires nippons s’ils en prenaient connaissance.

-Salaud ! Tu bluffes !

– A toi de voir. Florence me reprochait mon manque d’ambition. Je compte bien lui démontrer le contraire. Alors, tu me suis ?

Et bien, croyez le ou pas, Bille m’a suivi. Il a passé une première commande auprès du fabricant pour un prix de gros.

Rapidement, l’engouement a été tel qu’il a fallu multiplier les lignes de production. J’avais vu juste, la télé nombril s’arrachait. Les vêtements aussi, même les yeux au comble de l’hystérie ! Ainsi est la nature humaine. Vos oreilles sifflent quand on parle de vous. Nous avons ajouté l’image en plus du son et les gens voulaient regarder, tout regarder, c’était plus fort qu’eux.

Depuis mon magasin j’ai vu des couples s’écharper dans la rue, des quidams en poursuivre d’autres avec des battes de base ball pour en avoir trop entendu en prime-time sur Ragots TV. Tout un programme !

Ca a commencé à mal tourner pour moi le jour où une horde de téléspectateurs en furie a investi la boutique pour la mettre à sac. J’ai pu m’enfuir par la réserve.

Le fabricant japonais, quant à lui, est sortie de la sienne de réserve. Accusé de propager la discorde et la défiance, il s’en est lavé les mains. Et qui a pris un savon, je vous laisse deviner ?

Sur ordre des autorités, mes dix magasins ont été saisis, le matériel confisqué. Il se dit que des postes se vendent toujours sous le manteau.

Celui qui fut mon ami, impliqué dans ce désordre cathodique, doit me vouer aux gémonies depuis la maison d’arrêt où il attend son jugement. Un simple pressentiment. La télé dans ma cellule, branchée sur l’info en continu, ne le dit pas. Elle reste allumée.

Même quand on ne parle pas de moi.

Deux gars, une bière

sujet d’un atelier d’écriture: « deux frères se donnent rendez-vous la nuit dans un cimetière. »

L’homme en bras de chemise blanc s’agenouilla au pied du petit tumulus blanc en terre, un bouquet jaune à la main.

– Parfois elle me manque, soupira-t-il en déposant délicatement les fleurs, des narcisses, dont le pleine lune sublimait l’effet flavescent. Et d’ajouter : à vrai dire, de plus en plus ces derniers temps. Pas toi ?

Il leva la tête vers son frère cadet, resté un peu en retrait. Mais autant s’adresser à un mur, ou plutôt une stèle funéraire. Le cimetière du village comptait quelques rangées de marbre blanc rebadigeonnées de lumière lunaire. Et à l’écart, sur un coin de gazon, ce tumulus orné d’un écriteau en bois patiné par le temps.

– Oh, tu m’écoutes ?

Le petit dernier, jeune trentenaire, scrutait les tombes spectrales, le nez au vent. La brise de novembre, tiède, porta jusqu’à ses oreilles la voix fraternelle.

– Hein ? Quoi ?

– Elle ne te manque pas ?

– Si si… On se marrait bien.

Que rajouter ? Certes, la messe avait été dite depuis longtemps. Pour autant, jusque là, chacun jouait le jeu. A tour de rôle on entretenait la sépulture, toujours envahie de mauvaise herbe, et surtout les souvenirs copieusement arrosés de fous rires.

Sauf cette année où. l’aîné trouvait son frère détaché, lointain, un peu comme ces âmes entre deux mondes. Il se retourna vers lui, en sourcillant.

– On dirait que ça te laisse froid.

Son frangin haussa les épaules avec un soupir.

– Et puis ? J’vais pas pleurer, c’est ta vie de garçon que t’as enterré, pas la mienne.

Le plus blond des deux, dont le caleçon dépassait un peu du jean et quelque part aussi la bienséance dans un cimetière, avait déjà signé moult fresques urbaines, mais jamais aucun contrat de mariage. Et encore usait-il d’un pseudo pour ses œuvres.

Son grand frère, aux cheveux châtains, conservait sur la tête sur ses épaules qu’il avait plus carrées. Et pour cause. Ce chef de famille naviguait dans la grande mare des responsabilités, et rarement en père peinard. Ce soir, il honorait la mémoire de son ancienne vie.

– Dix ans déjà, murmura le pèlerin en se retournant vers la fausse plaque funéraire gravée de ces quelques mots : à mon regretté célibat. Alexandre.

Les souvenirs couvaient toujours sous la cendre. Si d’habitude ils étaient deux à souffler sur les braises nostalgiques, cette année un seul tenait le tison.

– Tu te rappelles du bain de minuit dans la piscine municipale avec les filles ?

– Quand les flics nous ont cueillis, autant dire qu’on était mouillés jusqu’au cou, résuma Damien, dit Dam Dam pour les intimes.

– Ah ! Et la fois avec Manu et Nono où on a fait une course de lits à roulettes. Le Nono qui s’emplâtre contre la bagnole du maire !

– Ouais, on était cons, quoi….

Depuis, les sales gosses avaient embrassé une trajectoire différente, sans sortie de route. L’âme créatrice du duo dessinait désormais sur les murs, passé des frasques aux fresques urbaines. La mauvaise conduite peut laisser des traces, mais le talent aussi quand on s’accroche un tant soi peu à ses rêves. Certains critiques voyaient même du génie dans ses œuvres de street art.

L’expertise d’Alexandre en la matière, forgée par par les centaines d’heures d’art plastique avec ses progénitures et celles des autres, faisait autorité, tout du moins dans son lycée. Souvent il reprochait à ces artistes en herbe de déborder du cadre, surtout au moment du coloriage. Pourtant, en son âme intérieure il bouillait d’en sortir de ce cadre ! De l’éclater, même.

– Oh ! Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda Damien en le voyant se mettre à déblayer le tumulus avec l’ardeur d’un chien d’avalanche.

– Je déterre ma vie de garçon.

Déconcerté, le cadet trébucha sur ses mots pour qualifier son projet d’exhumation symbolique. Avant qu’il n’eût pu rassembler ses esprits et les syllabes dans le bon ordre, le feu célibataire avait déjà presque touché le fond, au sens terreux du terme.

– Tu déconnes, là ?

– J’ai l’air ? rétorqua le profanateur d’un ton aussi sec qu’un couvercle mortuaire qu’on referme sur les doigts. Les siens étaient déjà noircis.

Damien s’employa à lui faire prendre un peu de recul sur son trou fraîchement creusé, trop petit pour tomber dedans. Du moins en apparence.

– Ok. Et après ? A la rigueur, Séverine peut te passer cette bière. Je te dis ça des fois qu’tu voudrais t’en envoyer d’autres jusqu’au bout de la nuit. Comme au bon vieux temps.

Car Alex venait d’exhumer un cercueil en bois folklorique de la dimension d’une boîte à chaussures.

Tous les ans les frangins se donnaient rendez-vous devant cette fausse tombe en l’honneur d’un passé sacrifié sur l’autel du mariage puis enseveli au terme d’un cérémonial potache mais non moins rigoureux. Damien se représentait encore Nono dans ses atours de grand prêtre, déclamant une oraison funèbre farfelue. Au début il y voyait une occasion pertinente de rassembler les fidèles d’entre les fidèles. La plupart mariés à leur tour ne jouaient plus le jeu. Lui même, désormais, traînait des pieds. Le moment n’était-il pas venu d’arracher la croix, aussi symbolique fut-elle ? Cesser de célébrer le paradis perdu et chérir le carré d’éden qui vous tend les bras ?

– Ça te poserait pas de problème, à toi, la tournée des grands ducs, rétorqua Alexandre sur un ton de reproche.

– L’avantage du célibat… Qu’est-ce qu’il y a ? Le deuil est trop dur à porter ?

Pas de réponse.

Sous la pleine lune qui contrariait les plans de l’obscurité, Damien crut soudain y voir clair.

– Oh, toi, t’as passé depuis longtemps tes noces de coton, mais t’en files un mauvais… Je lis bien entre les lignes ?

Le sujet en question, jusqu’alors d’une nostalgie prolixe, gardait le silence, absorbé dans la contemplation du vestige. S’il avait cessé de creuser, son frère s’employa à mettre autre chose à jour, peut-être enfoui plus en profondeur.

– Parle, quoi. Qu’est-ce qui se passe ?

Un soupir.

– Sandrine fait semblant de ne pas me comprendre. Je suis prof d’arts plastiques, elle veut peut-être que je lui fasse un dessin ?

Sur le coup le confesseur se demanda s’il lui livrait le vrai fond de sa pensée. Celui du cercueil était en bois authentique, de même que son contenu incongru. Une revue porno toute parcheminée et jaunie, dont l’état laissait craindre le pire pour le modèle en couverture peut-être encore moins bien conservé depuis le temps. Damien se foutait de savoir si la bimbo avait percé. Une chose était sûre, le couteau rangé à ses côtés pouvait trouer ses nichons en silicone.

– Oh ! Qu’est-ce que ça fout là ?

Les brothers gardaient en souvenirs de joyeuses funérailles, sans larmes ni lames. Leur mémoire était encore plus affûtée que cette tranchante trouvaille. Mais quand à mettre leur main à couper ?

– Aucune idée, reconnut Alex. Quelqu’un est revenu le déposer.

A l’abri des regards, sinon avec la complicité de la lune dont l’éclat faisait scintiller l’intriguant objet.

– Qui à ton avis ?

L’enseignant soupesa le couteau, mais pas sa réponse lapidaire et sans ambages.

– La providence ?

– Quelle providence ?

– Aucune importance. Si avec ça, Sandrine ne comprend pas le message…

Le dernier né analysa ses paroles avec cette même tête froide que les occupants du cimetière conservaient en toute circonstance. Il ne croyait pas son frère capable de porter un coup de canif dans le contrat de mariage, encore moins dans sa chère et tendre. Néanmoins ses artères encaissèrent un jet d’adrénaline en voyant l’énergumène s’en aller dans l’allée principale, armé de son opinel.

Il le rattrapa.

– Hé ! Où tu vas avec ça ?

– Je te l’ai dit, je vais mettre les points sur les I. C’est ce soit ou jamais.

Il est des épilogues qui s’écrivent au sang dans le marbre funéraire. Damien adressa un geste de semonce à l’artiste pour lui faire lâcher son surin.

– Bon, maintenant t’arrêtes tes conneries ! Tu crois que je vais te laisser faire ?

Alexandre le regarda. Un sourire s’incurva à la commissure des lèvres, pas en phase avec la pleine lune mais tout aussi étrange.

– Relax. Suis moi.

Sa bonne conscience lui emboîta le pas, soulagée bien qu’encore un peu sur ses gardes. Un assassinat conjugal aurait fait désordre dans l’arbre généalogique de la famille.

D’un arbre à l’autre. Un cyprès dont les branches se balançaient mollement. Ici le vent était bien le seul à n’avoir pas encore rendu son dernier souffle. Si on excluait nos deux visiteurs.

Damien s’attendit à voir son frère jeter son précieux plaqué or au pied du cyprès. Au lieu de quoi il passa un message, et en l’espèce il avait l’arbre et la manière. L’honorable enraciné ne devait pas en être à son premier anneau, contrairement au graveur. Lettre après lettre, à la lueur lunaire, on put lire creusé dans l’écorce tendre : liberté. Et en dessous un cœur.

Liberté. Ce mot à double tranchant avec lequel il est facile de se couper… des autres, et surtout des siens.

Pour le déchiffreur, pas trente-six interprétations possibles.

– Alors tu veux te faire la belle ?

– J’en ai marre de cette vie réglée au millimètre, tu comprends ? Toi au moins, tu vois du pays. Je voudrais repartir à zéro…. Comme à nos vingt ans !

Un silence

– Et Sandrine ? Les enfants ? Est-ce que tu les inclus dans ton projet d’évasion ?

– Oui, bien sûr !

– Alors qu’est-ce que t’attends pour rajouter leurs initiales sur l’arbre et aller enfin leur parler ? 

Une injonction assortie d’une vigoureuse bourrade sur l’épaule fraternelle. – Putain, tu m’as foutu la trouille avec ton cure-dents ! C’est toi-même qui l’avait déposé là, n’est-ce pas ?

Le feu célibataire avoua sa mise en scène qui devait le conduire au pied du cyprès, voire du mur en allant au bout de sa démarche.

– J’ai essayé. Mais si tu crois que c’est évident !

– Trouve le bon moment.

Comme venait celui de déguerpir. Un faisceau lumineux sautillait entre deux rangées d’âmes éteintes, impitoyable, disposé à ne rien laisser passer en dehors des trépassés. Des pas raisonnaient dans le boulevard des allongés. Et soudain, une voix rude.

– Oh ! Qui est là ? Montrez-vous !

C’était le gardien.

Les ombres s’éclipsèrent, plus rapides que la lumière. Un mur à escalader, une formalité quand on se rappelle ses vingt ans. Bien que l’enceinte leur avait semblé moins haute la première fois. Sans doute une question d’échelle ?

Les frères s’enfuirent donc.

L’un d’eux essaya bien de se retourner sur sa vie de garçon, mais déjà celle ci avait été englouti dans la nuit. Peu importe autre chose s’ouvrait à lui. Quelque part devant. C’était là sa nouvelle direction.

Sondage

Enquête menée pour un office de sondage. Ces questions ont été puisées ici et là dans Sylvie et Bruno de Lewis Caroll

 

Réponses recueillies par Félicie Ossi et Arthur Henrtard

 

Sondage n°1 : D’après vous quel avantage y-a-t-il à être un homme plutôt qu’un chien ?

 

Le romantique : L’avantage d’être un homme c’est que je peux promener mon chien. L’inverse, c’est pas possible… Sauf pour les aveugles, peut-être. L’inconvénient par contre, c’est que l’homme paie le collier. Remarquez, j’me suis pas ruiné avec celui que j’ai acheté à Martine au Manège à bijoux du Leclerc… 7, 50 euros.

Le revendicatif : Déjà, nous on a la parole. Alors que le clébard qu’est-ce qu’y dit à part Ouaf Ouaf ? Important la parole, je trouve qu’on nous la donne pas assez. D’ailleurs je profite de votre micro pour dire que ce gouvernement nous traite comme des chiens ! Macron, on lâchera rien!

La misanthrope : Pas le moindre avantage. Je conchie mes semblables. Quand je pense que le chien est le meilleur ami de l’homme… Si vous voulez mon avis, ce pauvre devrait revoir ses fréquentations. Mais pourquoi je vous parle, d’ailleurs ? Vous me dégoûtez.

La féministe : à être une femme plutôt qu’un chien ? Votre question est sexiste, vous le savez ? Vous êtes bien tous pareils, vous les hommes ! Comme les chiens vous remuez la queue en nous voyant. Et comme eux, après une cuite à la bière,  vous recherchez les réverbères.

Le parvenu : J’y vois avant tout un avantage immobilier. Si j’étais un chien je logerais dans une niche d’à peine un mètre carré. Alors que, voyez-vous, aujourd’hui je suis chef d’entreprise, j’habite un loft de 150 mètres carrés avec balcon boulevard Haussmann à Paris. Comment je me serais payé ça si je ne savais faire qu’aboyer ?

L’égarée : Si j’étais un chien, j’aurais déjà retrouvé ma maison avec mon flair… Je me perds de plus en plus. Je vais chercher mon pain, et puis tout à coup je ne sais plus où je suis. Vous ne pouvez pas me reconduire chez moi ? Et n’en dites rien à mes enfants !

 

Sondage n°2 : Qu’est-ce qui rend le ciel d’un si joli bleu ?

 

Les amoureux : Et pourquoi les oiseaux chantent? Pourquoi le soleil brille ?  Mais parce qu’on s’aime avec Kevin !

 Le finistérien : Si je le savais, moi ! Faudrait encore que j’en voie un de ciel bleu, je vis en Bretagne.

L’enfant : C’est au moment de la création du monde, Dieu il a renversé son pot de peinture bleue, du coup ça a fait tout bleu. C’est comme Eliott en cours de dessin, parce qu’il est maladroit ! Du coup il s’est fait gronder par la maîtresse parce qu’il a tâché ses vêtements.

Le dragueur poète : Je ne sais pas. Mais permettez-vous de vous dire, charmante mademoiselle, que le bleu du ciel fait pâle figure à côté de celui de vos yeux dans lequel on se noierait. Et pour paraphraser ce cher Francis Cabrel, tout ce que j’ai pu te dire je l’ai puisé à  l’encre de tes yeux… Eh, mademoiselle ! Mais revenez !

Le paysan : Qu’est-ce que j’en sais ? Moi ma question c’est quand est-ce qu’on aura de l’eau ? Deux mois qu’il a pas plu, vous vous rendez compte ? De la pluie, pour l’amour du ciel !

Monsieur réponse-à-tout : Je sais, je l’ai lu dans Sciences et Vie. C’est le résultat de la diffusion de la lumière solaire par l’atmosphère. Sans atmosphère, le ciel serait tout noir. Eh oui, Fred, c’est pas sorcier ! Une autre question ?

Le pessimiste : L’heure n’est plus à ce genre de question enfantine. On est face à la problématique du réchauffement, je vous rappelle. Le bleu du ciel… Parlons plutôt des bleus de la planète… Enfin, je devrais dire des plaies béantes. On la pille, on la brûle ! Quoi, revenons à nos moutons ? Ah ben parlons-en de l’élevage, comment peut-on encore manger de la viande ? Eh, revenez, j’ai pas fini !

 

Sondage n°3 : Quel est le meilleur moment pour voir les fées ?

 

L’alcoolique : Le meilleur moment pour voir les faits ? ‘Parlez  des faits divers ? Le matin, en lisant mon journal au café. Ah, les fées dans les contes ? J’sais pas, je dirais aux alentours de 11h du matin, en sortant du café. Et puis avec les fées, les éléphants roses qui les prennent en stop.

La minette : Quand je sors en jupe et que je monte dans les transports. Je vois très vite l’effet… Que ça fait sur la gente masculine. Je vous passe les regards… Et les commentaires. Ah, vous parliez des fées du folklore ? Moi je ne crois qu’aux licornes.

La fée carabine : La nuit, dès que j’allume la lumière : Elles rentrent par les fenêtres. Elles se mêlent aux moustiques, toutes ces saletés volantes. Je fais pas dans le détail, direct la bombe. Et puis je vais vous dire une chose, la France devrait en faire autant avec tous ces envahisseurs… Hein, voyez de qui je parle ?… Non ?… Mais si, migrants et compagnie… ‘Savez ce que je ferais avec une baguette magique ?… Je me créerais un cœur ?

L’avocat : Y a-t-il vraiment un moment ? A la rigueur, devant le juge.  Je dis à mon client de reconnaître les faits pour espérer sa clémence. On ne parle pas des mêmes faits ? Dans ce cas, il y a un malentendu, relâchez immédiatement mon client !

Le poissard : Le meilleur moment ? A la naissance, non ? Elles sont censées se pencher sur ton berceau. Enfin, moi ça me fait marrer, je vais vous dire pourquoi. A 3 ans, j’ai failli me pendre en jouant avec une cordelette de rideau. Pendant ma vie, j’ai été frappé 2 fois par la foudre. Je vous assure que c’est la vérité. Je vous passe la liste de tout ce qui m’est arrivé, ça ferait un roman. J’aurais pu devenir un peintre renommé[1], mais non… Je suis travailleur handicapé depuis que je fais de l’épilepsie. Alors vos fées…Peut-être qu’elles daigneront se pencher sur mon cercueil.

[1] Comme Eugène Delacroix, peintre réputé malchanceux. Voir l’extrait à son sujet dans la Chèvre

 

NB: Ce sondage est bien sûr complètement bidon. Bien qu’il serait assez rigolo de sonder vraiment les gens dans la rue. Pour ceux qui ont le goût de l’aventure.

In dreams (dernières créations)

Photo 1: un pique nique sur l’herbe avec des enfants vêtus en adultes, ambiance fin 19e avec ombrelle et canotiers.

 

 Texte proposé

Les enfants, c’est parfait, vous gardez la pose sans plus bouger.

Combien de temps ? Oh, je ne sais pas, disons une bonne journée.

C’est trop long ? Mais vous êtes marrants, un déjeuner sur l’herbe ça ne se peint pas en cinq minutes ! Je dois reproduire le moindre détail du cadre pour un rendu authentique.

Quoi ? Si je cherchais le réalisme, j’aurais mis en scène des adultes ? Exact. Seulement voilà aucun n’a voulu. Donc on se passera d’eux. Vous vouliez jouer aux grands, profitez-en !

Valentine, je te rappelle qu’on pique-nique en l’honneur de tes épousailles avec Henri, alors souris s’il te plait. Déjà qu’on se demande s’il n’y pas une ombrelle au tableau quand on voie la couleur de ta robe…  Tu as perdu ton chat la semaine dernière ? Au temps pour moi, condoléances, mais pour l’amour de l’art, mets ton deuil de côté en pensant qu’aujourd’hui tu aimes Henri ! Comment ça, un mariage arrangé ? Peu importe,  tu le rangeras où tu veux une fois que j’aurai reposé mon pinceau.

Allez, c’est parti…

Emile ! Je vais t’apprendre à siffler Valentine ! C’est parce que celui qui trinque sifflera trois fois ? Mais où t’as vu ça ? Bon, tu me rassures, je croyais que tu convoitais la mariée.

Pourquoi tu pleures Léon ? C’est toi qu’est amoureux d’elle ? Adèle, sois mignonne,  sers-lui un remontant. Prends des cerises, ça fait Yves Montant.

Olympe et Béatrice, je vous vois lorgner la volaille dans l’assiette. Vous ne voudriez pas être à sa place ? Si ça peut vous rassurer,  il a connu des positions autrement plus inconfortables, ce poulet mal assis.[1]

Colette, dis-donc, tu m’as l’air bien guillerette. Fais voir ton verre. Ah, je m’en doutais ! Qui est le petit malin qui a remplacé le jus de pomme par du cidre ?… Alceste, à te voir pouffer, tu n’y es pas étranger. Si j’étais ton père, je te ferais un sermon… Et ne me dis pas le sermon du jus de pomme !

Bon, on va pouvoir commencer parce que mon pinceau me démange. Et pas que ça d’ailleurs, mais je me retiens !

Les deux demoiselles d’honneur à gauche, un peu de concentration où je vous mets sur la touche. Et vous serez pas déçues  de la couleur !

Pardon ? Bonjour monsieur. Oui je suis Edouard, peintre, et là vous me dérangez. Vous vous appelez Nicéphore Niepce ? Et alors, ça me fait une belle jambe !

Je gagnerais du temps en utilisant votre appareil photo ? J’ai entendu parler de votre invention. Allez, du balai, je suis un artiste, moi, Môsssieur, et qui aime prendre son temps. Et je vais vous dire, votre bidule avec son voile de bonne sœur, ça n’a aucun avenir !

[1] Auguste Poulet Malassis, éditeur de Charles Baudelaire, qui commit le délit d’outrage à la morale publique en publiant les Fleurs du Mal.

 

Photo 2: deux personnes âgées sur un banc en train de déguster un gâteau. Derrière eux un grillage derrière lequel une cabane toute rouillée.

 

Texte proposé

Ils savouraient un cup cake, et par-dessus tout, leur liberté retrouvée.

Enfin seuls, rien qu’elle et lui.

En EHPAD on trompe le temps, plus rarement la surveillance des aides-soignants. Or, Maurice et Louise aimaient narguer les statistiques.

Leur évasion ferait sûrement les choux gras des journaux et qui sait,  donneraient des envies de maison de retraite buissonnière aux résidents encore dans la pleine force de leur vieillesse.

Il est l’heure, Mon Sénior ! L’heure de se réveiller !

Marre ! Marre de tous ses règlements ! Déjeuner à telle heure, dîner à telle heure… Qu’on les laisse décider de leur faim !

Maurice et Louise avaient bien pensé fomenter une révolte, mais dans un endroit pareil, essayez de manœuvrer autre chose qu’un déambulateur.

Triste jour que celui de la dépendance ! S’ils avaient su, les deux tourtereaux n’auraient jamais signé la charte.

Les enfants de Maurice ne lui avaient pas laissé le choix depuis un dégât des eaux.

Enoncé du problème. Une baignoire contient 140 litres. Les deux robinets ont un débit de 15 litres par minute. Sachant qu’un vieux monsieur tête-en-l’air se fait couler un bain et l’instant d’après part tranquillement au marché, dans combien de temps la baignoire sera-t-elle remplie, la salle de bain inondée ainsi qu’une partie du salon?

Alors oui, sa mémoire lui jouait des tours, il égarait régulièrement des choses, mais au moins il avait retrouvé ses vingt ans dans les bras de Louise.

Très vite à son arrivée, il avait engagé la conversation, un peu comme un taulard en mal de compagnie.

Lui : –  Qu’est-ce que t’as fait pour te retrouver là ?

Elle : – Une mauvaise chute.

Et puis de fil en aiguille à fricoter… Aujourd’hui amoureux sur un banc. Pour les bans de mariage c’était trop tôt, ou peut-être trop tard.

– Tu vois cette cabane avec son toit de tôle rouillée derrière nous ? désigna-t-il à  Louise. J’y ai donné mon premier rendez-vous galant… Elle n’est jamais venue. C’était avant Huguette. Et encore bien avant que je te rencontre.

Elle serra sa main fort dans la sienne, le regard inquiet.

– Tu crois qu’ils nous recherchent en ce moment ?

– C’est possible. Quelqu’un a déjà dû sonner l’alerte.

– Et s’ils nous reprennent ?

– Alors on s’évadera encore.

Ils avaient fini leur cup cake à l’arrivée des gendarmes.

 

Le mur des poupées

Texte écrit pour le projet In Dreams.  Plus de précisions sur cette initiative dans mon post précédent.

LE MUR DES POUPÉES

Charles Rey était de ces artisans qui voient les choses en petit. Petit comme les poupées de porcelaine qu’il fabriquait avec une méticulosité confinant à l’obsession. Confectionner ces modèles de pureté relevait pour lui  de l’enfance de l’art.  Le savoir-faire de George empruntait à une tradition ancestrale en voie d’extinction avec l’ère des chaînes de fabrication. Ses ingrédients ? Du tissu, du fil, une aiguille et surtout le plus important, il y mettait son âme. Mais motus et bouche cousue ! Du cousu main, vous l’aurez compris.

Les poupées occupaient le devant d’un théâtre où  presque tout était tombé, à l’exception du rideau. En effet Charles avait logé ses « chéries » dans les anfractuosités d’une façade en pierre, vestige précaire d’une habitation presque tout effondrée. Autrement dit la scène croulait, mais pas que sous les bravos.

Les riverains, dans les ornières de leur quotidien, passaient à côté de cette atypique et attendrissante vitrine sans plus y prêter attention. Mais la pouponnière faisait toujours l’enchantement des touristes égarés qui s’attardaient parfois de longues minutes, espérant secrètement voir s’animer tout ce beau petit monde.

On ne comptait pas deux modèles identiques. Une fillette à la blondeur bavaroise prenait la pose avec un bébé joufflu fier de siéger en haut du panier proprement parlant. Les amoureux du canasson pouvaient leur préférer ces deux frère et sœur à cheval sur un poney (de la dernière averse).

Chaque poupée, de par ses jolis atours désuets ou folkloriques, confinait au musée vivant. Gardiennes d’un temps suspendu, elles semblaient veiller en silence sur le dernier pan de pierres toujours debout.

Un matin Anne, la femme de Charles, dont les talents de dentellière servaient l’enfantine lubie de son mari, le trouva dans son atelier en train de fabriquer un vélo miniature.

– Surtout ne dis rien aux filles, c’est une surprise, lui enjoignit l’original, le nez dans sa copie graisseuse.

– Enfin Charles, tu ne vas pas leur apprendre la bicyclette.

– Et pourquoi pas ? N’est-ce pas ce que j’aurais fait si nous y avions été parents ?

– Mais la vie en a décidé autrement. Nos « filles » sont…

– Oui je sais, trop petites. C’est pour ça que je leur construis une allonge-gambettes sur mesure.

– C’est ça, trop petites, soupira Anne en posant sa main sur son épaule. Ou est-ce nous qui sommes trop grand ?

Le lendemain matin, en rouvrant les yeux, la costumière trouva une place vacante dans son grand lit. Il a peut-être été touché par la grâce, mais on peut exclure la grasse matinée, se dit-elle pensant que le magicien de sa vie s’était remis à l’œuvre aux aurores. Anne s’habilla et descendit à l’atelier. Personne. Sur l’établi, à la place du vélo en modèle réduit de la veille, une ravissante créature d’albâtre semblait attendre le coup de baguette magique qui l’éveillerait à la vie. C’est bizarre, je ne l’avais encore jamais remarquée, réalisa-t-elle, troublée par les grands yeux bleu vénitien de la poupée, tranchant avec une blondeur presque blanche.

Le cliquetis d’un vélo mal graissé polarisa son attention vers la fenêtre.

Sortie dans la fraîcheur du petit matin, Anne salua les précieuses locataires en cire de la maison d’en face. Le compte y était. Mais alors d’où venait cette figurine haute comme trois pommes en train de pédaler sur le bitume ? L’improbable cycliste portait un complet noir et ce chapeau melon de la même couleur cher  à Magritte.

La vieille femme crut véritablement défaillir en identifiant son mari. Nul doute possible, c’était bien lui rétréci au lavage. Si elle s’attendait à le  voir à ce point diminué !

– Cha… Charles ! balbutia la brodeuse qui dut s’appuyer à la porte, tant son émoi était profond. Au nom du ciel, que t’est-il arrivé ?

– Hier tu t’es demandé si on était trop grand, lui rappela l’artisan en posant pied à terre. Cette nuit une fée a réfléchi à la question, d’où le résultat ! Au réveil, j’ai tout d’abord paniqué. C’est alors qu’une poupée vivante m’est apparue. Elle s’est présenté comme ma muse et m’a dit que je devais voir mon art sous une autre perspective. Et crois-moi, tout change d’ici ! Enfin, je pourrai parler d’égal à égal avec mes « filles », et faire du vélo avec elles.

– Mais… Et que fais-tu de nous deux ? demanda Anne au bord des larmes.

– Rejoins-moi, mon amour. Tu trouveras la fée dans l’atelier.

La dentellière rentra d’un pas incertain, l’esprit tourneboulé. Sur l’établi, à côté de la mystérieuse poupée aux yeux bleus, il y avait une baguette en bois.  Guidée par quelque intuition, elle la plaça dans sa main droite… et attendit.

In dreams

Je partage deux textes écrits à partir de créations photographiques.  Ces photos s’inscrivent dans un projet collectif, In Dreams, qui a pour but de réinventer un territoire local, sous un jour décalé voire complètement surréaliste. L’idée est de mettre en mots ces visions d’artistes, en vue de la création d’un recueil. Je participe à l’aventure avec le concours d’un atelier d’écriture.

N’ayant pas les droits sur les tableaux, je pourrai juste vous les décrire.

Photo 1: un homme à tête de cerf assis sur un canapé.

Texte

Installez-vous, je vous en prie. Vous prendrez bien un scotch, cher ami ?  Franklin, allez chercher la bouteille. Non, pas la bière, on la garde pour tout à l’heure quand notre hôte sera sec. Mon cher, j’espère que vous n’êtes pas pressé. Car quand une tortue doit vous rapporter un vin, il a tout le temps de mûrir, et les invités de mourir… de soif, bien sûr.

Lucifer, cesse de faire le gros dos. Pardonnez mon chat, il ne supporte pas les étrangers. Dès qu’il en voit un, il le siffle. C’est comme moi, avec mon verre…

Je vous vois regarder l’ours sur le buffet. Il est beau, n’est-ce pas? C’est une reproduction… En captivité ? Non, en dorure.

La statuette d’enfant, à côté, intéresse les brocanteurs. Je réfléchis à m’en séparer. Il me faut un peu de liquidité, la dernière saison des biches m’a coûté un brame.

J’attire aussi votre attention à droite de l’âtre. Un suricate sur ses gardes. Mère m’a appris à être constamment aux aguets, avant même que je sois un daguet. Tout à l’heure à la chasse, mon cher, il vous faudra être aussi au taquet, car la balle a changé de camp.

Mais vous frissonnez ! Je vais remettre quelques bûches. Ici le bois ne manque pas, et en dernier recours, il me reste toujours cette jolie paire sur la tête. Ma cheminée tire un peu trop, quoique moins qu’un chasseur en y regardant.

Quoi vous voulez déjà reprendre le rut ? Pardon, la route ? Ca me gêne de vous laisser repartir avec rien dans le ventre. Goûtez au moins à ma chevrotine maison, il y en a à volonté. Feu à volonté, si j’ose dire.

Je vous menace ? Mais parfaitement, mon cher. Vous ne sortirez pas vivant de mon domaine. Oui, ce sont mes terres, de ce côté-ci du miroir. Les rôles sont inversés. A votre tour de courir, Lord Maxwell, j’espère pour vous que vous n’avez pas de cor au pied.  Moi, j’aurai le cor de chasse. Vous connaissez l’air.

Prenez des forces, vous en aurez besoin avant ma récréation. Franklin va revenir avec le whisky dans une heure ou deux. Non ? Vraiment pas ? Oh, inutile de tâter mon miroir, la traversée se fait sans retour.

A tout à l’heure dans les bois. Et si ça peut vous rassurer, vous n’êtes pas le seul à partir à jeun. Mes chiens aussi sont à la diète, depuis trois jours.

 

 

Photo 2 : une maison décrépite à vendre. Un fantôme à la fenêtre.

Texte

Ils ne mouraient pas, mais presque tous étaient frappés. Comme au jardin d’Eden, tout était parti d’une pomme. Depuis, chaque constructeur y allait de son objet qui se connecte plus ultra, finissant de rendre les individus fous à relier. Ici et là, à tort ou à réseau, des récalcitrants refusaient le Net à payer, mettaient sur la touche le moindre téléphone ou tout appareil traçable.  D’autres, dans un état de rejet pathologique, s’isolaient sur un îlot de quarantaine en priant : « Dieu me garde de cette peste. »

Rose refoulait la moindre incursion 2.0 chez elle. Cette femme entre deux âges, qui habitait une maison ouvrière aux façades fuligineuses, laissait les wagons numériques aux autres et pas question qu’on l’y pousse de force. Elle restait à bonne distance sur le quai, arc boutée à un mode de vie simple comme le passé.

Ses neveux, à chacune de leur visite, la pressaient de monter sur le marche-pied du train, à savoir au moins s’acheter un portable. Mais leur tante tenait tête au vent contraire. Elle répondait que du téléphone fixe elle pouvait joindre sa famille ainsi que les deux bouts, quoique de plus en plus difficilement en y regardant depuis un certain temps. Sa dernière pension de retraite avait, il est vrai, encore diminué.

De chez elle, Rose entendait les voitures, les aboiements des chiens, toutes sortes de sons, mais pas les bruits sur internet. Sa sensibilité électromagnétique, reconnue par son médecin, faisait mauvais ménage avec une box ou un compteur linky. Les seules ondes qui trouvaient grâce à ses yeux étaient les rides dans l’eau d’une mare.

Depuis l’extinction des magasins d’alimentation, la dernière des Mohicans vivait quasi exclusivement de son potager suffisant à ses besoins primaires et surtout primeurs. Au printemps, le bourdonnement des drones commerciaux chargés de colis supplantait celui des insectes pollinisateurs de plus en plus rares dans ses parterres.

Pendant que quelques abeilles se tuaient encore au butinage, l’engeance humaine, elle, continuait de tuer pour du butin fut-il dérisoire. L’homme qui par une nuit sans lune assassina Rose à son domicile ciblait du matériel high tech. Pouvait-on être plus mal renseigné ! L’autopsie établit que l’individu, surpris par sa victime dans le salon, l’avait frappé mortellement avec son propre téléphone portable.

Plusieurs mois après le drame, la maison fut mise en vente. Les nouveaux acquéreurs, un couple avec enfants, rapportèrent de très étranges phénomènes survenus dès les premiers jours de leur arrivée. Implosion d’ordinateur, câbles se débranchant subitement d’une prise, smartphone jeté au sol par quelque force invisible.

Depuis le départ de ses occupants à bout de nerf, à peine un mois après leur installation, la demeure n’a plus  jamais trouvé preneur. Sa réputation hantée diffusée comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux attire, il est vrai, les curieux mais pas les acheteurs.

Des témoignages font état d’effrayantes apparitions aux fenêtres. Les sceptiques y voient des affabulations, les autres le fantôme pur et simple de Rose que personne n’a encore réussi à prendre en photo, malgré tous les moyens modernes. Passée dans l’autre monde, l’anachronique propriétaire fuit toujours autant les nouvelles technologies.

 

 

 

Le bulletin de notes

LE BULLETIN DE NOTES 

Un cancre, très rusé, justifie, matière par matière, les mauvaises notes qui figurent sur son bulletin, devant le « tribunal » de ses parents. Rapportez leurs propos.

– Accusé, levez-vous !

– Il est trop tôt votre honneur. Et je suis si bien dans les draps.

– Et vous êtes dans de beaux draps. Debout !

L’accusé se lève.

– 2/20 de moyenne en mathématiques. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

– Qu’il y a déjà suffisamment de problèmes dans le monde, alors s’en rajouter avec des robinets qui fuient, merci bien !

–  Il est dit sur votre bulletin : « élève nonchalant et contestataire, opposé à toutes règles et en particulier les règles de division. »

– Alors là, c’est faux, les divisions ça me connaît. La preuve, j’adorer bien monter les uns contre les autres ! Et puis remarquez, je divise le conseil de classe. Y a les profs qui pensent encore tirer quelque chose de moi et les autres qui ont perdu tout espoir.

– Le tribunal requiert d’ors et déjà une prise en main personnalisée.

– Si vous voulez m’aider, commencez par mettre des pieds aux tables de multiplication. Posez un napperon ça fait joli et posez dessus un fromage … Un Comté, c’est de circonstance.

–  (soupir) Bon, continuons… 5/20 en géographie. « Le Nil suit son cours, je ne peux en dire autant d’Erwan peu attentif au mien. » Des commentaires ?

– Ben, autant en maths je retiens 1, alors en géo c’est carrément zéro. Trop de noms de pays, de cours d’eau, on s’y perd ! Pourquoi on fusionnerait pas tout ça ? Par exemple, les Alpes et l’Himalaya deviendraient l’Himalayalpe. Et y a trop de pays ! Le prof me reproche mes découpages en classe mais ne trouve rien à redire à celui des frontières. Remarquez le désert avance et effacera le problème tôt ou tard.

– Peut-être que ça arrivera mais pas avant la fin de votre scolarité selon les dernières estimations des climatologues. D’ici là vous serez privé de désert. Maintenant passons à l’Histoire. 3/20 de moyenne. « Élève très impliqué, surtout dans les chahuts. » Vos explications ?

– L’Histoire c’a souvent été du bruit et de la fureur, vous êtes d’accord avez moi ? La prof demande un silence religieux, alors que moi, voyez-vous, je suis pas très moine français. Alors oui, je parle fort. Je le dois bien à nos ancêtres des couches populaires qui se sont battus pour se faire entendre.

– Soit, vous participez au débat, vous marquez un point… et j’ai pas dit rond-point. Mais votre enthousiasme ne transparaît pas dans vos résultats.

– C’est parce qu’avant chaque contrôle, faut réviser. Et je suis pas un révisionniste.

– Les pavés aussi ont leur histoire. Celui-là s’appelle un dictionnaire que vous ouvrirez à la page « révisionniste » pour en apprendre le sens véritable. A la fin de l’audience. On poursuit avec le Français. Je lis l’appréciation du professeur : « élève en profond désaccord avec les participes passés. J’espère réconcilier les deux partis avant la fin du 3e trimestre. » Qu’avez-vous à répondre à cela ?

– Toutes ces règles avec toutes ces exceptions. C’est vraiment la grammaire à boire !

– Trop facile comme argument, jeune homme. Sans cadre, si chacun y allait de sa sauce, que deviendrait notre belle langue ?

– Meilleure ! Meilleure ! La langue de bœuf peut se cuisiner à plein de sauces différentes, alors pourquoi pas la nôtre ?

– Parce que c’est une langue vivante ! Réglementée par l’Académie Française, depuis 1635. On ne fait pas ce qu’on veut avec ! C’est ce que votre professeur désespère de vous faire comprendre.

– Mais c’est la mienne de langue, je suis libre. Je peux la garder dans ma poche ou la tirer… comme ça ! Baaah !

– Outrage à magistrats, vous aggravez votre cas ! Voyons maintenant si la SVT relève un peu le niveau. 7/20 : « cherche encore son élément. La Terre ? L’eau ? L’Air ? Le Feu ? On peut déjà exclure l’école. » Une réaction ?

– Cette  prof prétend enseigner le vivant, mais pour ça encore faudrait-il que ses cours le soient ! Et je vous raconte pas le voyeurisme ! Nous forcer à espionner des bactéries dans l’œil d’un microscope en égard pour leur intimité ! Elle veut qu’on les dessine, en plus de ça. Alors je les travestis, les maquille pour ne pas qu’on les reconnaisse. D’où mes mauvaises notes.

– Votre attachement à la vie privée des microbes peine à nous convaincre quand d’un autre côté vous vous passionnez pour celle de vos contacts sur les réseaux sociaux.

– C’est différent, votre honneur. Les microbes n’ont pas de mur Facebook.

– Je vous ferais remarquer qu’ils n’ont pas besoin de réseaux sociaux pour se propager. Venons-en au verdict. Le jury prendra en considération vos brillants résultats en arts plastiques ainsi qu’en sport.

– Vous vous retirez pour délibérer ?

Non, mais vous oui, et dans votre chambre avec interdiction d’en ressortir pendant tout le week end.

– C’est injuste ! Je vais faire appel !

– Et comment puisqu’on vous confisque votre téléphone portable ?

– S’y vous plait, j’implore votre Rolande… Non, Yolande… C’est quoi déjà le prénom ?

– Clémence.

– C’est ça, j’implore votre clémence ! Je recommencerai pas.

– Les non-récidivistes retiennent les leçons. Commencez pas apprendre les vôtres et on en reparlera.

 

Compte rendu d’audience par le frère du cancre.

textes en vrac

Les blogueurs abonnés à ma page auront remarqué que je  suis moins actif sur mon blog. La correction de mon roman m’a pris pas mal de temps. Ça et le travail. Aujourd’hui Je ne reviens pas à vide et vous rapporte deux textes courts écrits pendant un atelier d’écriture. A bientôt.

DIALOGUES EN SITUATION

Un animal de basse-cour vante aux autres animaux les avantages qui sont censés le classer au-dessus d’eux. Rédigez ce discours ainsi que les réflexions des autres animaux.

–  Que feriez-vous sans moi ? demande un jour le coq aux autres membres de la basse-cour.

– La grasse matinée, pour commencer, répond une poule. Toi et ta fichue manie de nous réveiller à l’aurore.

– Reconnaissez que je suis indispensable ici.

– Pas autant que moi, intervient le jars. Ne dit-on pas que nécessité fait l’oie ?

-Nous, on pond, rappelle une femelle. Et auprès du fermier, on a la côte-côte ! Toi, que fais-tu à part chanter ? Si tes vocalises pouvaient nous rapporter quelque chose !

Et le pseudo patriarche de dresser l’inventaire :

-Et la paire de chaussons ? Et le vase ? Et le réveil mécanique ? Cadeaux du fermier en rétribution de mes talents !

– Il te les a jetés depuis sa fenêtre pour que tu fermes ton bec ! glousse une pondeuse.

-Pas du tout ! Mon chant est majestueux, je dirais même transcendantal, et fait honneur au soleil ! se rengorge le coq aux ergots surdimensionnés ;

– Ta modestie ne t’étouffe pas. Mais alors, alors que fait son Altesse Sérénissime dans une si basse-cour ? se gausse un canard.

– Un harem a besoin d’un protecteur.

– Tes femelles te remettent à ta place plus souvent que tu ne veux l’admettre, ricane le jars.

-Tu peux parler ! se vexe la caution virile du poulailler. Tes oies t’ont mis au pas. Tandis que moi, je commande et décrète.

-Des crêtes ? Je n‘en vois qu’une seule au-dessus sur ta tête, compte le jars.

– En un mot, crétin ! Je parlais de la dentelle qui orne mon crâne. Effet garanti auprès de ces dames.

– Et ‘y fait quoi d’autre de ses journées, le mirliflore ? demande une caqueteuse. Couver les œufs ? Non. Elever les poussins ? Non plus. On se farcit tout le travail pendant que monsieur se pavane !

– Mais je reste auprès de vous, rappelle le coq. Je ne suis pas comme le canard, toujours coulé dans un café.

– Oui, j’y passe mes journées, admet l’incriminé. Ce faisant, je me tiens au courant des nouvelles.

– Ce faisan ? Lequel ? Jacques ou moi ? interpelle un oiseau de gibier, depuis la volière voisine.

– Vous, on ne vous a pas sonné, grommelle l’emblème tricolore.

-Si, justement ! caquette une poule. Oyez Oyez dindes…, canes, oies, poules ! Le coq va nous faire la démonstration de sa supériorité sur nous, les reproductrices ! On est toute ouïe, guide suprême !

– Euh…,  hésite le fanfaron un peu embarrassé. Si je fais cocorico, ça suffit?

– Un peu, que ça suffit ! s’indigne une dinde. Marre de tous ces machos et de leur discours sur leur sexe faible ! On veut de la considération ! Créons un mouvement féministe ! On l’appellera Me Too.

– On parle de moi ? s’immisce le chat de la ferme.

– J’ai pas dit Matou, retourne à tes souris !

– Allons allons mesdames, apaise le coq. Enterrons la hache de guerre autour du ver de la réconciliation !

Le gallinacé déterre un ver de terre, ouvre grand son bec et le gobe. Mais le lombric emprunta la mauvaise tranchée. Le coq se met à tousser, sur le point de s’étouffer. Une poule bien grasse lui administre une grande tape dans le dos, avec son aile. Le ver est expulsé de son gosier.

– Merci ! dit le fier oiseau, honteux de s’être donné ainsi en spectacle.

Eclat de rire de la basse-cour.

– A qui le dis-tu ! Mon pauvre coq, que ferais-tu sans nous ?

 

LE DILEMME

Un matin, vous vous réveillez sans aucune envie d’aller au travail Mais vous êtes retenus par des scrupules ou des considérations diverses. Transcrivez en forme de monologue le débat qui se fait en vous.

Non, je ne me lèverai pas. Et ce n’est pas un réveil Mickey qui va me donner des ordres ! D’ailleurs, je le retiens l’inventeur de ce foutu appareil, de ce briseur de songes ! Ce jour-là, il aurait mieux fait de rester couché, moi je vous le dis.

Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir dire à mon patron si je reste au lit? Que je suis resté jouer à 1,2,3 sommeil ? Après tout, il me traite toujours d’endormi, autant lui donner une vraie raison.

Pense à ta fiche de paie ! Regarde là ! Mâte-là !… Ah, le moelleux de mon matelas !

Je suis comptable mais voyez-vous, les livres de comptes ont un pouvoir soporifique sur moi. C’était déjà le cas avec les contes de fée que me lisait ma mère.  Aujourd’hui, si j’en crois le dernier bilan, ce n’est pas le fils mais le fisc que le boss cherche à endormir.

Si je ne vais pas au travail ce matin, je risque de me retrouver dans de beaux draps. Bah, ça tombe bien, j’avais prévu de changer les miens.

Je vais dire que je me suis fait un lumbago. Un faux mouvement, et crac ! Mais encore faut-il trouver un médecin complaisant. Et si l’assurance-maladie envoie un agent chez moi pour me contrôler ? Une amende sur le dos n’arrangerait pas mon lumbago !

J’ai trouvé ! Je vais appeler mon chef et lui suggérer un nouveau modèle d’organisation de l’entreprise. Non plus pyramidal, mais horizontal. Employés, encadrants, tous allongés pour un rapport professionnel d’égal à égal. De deux choses l’une, ou bien le patron valide ma conception de la hiérarchie, ou bien il me regarde comme un agent subversif, un épicurien en retard au travail mais en avance sur ses idées. Trop risqué, c’est un coup à se faire licencier sans indem-nuitées.

Vite, une autre idée ! Je dois une importante dette de sommeil de l’ordre d’une centaine d’heures au Marchand de Sable. Il m’a mis au pied du mur. Si je ne dors pas, Morphée s’en chargera himself, et je vais morfler. N’est-ce pas un peu trop farfelu ? Je crains que la direction juge mon prétexte à dormir debout.

Et si je disais que j’enterrais ma grand-mère ? Têtue comme une pioche, elle ne voudra jamais mourir aujourd’hui. Tant pis, j’enterre l’idée.

Mon gars, t’as pas le choix, tu vas devoir aller au chagrin. C’est pourtant pas faute de me creuser. Oh ! Ça y est, je la tiens ma bonne raison pour rester au lit ! C’est dimanche, aujourd’hui ! Quel idiot, j’ai oublié de déprogrammer mon réveil !

Mais demain ?

Clownville

sujet: Décrivez une ville imaginaire qui pourrait servir de cadre à une narration. Rédigez un texte d’une quinzaine de lignes.

 

 

Ça m’apprendrait à me faire la malle. D’autant plus que ce n’était pas la mienne mais celle d’un clown de cirque. Le saltimbanque l’avait laissé sans surveillance devant la porte de sa loge. La réputation de son sens de l’humour m’encouragea à lui faire une farce. J’emportai la malle très discrètement dans l’idée d’observer sa réaction. En attendant de voir sortir le cabriolant propriétaire, je décidai de faire une revue de ses affaires.

Mais à peine eu-je soulevé le couvercle qu’une force mystérieuse m’aspira à l’intérieur, comme de l’eau attirée dans le siphon d’un évier.

Une sacrée descente digne d’un grand huit. Au bout d’une éternité j’ai touché le fond. Assis par terre, tout étourdi, j’ai regardé autour de moi et me suis demandé alors si je n’avais pas descendu autre chose à fort degré d’alcool.

Changement de décor. Je me trouvais au beau milieu d’une rue cernée de deux rangées de maisons au style architectural à la fois étrange et familier. Les habitations avaient toutes la forme de chapiteaux de cirque, bariolés de rouge, jaune, orange et autres nuances éclatantes. Une chose semblait certaine. Je n’étais plus dans les loges du cirque et pourtant tout ici rappelait le cirque. Les barnums en enfilade bien sûr mais aussi ces odeurs mêlées de paille et de fumier, de communauté homme-bête.

La curiosité me fit m’approcher d’une des maisons-chapiteau. Sur le portail jaune, il y avait un écriteau frappé d’une mise en garde en lettres sanglantes : attention lama méchant. Un ruminant des Andes montait bien la garde avec lequel j’eus la mauvaise idée de vouloir jouer à crache-crache. Je reçus un jet en pleine figure.

-Ah, le chameau ! m’écriai-je en m’essuyant le visage. Il est malade ce lama ! Complètement malade !

Son maître entendrait de mes nouvelles. Un klaxon en plastique faisait office de sonnette. Pouet ! Pouet ! Pas de réaction. Monsieur loyal était soit absent ou souffrant et dans ce cas soignait son entrée en scène avec des médicaments. Un pâturage était aménagé tout autour de  la propriété. Au fond se trouvait un plan d’eau, sans doute à usage du lama de garde. Le cracheur continuait à me regarder, prêt à me rafraichir une seconde fois les idées. Je ne lui en donnai pas ce plaisir et décidai d’aller faire un tour dans le quartier.

Les voisins ne s’embarrassaient pas plus de massifs et parterres floraux. La moindre plantation était inéluctablement promise au saccage par leur gardien à quatre pattes. A chaque propriétaire son animal toujours plus exotique : ici  un dromadaire, là une girafe, plus loin un zébu ou un buffle… Je ne zébu bien. Il y avait même un drôle de zèbre dans la rue… A vrai dire un clown.

L’auguste portait une veste violette à gros carreaux, cintrée, assortie à un pantalon bouffant d’un jaune éclatant. Il chaussait très grand, des péniches à la place des pieds, pas amarrées mais c’était à se marrer. Le clown tenait une fleur énorme reliée à une poire à eau avec laquelle il aspergeait une voiture ; une authentique caisse à savon bariolées comme celles qui faisaient la joie des farfelus de tout âge. D’autres tacots semblables étaient garés le long de la rue. Les concessionnaires de voitures de luxe ne devaient pas faire leur beurre par ici. D’ailleurs l’avantage de rouler dans ce type d’engin, c’était qu’on ne risquait pas de beurrer le pare-brise car il n’y en avait pas.

Le clown rinçait donc la carrosserie au moyen de sa poire arroseuse dont la contenance ne semblait connaître aucune limite. Deux questions me brûlaient les lèvres.  La première : pourquoi n’utilisait-il pas plutôt le jet ? Et la seconde : où étais-je tombé ?

Je marchais à sa rencontre lorsqu’un deuxième auguste sortit d’un des chapiteaux particuliers avec une tarte à la crème dans chaque main. Il était accoutré à l’identique de l’autre: veste mauve ornée de pompons oranges, perruque grotesque, nez rond écarlate (bruni). Un tarin de rechange trônait sur le gâteau à moins qu’il ne se fût agi simplement d’une cerise. Le clown enjamba le portail de chez lui sous le regard placide de son dromadaire domestique et alla jeter l’une des deux tartes sur la boite à savon de son voisin. Ce dernier surjoua la surprise, les mains sur les hanches, moue outrancière, avant de faire pleurer sa fleur en direction de l’entarteur. Je m’attendis à voir le déclencheur d’hostilités user de sa deuxième munition crémeuse. Puis après ça l’escalade : le Tonkin, Bien Hoa, le Viet Nam version Zavatta ! Au lieu de quoi les deux lurons partirent d’un éclat de rire en se filant des grandes claques sur les genoux.

L’autre tarte fut pour ma poire. Je devais avoir l’air d’une bonne pâte, d’une vraie crème, d’où l’envie du pâtissier de me faire déguster la sienne. Pas le temps d’esquiver. Maintenant je ressemblais à Bernard Henri Levy après une rencontre avec Noel Godin. Maculé de chantilly jusqu’aux vêtements, je goutai au sucre mais pas vraiment à la plaisanterie.

– C’est malin! Très malin ! Espèce d’abruti ! m’emportai-je.

Les bouffons me regardèrent avec une moue scandalisée comme si mon manque d’humour relevait du blasphème. C’était à se demander qui d’entre nous avait commis une crème de lèse-majesté.

– Vous pouvez me dire où je me trouve ? leur demandai-je tout en ôtant des lambeaux de gâteau de mon visage.

– A Clownville, me répondit un riverain, une lueur sombre au fond du regard.

Occupé à me rendre à peu près présentable, le nez dans ma mauvaise humeur, je remarquai à peine le changement dans l’expression des clowns. Tout à l’heure hilares et maintenant la mine grave. Je mis cela sur le compte de leur sensibilité à fleur de peau. Les saltimbanques de cirque pouvaient souffler la joie comme la morosité la plus totale et je n’aurai pas été surpris de les voir fondre en larmes. Mais je n’entendais pas m’excuser de ma réaction.

– Clownville ? Et je suppose qu’il n’y a même pas de blanchisserie dans ce trou.

Sans attendre de réponse, je me mis en quête d’autres interlocuteurs plus fiables ; un policier à un carrefour qui n’était pas aux trois quart fou, ou un prêtre qui connaissait les épitres et peut-être aussi ces deux pitres derrière moi.

Mon regard repéra des points d’accroche à la réalité, la mienne de réalité, familière et rassurante. Un asphalte irisé de quelques tâches d’huiles probablement laissées par des automobiles. Les caisses à savon devaient être à moteur et coupables, pour plusieurs d’entre elle, de délit de fuite. Au-dessus de ma tête brillait un soleil radieux, le même qui réchauffait les cœurs et les corps dans mon monde. Un petit vent vicieux, piquant, hérissa le duvet de mes bras nus. J’eus la conviction que j’étais toujours sur la Terre, mais où ?

J’aperçus un clown blanc très élégant, coiffé d’un cône, assis à un abribus. A quoi pouvaient ressembler les bus, ici ? Une seule façon de le savoir : attendre le prochain. Sans doute le clown était-il à bout de patience car ses nerfs se mirent à lâcher comme autant d’élastiques au point de rupture. Si celle de son falzar venait à lâcher pour couronner le tout, cela ferait le plus pathétique des numéros. Mon dépressif entreprit l’inventaire de ses poches. Il en sortit un énorme mouchoir à carreaux, m’infligea un son de klaxon en s’y mouchant. Puis il extirpa une trompette dont il tira une note absolument déchirante, une banane et enfin un revolver qu’il braqua sur sa tempe.

– Non ! Arrêtez ! m’écriai-je.

Il pressa la détente. Un drapeau jaune jaillit du canon avec ceci d’inscrit : « pan ! » Le clown vraiment au bout du rouleau éclata en sanglots. Mon soulagement me fit le traiter d’un fameux nom d’oiseau.

– Ca va pas de faire une blague pareille ! l’engueulai-je.

C’est alors que retentit un air de fanfare. Je reconnus le circus thème music, le célébrissime hymne des clowns annonçant leur arrivéee sur scène. Les premières notes tournaient en boucle comme un 33 tours rayé. La police de Clownville se servait du thème comme sirène. Dans cet univers coloré, je trouvais ça de meilleur ton que la mélodie à deux tons, le sinistre pin-pon.

Une caisse à savon un peu particulière car surmontée d’un gyrophare tournoyant s’arrêta à ma hauteur. Au volant il y avait un clown coiffé d’un képi à grelots et à côté duquel je reconnus un dégustateur de tarte à la crème.

– C’est lui ! dit l’enfariné en me désignant du doigt. Il n’a absolument pas ri à notre numéro !

– Je vous arrête, m’annonça l’agent sur un ton très solennel. Pour défaut d’humour et outrage à la bonne humeur publique.

– Quoi ? Mais c’est pas sérieux !

Cela l’était. Mon séjour à Clownville ne faisait que commencer.

 

 

 

On peut entendre le Circus theme music vers le milieu de ce titre. BO de « Les clowns tueurs de l’espace », ovni filmique de 1988.

la cathédrale engloutie

Je participe dès que j’en ai la possibilité à un atelier d’écriture. Le dernier sujet proposé était celui-ci, inspiré de « La cathédrale engloutie » de M.C Escher. Voici mon travail.

Énumérez les bruits ainsi que les sensations tactiles ou olfactives que cette image évoque pour vous. Imaginez pour cela tout ce que vous ressentiriez si vous vous trouviez en ce lieu. 

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Le voilier tanguait doucement au gré des vagues. Allongé sur le pont, je fermai les yeux et mes autres sens prirent la relève. Je respirai l’iode à la joie, et mes oreilles aux aguets guettèrent quelque signe de vie venu du fonds des eaux ; l’appel d’un dauphin, le ricanement d’une mouette, le chant hypnotique des sirènes (du père noël). Mais je n’entendis que le grincement des cordages de mon frêle esquif ballotté par les vaguelettes. On pouvait rêver d’un matelas plus confortable que le plancher d’un voilier ; mais mieux qu’un cinq étoiles, des milliers d’astres me faisaient des clins d’œil depuis la voûte céleste.

Tout à coup, j’entendis des cloches. Celles du dîner ? Impossible, j’avais passé mon cuistot par-dessus bord après que ce fourbe eût tenté de m’empoisonner avec des bâtonnets de Cap’tain Igloo avariés. L’appel des sirènes ? Dans ce cas, je risquais de figurer à leur menu, sauf si ces demoiselles à queue de poisson préféraient désormais les fruits de mer à la viande fraîche.

Je me redressai pour identifier la provenance des cloches. Faisais-je cap vers l’île de Pâques ? Non, vers un magistral édifice. « Cathédrale, droit devant ! » hurlai-je.

Je croisai à droite de mon embarcation une authentique grenouille de bénitier, qui flottait sur un nénuphar. Sortait-elle d’une messe ? J’avais entendu parler des fonts baptismaux mais encore jamais des fonds, et ceux-là devaient être profonds  à en juger par le degré  de submersion du monument qui avait de l’eau jusqu’à la rosace. La cathédrale comportait deux superbes flèches ciselées, élancées vers le ciel étoilé comme deux mines taillées par un aiguise crayon céleste.

Le sombre pêcheur que j’étais jetai mon filet et entrepris de plonger jusqu’au confessionnal où m’attendait peut-être un curé en tenue d’homme grenouille sous son chasuble. Je devais me repentir au nom de tous les hommes responsables de ce déluge qui avait tout englouti.

 

Texte un peu court mais quand j’écris je ne suis pas une flèche (de cathédrale)