For Mathilda (17)

Photo d’un immeuble en chantier dont je me suis inspiré pour planter mon cadre (source: google image)

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187. Ext. Jour. Le chantier au 36 East 12 street de Manhattan.

18h PM.
Un immeuble de bureaux se prépare à sortir de terre. Il ne postule pas à la catégorie des gratte-ciel avec ses quatre étages au compteur.
Deux grosses berlines cahotent sur le terrain du chantier, auréolées d’un grand nuage de terre. Elles s’arrêtent aux abords du bâtiment.
Des cerbères endimanchés dans un costume cravate sombre descendent des deux bagnoles. On en compte huit au total. Tous gardent une main enfouie sous leur veste, prompts à défourailler. Estevez et Harrisson mettent pied à terre à leur tour.

Mario les attendait. Il les surplombe, depuis le rez de chaussée surélevé.
L’immeuble, de forme ovale, se tient bien planté sur ses piliers de béton. Une forêt de barres d’acier enracinées dans les fondations, participe de l’armature générale. La tour, à l’état de squelette n’offre aucun rempart contre les éléments, la pluie, le vent et les balles.

Les tueurs forment une ligne de front face au bâtiment. Harrisson et Estevez en occupent le centre. Le premier se dissimule sous des lunettes noires quand le deuxième fume allégrement le cigare Quelques cinq mètres séparent les deux camps.

Une échelle monte du sous-sol caverneux jusqu’au premier niveau. L’utiliser impliquerait de tourner le dos à ses adversaires, alors Mario choisit plutôt de sauter. Un bond magistral et le voici sur le plancher des vaches.

Notre homme est vêtu d’un pantalon noire et d’une ample chemise immaculée. Ses lunettes sombres rappellent que le plus impitoyable ici est encore le soleil, surtout au crépuscule.

Mario
(en tapotant sa montre) Deux minutes de retard.
(sur un ton de déception) Harrisson, toi qui arrive toujours largement en avance! Surtout dans les entrepôts de came ! T’en laisses un peu pour tes collègues quand même ?

Harrisson se fend d’un sourire reptilien.

Estevez
(articulant avec le cigare dans la bouche) Où est la fille ?

Mario
(se caressant le menton)Trou de mémoire ! Pour que ça me revienne, ça vous reviendra à 100 000 en liquide.

Estevez
Alors t’as décidé de nous faire les poches! (agitant ses mains, d’un air d’incompréhension) Pourquoi? J’ai pas toujours été réglo avec toi? Je t’ai déjà refusé une p’tite avance quand t’étais dans la dèche? Gomez et moi on est un peu ta famille, ta seule famille.

188. Int. Jour. Voiture.
La Chevrolet est garée aux abords du chantier. A bord, avec un casque aux oreilles, Williams ne perd pas une miette de la conversation volée. Nous saisissons au vol la voix de Mario

189. Ext. Jour. Le chantier
L’heure est à la mise au point. Notre tueur déballe délicatement un chewing gum à la chlorophylle.

Mario
Ma seule famille? J’ai lu qu’il faut savoir tuer le père. Les 100 000 dollars iront pour ma psychanalyse.

Harrisson
(à Estevez)J’ai pas de temps à perdre avec ce branleur. On trouve la fille, on la bute et il paie l’addition.

190. Int. Jour. Voiture
Williams espionne la conversation. Les dernières paroles du lieutenant aux Stups lui font l’effet d’un direct au visage. C’est tout juste si son casque ne vole pas.

Williams
Nom de dieu !

191. Ext. Jour. Chantier
La tension monte, mais Mario avec son chewing gum dans la bouche reste stoïque

Mario
(sur un ton calme) Et mes 100 000 dollars?

Mal lui a pris d’avoir remis ça sur le tapis. D’avoir tous les regards braqués sur soi passe encore, mais tous les flingues! Et des flingues de concours! Harrisson a dégainé, imité dans l’instant par ses cerbères.

Estevez
(en ôtant son cigare)Tu comprends, Harrisson et moi, c’est un business qui roule. Alors comment te dire ? Tes 100 000 dollars, tu te les carres au cul !

Mario
Seulement les billets, où t’ajoutes la valise?

Harrisson s’avance vers Mario en le tenant en joue avec un Smith et Wesson.

Harrisson
(en beuglant) Lève tes mains, connard!

Mario obtempère. Le flic le palpe sans ménagement. Quelque chose l’intrigue au toucher.

Harrisson
(en passant une main sur sa poitrine)T’es blindé là dessous?

Sur un claquement de doigt, deux de ses toutous sortent des rangs.

Harrisson
Ouvrez-lui sa chemise !

Un sbire arrache les boutons d’un coup sec, dévoilant un gilet pare-balles. Et voilà notre officier des Stups pris d’un accès de stress.

Harrisson
(aboyant)Pourquoi t’as ce gilet?…Putain, c’est un piège ! Il avoir des micros sur lui! (en écrasant le canon de son arme sur son front)! Crève !

192. Ext. Jour. Chantier.
Un pan de la palissade entourant le terrain vole en éclats, pulvérisé au passage d’une voiture. Un gyrophare tonitruant vient ajouter à sa discrétion.

193. Ext. Jour. Chantier.
Cette irruption fracassante déconcentre Harrisson. Mario assène une manchette sur son bras armé. Un coup de feu part vers le sol. Dans le même élan, sa main droite bondit sur le Glock 23 que le garde sur sa droite avait remisé dans son holster. L’homme est désarmé sans avoir eu le temps de réagir. Mario le vise en pleine tête. Un lever de jambe et notre tueur attrape un couteau planqué à sa cheville. Le deuxième sbire dégaine, mais trop tard ! Le poignard se fiche au milieu de son front.

Harrisson s’est ressaisi. Il veut décharger son gun sur le tireur mais fait les frais de ses réflexes. Mario est en effet plus rapide et lui tire dans la main. Harrisson lâche son arme dans une grimace de douleur. Les six autres porte-flingues, dépassés par la confusion, déclenchent un feu nourri sur Mario. Des balles l’atteignent au niveau de la poitrine. Les impacts le projettent par terre. Le jeune homme roule sur deux mètres. Son corps tombe dans les fondations de l’immeuble dont seule émerge la partie supérieure.

Harrisson se tient la main droite. Un filet de sang coule entre ses doigts. Contre la douleur, quel meilleur anesthésiant que la rage?

Harrisson
(hurlant) Butez-moi ce fils de pute !

Cow boys de la DEA et spadassins d’Estevez s’élancent tout de go dans le sous-sol, baïonnette au canon. Ils sont encore six en course.

Pour toute cavalerie, une unique voiture, une Chevrolet noire déjà souillée de poussière. Celle-ci s’immobilise en travers du terrain. Williams tient en respect son homologue des Stups, flingue à l’appui.

Williams
(en tenant son Glock des deux mains) C’est fini, Harrisson !

Harrisson
Williams, vous braquez votre arme sur un agent fédéral! Rangez moi ça où vous allez au-devant de sacrés emmerdements !

Williams
Si quelqu’un ici va avoir une livraison d’emmerdes, c’est vous ! Tout est sur bande !

Harrisson
(moue méprisante) Des mots, c’est juste des mots! Vous croyez prouver quoi que ce soit avec ça ?

Williams
Ça va suffire à ouvrir une enquête. Vous êtes bon pour Rikers Island !

194. Int. Immeuble en construction. Au Sous-sol.
Tapi derrière un pilier, Mario a le souffle court. Il ouvre son gilet pare-balles, décomprimant ainsi sa cage thoracique. Il plonge ses mains derrière son dos et deux Glock automatiques entrent alors en scène.

Six ombres s’avancent en bataillon dans la pénombre des fondations.

195. Ext. Jour. Chantier.
Resté en retrait près des berlines, Estevez interpelle Williams. Il tient son cigare entre les doigts.

Estevez
Vous les gens de la police, vous avez du mérite ! C’est vrai, il faut le dire, vous avez pas un job facile, tous les jours vous risquez votre peau, et tout ça pour ramener combien à la fin du mois? 2000 ? 3000 ?

Williams
Je crois que c’est pas vos oignons !

Estevez
Moi, je vous donne l’occasion d’être payé à votre juste mérite, inspecteur ! Vos enfants rêvent peut-être de vraies vacances.

Williams
Laissez ma famille en dehors de ça ! Et vous ne m’achèterez pas!

Estevez
(son visage s’assombrit) Vraiment ?… Alors qu’est-ce que vous diriez d’un autre arrosage ?

Le nabab se tourne vers les grosses berlines garées devant l’immeuble. De l’une d’elles sort un nervi en costume sombre pourvu d’un AK47. Il est de ces tueurs prodigues qui dépensent sans compter jusqu’aux dernières cartouches. Williams se préserve des effusions derrière sa Chevrolet. Des morceaux de verre tombent sur lui. Un déluge de feu s’abat sur la voiture, explosant les vitres, criblant l’acier de la carrosserie. Un tel vacarme qu’on ne s’entendrait pas mourir. De l’autre côté du rempart, Williams attend de pouvoir riposter.

196. Int. Immeuble. Sous-sol.
Deux tueurs évoluent entre deux rangées de piliers. Du mouvement sur la droite ! Leur fantôme d’adversaire passe devant eux en exécutant une roue. Les balles lui frôlent la peau  comme les couteaux d’un lanceur de cirque. A la différence ici que la cible a une arme et leur rend la politesse en alliant gymnastique et précision du tir. Des guiboles sont fauchées au passage.

Les quatre derniers rappliquent en force et envoient la sauce à coups de mp5. Mario roule promptement au sol, trouve refuge dans un recoin d’escalier. Sa posture est critique, deux beretta 9 mm contre des pistolets mitrailleurs !

Examen du décor. Son regard se pose sur une lampe à pression suspendue au plafond. Cet objet incarnerait-il son salut ? Une balle bien ajustée sectionne l’attache de la lampe laquelle se fracasse deux mètres plus bas. De l’alcool se répand au sol. Mario balance un briquet comme il jetterait une grenade. Et le feu fut !

Un rideau de flammes l’isole de l’armada. Mario s’engouffre dans l’occasion et tente une sortie. Objectif l’escalier. Un flingue dans chaque pogne et à dieu vat ! Les balles fusent de part et d’autre du mur de feu, point d’orgue d’une orgie de fer. L’échange est court mais l’écrémage est sévère. Un tueur s’écroule, un morceau de crâne en moins. Un autre porte la main à sa gorge d’où s’écoule un flot de sang. Les deux derniers valides rechargent leur pistolet mitrailleur, offrant le temps à Mario de s’enfuir par l’escalier.

Mario retrouve le rez de chaussée. Une tâche rougeâtre macule son marcel blanc. Il porte une main à son flanc droit douloureux. Une grosse erreur que celle d’avoir ôté son gilet pare-balles.

197. Ext. Chantier.
Williams, toujours sous le feu ennemi, rampe jusqu’au niveau de la portière passagère. Il se redresse, parvient à l’ouvrir et à s’emparer d’un fusil à pompe posé contre le siège.

Le mitraillage et soudain le silence.
Doigt sur la gâchette, pressé de poser la touche finale à son travail, le traqueur contourne la Chevrolet. Son oreille reconnait le claquement sec d’un chargeur. Il fait volte-face mais Williams ayant encore de bons restes, in fine c’est lui qui y reste. Deux balles de fusil à pompe dans le ventre terrassent le chasseur.

Un nouveau danger arrive de l’arrière, que Williams n’a pas pas calculé. Une balle le frappe. Le flic s’affale en se tenant sa jambe droite. Son instinct de conservation, aveugle à la douleur, lui commande de ramasser son arme, mais une injonction l’en dissuade.
Estevez s’avance vers lui, un pistolet mitrailleur à la main.

198. Int. Immeuble
Mario arrache une banderole de travaux balisant le périmètre du premier étage à défaut de garde-fou. De l’autre côté c’est le vide. Il noue l’extrémité de la banderole à un morceau de structure.

199. Int. Immeuble.
Les deux fines gâchettes survivantes remontent au rez de chaussée. Chacun se sépare, l’un continuant vers le premier étage, l’autre inspectant le présent niveau.

Un bruit de cailloux frappant le sol. Le sbire en charge du rez de chaussée rappelle son acolyte en train de monter l’escalier. Tous deux prennent la direction des cailloux, en ne faisant plus qu’un avec leur AK47.

Ils traversent le rez de chaussée jusqu’à la limite ouverte de la pièce. La terre ferme se trouve encore à un mètre en contre-bas. Une fumée noire s’échappe du sous-sol. Tous deux lèvent la tête sans s’attendre à recevoir le ciel sur la tête…

Au premier étage, Mario tire sur sa corde de fortune pour s’assurer du mou. Accroupi, le dos au vide, cramponné des deux mains à sa banderole, il guette le moindre mouvement au-dessous de lui. Il calcule le bon moment pour se laisse tomber en rappel, tel Tarzan accroché à sa liane. Le corps horizontal, il passe dans le rez de chaussé, les deux pieds en avant. Les tueurs en plein sur son passage se prennent un panard en pleine tronche et basculent en arrière.

Mario lâche la banderole et conclut sa cascade par une roulade. Les tueurs qui voient 36 chandelles, deviennent des esprits avant d’avoir retrouvé leurs esprits. Mario, dans la continuité de sa roulade, dégaine ses deux Beretta et leur plombe copieusement la tête.

200. Ext. La Chevrolet
L’inspecteur Williams se traîne jusqu’à l’aile droite de la voiture, sa jambe ensanglantée. Estevez le tient dans son viseur.

Estevez
Où est la bande ?

Williams
(mimant de ne pas comprendre) Vous cherchez votre bande de bras cassés ? Allez voir mais je crois qu’ils sont ad patres !

Estevez
(froidement) Vous vérifierez vous même !

Et il presse la détente.

201. Ext. Immeuble en construction.
Mario se relève de sa roulade lorsqu’un drôle de fruit tombe à côté de lui… Une grenade dégoupillée ! Il a juste le temps de s’éjecter du rez de chaussée juste avant l’explosion. Le souffle le jette néanmoins par terre, deux mètres plus bas. Il relève la tête et voit Harrisson arriver vers lui, tenant un AK 47 de sa main valide.

Harrisson
Fils de pute, tu crois que tu vas t’en tirer comme ça ?!

Mario dégaine son beretta. Le fédéral le désarme d’un coup de pied dans la main, mais plutôt que d’en finir tout de suite, entreprend un tabassage en règle. A chaque retour à la charge, Harrisson égrène le nom de ses hommes tombés au champ du déshonneur.

Harrisson
(en frappant dans les côtes et le ventre)Minelli ! Chandler ! Roscow !…

Mario goûte la poussière du chantier. Sa main trouve  une pierre. Retour à la charge d’Harrisson. Contre attaque de Mario qui parvient à bloquer sa jambe et à le déséquilibrer. Il se relève et se jette sur lui. Les deux hommes roulent par terre. Mario abat sa pierre sur le visage du fédéral avec une violence effroyable. Une fois, deux fois, trois fois…

Il jette la pierre ensanglantée et ramasse son beretta.

Une silhouette massive se dessine devant lui. Estevez brandit son Graal incarné dans une cassette audio. Un morceau de la bande pendouille hors du boîtier. De sa main gauche, il tient un briquet.

Estevez
Tu pensais nous baiser, mon p’tit Mario? T’as buté des fédéraux mais y a plus de témoins, maintenant! Ton copain le flic, pan pan ! Plus de témoins, plus d’enregistrement! (rire hystérique)Alors c’est qui le baisé ?

Le mafieux met sa menace à exécution et brûle la bande avec le briquet. Quelques secondes de jouissance que Mario lui facture au double du prix, de deux bastos dans le citron.

Mario ramasse la cassette à côté du cadavre encore chaud. La Chevrolet sur sa gauche lui offre un tragique spectacle, celui de l’inspecteur Williams gisant dans son sang. Mort. Au loin, des sirènes annoncent l’arrivée imminente de la police.
Mario, tenant sa cassette à la main, rejoint l’une des berlines garées devant l’immeuble en construction. Il traîne la patte, diminué, mais on le serait à moins avec une balle dans le flanc et vraisemblablement aussi quelques côtes fêlées ! Il monte dans la voiture, allume le contact et passe la première.

Un pan de la palissade du chantier explose au passage de la berline qui s’engouffre dans la rue adjacente.

202. Ext. Forest Hills, quartier du Queens. Dans la 66e Street. Maison des parents adoptifs de Mathilda.

Aucun bruit dans ce quartier résidentiel, si ce n’est le gazouillis des oiseaux et le ronflement lointain de tondeuses. L’endroit semble un havre d’harmonie. Seule fausse note à ce cadre idyllique, un véhicule de police garé devant le domicile. Là pour rappeler que même le diable se passe de cartons d’invitations partout où il va, même au paradis.

Une voiture s’arrête en face de la maison. Le visage de Gomez se reflète dans le rétroviseur.

(à bientôt pour le dernier épisode)