roman livre 2 (53

roman livre 2 (53

Un basket… Desserrer les poings, viser et marquer des points. Ah ! Si sa tête pouvait ne plus rien retenir comme un panier percé, laisser filer ses plus noires pensées ! Il entra dans le garage et prit son ballon au pied d’une étagère.

On ne pataugeait plus, son père avait asséché la mare à grand renfort de serpillière. D’autres écoperaient après lui, et autre chose que de l’eau ! Quel sort réserverait-on aux Goozmes ?

Pierre remettait de l’ordre dans son établi. Marteaux et clés de 12, jetés en première ligne dans la bataille du sous-sol, répondaient à l’appel. A la radio, Céline Dion s’époumonait sur « Pour que tu m’aimes encore ».

– P’pa, tu viens faire des paniers ?

– Je suis occupé, Jérémy. Une autre fois.

Une autre fois… C’était toujours pareil ! Son père lui lisait autrefois des histoires avant de dormir. A son tour de lui en raconter une, qui commencerait par: il était une autre fois, un papa qui n’avait jamais le temps de faire un basket avec son petit garçon. Il imagina sa maîtresse d’école, plantée devant le garage, sifflant le début de la récréation. Son père sortirait en criant et sautant dans tous les sens avant de lui arracher des mains son ballon. En vrai, la dernière fois qu’il l’avait vu dribbler, le panier lui semblait plus haut. C’est dire alors  si ça remontait… et si lui aussi s’était rehaussé. Merci la soupe de maman ! Mais grandir ne le rendait pas  forcément  meilleur.

Au premier essai, il frappa le panneau de basket. A la deuxième tentative, le ballon tourna autour de l’arceau avant de ressortir. Mais, à l’arrivée d’une visiteuse impromptue, le récalcitrant se montra soudain plus docile. Jérémy marqua un duo de paniers consécutifs. La jeune fille les salua tous les deux, son exploit et lui.

Son visage était un doux paysage où régnait un soleil de blond. Alice portait sous son manteau entrouvert un pull au mauve un poil trop criard. Le gamin garda pour lui ses considérations esthétiques, ne voulant pas avoir maille –de chandail- à partir avec elle.

– Bonjour. Vincent est là ?

– Non, il est sorti.

Une question toute simple, mais au vu de la moue déçue de la jeune fille, il avait dû se tromper de réponse.

– C’était important?

– Non. Enfin, si. C’est à propos de notre soirée d’hier.

Elle plongea ses mains dans ses poches arrière. Ça faisait autant de fouilles occupées, heureusement son jean taille basse comptait encore d’autres cachettes où glisser un mot doux. Vincent s’était-il risqué à ce petit jeu du billet ?

– Mon frère vous aime beaucoup, déclara le gamin qui se sentait soudain une âme d’entremetteur.

– Vraiment ? sourit Alice en plissant des yeux.

A froncer ainsi des mirettes, la belle devait avoir un problème de vue. Jérémy, quant à lui, y voyait très clair.

– Il vous adore même, renchérit le bambin, en dribblant d’une main nonchalante.

– Dis-donc, tu me parais bien au fait !

– Ça saute au nez, répondit le petit basketteur avant de feinter une passe en sa direction.

Alice leva ses mains devant son visage, dans un mouvement de réflexe.  Fausse alerte, le ballon ne parvint jamais jusqu’au destinataire. Le gosse le fit rebondir à nouveau sur le béton de l’allée du garage

– Il devrait bientôt revenir, vous pouvez l’attendre. On se fait des paniers ?

– Euh… Merci, mais je n’ai pas vraiment le temps. Tu lui diras que je suis passé ?

L’arbitre, ne voulant rien entendre, sonna le coup d’envoi du match. Son sifflet, à vrai dire plus chuintant que fracassant, rappelait plutôt une fuite de gaz. Les deux jeunes gens regardèrent vers le ciel empourpré. Avait-on jamais vu d’arbitre aussi élevé, même au tennis ?

Au-dessus d’un toit voisin, se profila soudain une ombre aux contours circulaires. Des chanteurs lançaient de nouveaux disques mais très fort était celui qui en envoyait à cette hauteur ! C’était rond comme un  vinyle sans sillons… Du moins, sans sillons dans le ciel.

Jérémy vit tour à tour un énorme œuf sur le plat, un couvercle de presse-agrume avant de pencher plus prosaïquement pour une soucoupe volante.

– Qu’est-ce que c’est ? murmura Alice, escortant des yeux l’appareil.

Ça planait en douceur à quelque quinze mètres de mètres du sol quand alors le beignet tout rond se transforma en éclair, le temps d’une prodigieuse accélération. L’objet fit une incursion de deux secondes derrière le mur du son avant de repasser la barrière et de stopper net. Le pilote poussa à nouveau les gaz, pila aussi sec, s’élança de plus belle, répéta plusieurs fois ce manège saccadé, donnant l’impression de n’avoir pas encore tout à fait son appareil en main. Ou plutôt en patte… car si d’un point de vue conventionnel ce « truc » n’avait pas sa place au-dessus des maisons, un humain l’avait encore moins derrière les commandes.

Jérémy mit cette conduite peu académique sur le compte de l’inexpérience, sans doute d’un Goozmes en soucoupe-école. Il dressa dans sa tête la liste de tous les instructeurs potentiels. A vrai dire un seul nom lui venait à l’esprit, celui de Minigal. Mais alors d’où diable sortait cet aéronef ?

Et s’il s’agissait d’autres Espions ? Dans tous les cas, ces visiteurs ne devaient pas se trouver là par hasard, et peut-être attendaient-ils une bonne raison pour atterrir. Comment leur faire savoir ?

– Je reviens ! dit Jérémy en courant vers la maison.

Alice le vit s’engouffrer dans le garage. A son retour, le garçon la mit au défi du jeu des « une différence ». Le détail tenait à la petite lampe torche qu’il serrait à présent de sa main droite. Ses chances d’attirer l’attention de l’ovni relevaient de l’improbable, d’autant plus quand le soleil couchant se faisait briller, mais Jérémy ne s’arrêtait pas à ces considérations.

Il sortit sur le trottoir sans cesser de fixer l’étrange objet qui se rapprochait à nouveau de la maison. Un soir de vacances, son grand-père lui avait appris le b.a.-ba des signaux lumineux. Dans ses souvenirs, un SOS se traduisait par 3 éclats brefs, 3 longs et 3 brefs. Il pointa donc le faisceau en direction du ciel, en l’occultant par intermittence. Alice le rejoignit, fort intriguée. Si le gosse avait les clés du contact avec le troisième type, alors elle voulait bien un double.

– Tu crois qu’ils vont voir tes signes?

– Il le faut ! Si c’est des Espions, ils peuvent sauver mes amis ! Hé ho ! cria-t-il à grands renforts de gestes.

– Des Espions ? répéta la jeune fille, suivie de tout un cortège de points d’interrogation.

– Ils viennent de Goozmes, ils nous observent depuis toujours ! Je sais tout ça par Athos qu’est un savant de là-bas. Son vaisseau s’est écrasé, et il est venu se cacher à la maison avec tout son équipage. Et hier la police m’a pris mes amis !

Cet œuf sur le plat volant accusait-il de vaillantes années lumières au compteur ? Alice voyait planer un doute dans le ciel corbenois. Pour Jérémy, ça avait plutôt l’air d’une certitude. Aucun n’imaginait que la vérité viendrait tomber à leurs pieds, comme une pomme trop mûre. L’automne entraînait-il la chute des soucoupes ? Le garçon n’eut pas le temps de se poser la question, pas plus de se demander si sa jolie camarade pouvait être assez mûre pour la vérité. Toujours est-il que l’objet se stabilisa au-dessus de la rue de Chauvigny,  maintint un vol stationnaire pendant plusieurs secondes avant d’entamer une descente verticale dans un sifflement feutré.

– Il ne va pas se poser là quand même ! dit Alice.

Elle sentit soudain une main d’enfant saisir la sienne et tirer sur son bras. Le reste suivit docilement le mouvement. Elle avait déjà vu des papillons se poser sur la voie publique, contre les pare-brise de voitures, mais des machines volantes, jamais. Une rue de lotissement… drôle de point de chute pour des extraterrestres. Le mot « chute » prit du reste tout son sens quelques instants plus tard. Erreur de commande ou regain de force de gravité ? Une fleur n’aurait pas fait d’atterrissage plus délicat quand brusquement le véhicule se laissa choir au sol avec la pesanteur d’une vieille casserole.

Jérémy courut vers le disque qui bloquait toute la chaussée. Les voitures se faisaient heureusement rares le dimanche dans la rue de Chauvigny. Stationner sur une grande artère c’eut été pousser le bouchon un peu loin, tout du moins assez pour se demander si le pilote avait bien refermé celui de sa bouteille.

Des visages familiers peuplaient le cockpit. A bord, le ton était monté encore plus vite que n’était retombée la soucoupe, entre Vincent, les Espions et un vieux monsieur en salopette, à grands renforts de gestes. Un sésame pour l’espace, le voyage n’avait même pas commencé, et déjà une dispute ? Qu’en serait-il au bout d’une ou deux années lumières ?  Jérémy ne le saurait jamais, cet engin quitterait ce monde sans lui… mais avec Athos et ses compagnons, cela il se le jurait.

Les portières de la soucoupe s’ouvrirent comme des ailes, libérant Vincent heureux de renouer avec la terre ferme au point de s’agenouiller et de baiser le bitume, comme Jean Paul II. A bord, cependant, les esprits s’échauffaient. Minigal et l’homme à la salopette, sanglés au même siège, se renvoyaient les torts dans le couac de l’atterrissage.

– C’est ça que vous appelez se poser ! Je vous préviens, si vous m’ fusillez ma machine… !

– Mais il ne fallait pas tirer sur le manche !

– Je vous ai dit doucement sur les gaz ! Et qu’est-ce que vous faites ?

– Je n’ai encore jamais piloté d’engin primitif, essayez de vous mettre à ma place !

Il dut être tentant pour l’aviateur de prendre l’invitation au pied de la lettre, de s’asseoir à son tour sur le Marafrogue et de l’aplatir, histoire de lui apprendre le respect. Heureusement, on en resta aux mots.

– Primitif mon engin? Peut-être. En attendant, il vous rend service ! Alors parlez-y autrement !

Tout à ses retrouvailles avec le plancher des vaches, Vincent ne s’avisa qu’après coup de la présence de spectateurs, qui n’avaient pas osé le couper dans son élan d’effusion. L’adolescent se releva avec la précipitation et l’embarras d’un écolier pris en faute.

Jérémy décocha un coup de coude complice à Alice.

– Tu voulais voir mon frère ?

Elle se trouvait muette, déroutée par cette entrée en scène. Où était-il fait mention d’une soucoupe volante dans le scénario ? Et – grands dieux !- Depuis quand donnait-on la réplique à des peluches ? Depuis que celles-ci sont en mesure de vous parler. Jérémy laissa le soin à la jeune fille de retrouver ses mots, qui devaient être quelque part… Comme les Goozmes. Des questions se bousculaient au portillon, dont une avait un laissez-passer prioritaire.

– D’où vous sortez ce truc là ? s’exclama l’enfant en caressant la proue de l’appareil.