roman livre 2 (54)

Episode précédent :

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media_xl_3640637http://www.7sur7.be/7s7/fr/1504/Insolite/article/detail/1087510/2010/03/31/Une-soucoupe-volante-s-ecrase-a-Toulouse.dhtml

–  Super ! Où vous avez pêché ce truc là ? s’enquit l’enfant en caressant la proue de l’appareil.

Vincent rebroussa ses cheveux, en regrettant de ne pouvoir faire de même avec le temps. Un saut en arrière jusqu’à cette soirée où il s’était mis à nu devant Alice. Il laisserait alors ses sentiments pour elle à la cave, lui épargnant la peine de ce déplacement. Quel vent l’avait amené jusqu’ici ? Celui des remords ?

– Salut, ça va ? lui demanda-t-il.

– Oui…, bredouilla son amie. Et toi ?

– Comme tu vois. J’ai voulu prendre un peu de hauteur.

A chacun son exutoire. Quand d’autres soupirants éconduits montraient de quelle gueule de bois ils se chauffaient, lui, s’enivrait de nuages. Jérémy, le voyant distrait par sa belle, réitéra sa petite annonce : « question cherche réponse », en des termes plus percutants.

–  Bon ! Tu m’expliques ? Où vous avez trouvé la soucoupe?

Un engin aussi spécial méritait une origine spatiale. Oui mais voilà, la vérité ne répondait pas toujours à nos désirs.

– Où ? répéta Vincent. A l’aérodrome, figure-toi. Je te présente Félix, le cousin de Victor. C’est le papa de ce petit bijou.

Le dit créateur, en bisbille avec son copilote au point de s’être détaché de lui, au sens propre du terme, rendit un salut au jeune garçon.

– Après, tu connais les autres…

Jérémy se pencha dans le cockpit ouvert où  il se livra à un troc de câlins avec Toze, Minigal et Lilowai. Une onde de frisson l’envahit à leur contact, et il sentit sa peau se hérisser de chair de poule. Lilo le gratifia de toute sa tendresse dans une langue universelle, par d’amples léchouilles sur son visage. Toze promena son museau le long de son cou avant d’incliner doucement sa tête sur son épaule et fermer les yeux. Minigal déposa un baiser sur son front et se recula, comme pour mieux le voir se propager dans tout le corps de l’enfant.

Jérémy enroula ses bras autour des créatures et les réunit en un bouquet extraordinaire.

– C’est mignon ! minauda Fred. Et moi, alors, j’ai pas droit aux poutous ? Je sens le pâté ?

– Non, plutôt le vomi ! railla Félix.

Cette infusion de câlins dégageait un délicieux arôme. L’idée effleura Vincent d’en proposer une à Alice au parfum de son choix. Il balaya cette initiative d’un revers de pensée, Alice avait été claire à ce sujet.

Une main se posa sur son épaule, légère et fugitive comme un papillon. Un doux parfum titilla  ses narines, tandis que la jeune fille s’arrêtait à sa hauteur.

– Ton petit frère disait vrai,  admit-elle sans détacher son regard de l’appareil et ses passagers à fourrure.

– Du 100% authentique, sois en sûre. Comme tout ce que j’ai pu te dire hier soir, dit Vincent en la caressant d’un sourire un peu triste.

Elle le regarda. Si son âme était un tableau, la lumière allumée au fond de ses yeux renvoyait plutôt à un tableau électrique. Le même courant d’affection réchauffait Jérémy et les Goozmes, comme un flux qu’aucun compteur ne pouvait calculer. L’enfant desserra sa fusionnelle étreinte avant de considérer à nouveau le planeur. Il en tira une moue dubitative.

– Le  monsieur a construit ça lui-même ?  Mais Alice et moi, on vous a vu faire des trucs fous dans le ciel ! Les avions humains ne sont pas capables de ça !

– Absolument, confirma Minigal. A vrai dire, le « bébé » de Félix s’est découvert une énergie du tonnerre. Sa greffe de bigoflux lui a donné un sacré coup de fouet, au point qu’en un rien de temps il rattraperait le Soleil qui fuit vers l’horizon.

– Tu as réussi ? C’est génial ! exulta Jérémy en étreignant de toutes ses forces le Marafrogue.

Le garçonnet voyait s’ouvrir en grand les portes de l’espace. Des illusions vite balayées en plein vol par Toze. Si tant est qu’elle résistait à la pression atmosphérique et s’arrachait à l’attraction de la Terre, le cosmos ne ferait assurément pas de cadeau à cette coque de noix artisanale.

– Toze a raison, reconnut Mini. Sa structure est fragile comme les ailes d’un papiflaï et le bigoflux ne changera rien à l’affaire. Seul un transporteur Goozmes peut nous ramener chez nous.

Pour attirer l’attention, un seul moyen : envoyer des signaux, et les plus puissants qui soient. Jérémy exposa alors son plan. Près du château de Chambord, dans un endroit restant encore à déterminer, dormait un émetteur « Bip ».

– Tu veux parler du Bipamax ! comprit Toze. Mais oui, bien sûr ! Pourquoi n’y avons-nous pas songé?

– Athos et les autres devaient retrouver une autre équipe à Chambord, résuma Jérémy. Comme vous savez, ça s’est pas passé comme prévu. A la radio, tout à l’heure, ils ont parlé d’une opération pour attraper des bêtes évadées. C’est d’eux qu’il s’agit, j’en suis sûr ! Mes amis chercheront à aller à Chambord pour allumer le Bipamax…

– Alors c’est là qu’il faut se rendre, enchaina Lilowaï avec fébrilité. L’équipage en relation avec Athos, est peut-être toujours sur place. Nous pouvons atteindre l’émetteur les premiers et transmettre un signal.

Vincent vit quelques riverains sortir sur leur terrain. Peut-être ces derniers avaient-ils justement perdu le signal, celui de leur antenne de télé? Dans ce cas, qu’importe que la petite lucarne reste inerte, on trouvait toujours à se consoler avec la fenêtre… et ce soir, plus que jamais ! Le spectacle de la soucoupe posée sur la rue dépassait toutes les espérances. Cela volait haut, sans que  personne n’eût pu encore juger l’altitude. Pour cela, il fallait décoller et à ce propos, Félix commençait à s’impatienter.

– Dites, les jeunes, c’est pas le tout mais on va finir par gêner. Il faut bouger !

Quelques mètres plus loin, le petit Cédric regardait avec des yeux affriolés cet engin rond comme une grande toupie. Pensant à une sorte de manège, il mendia un tour à son père qui refusa sous le prétexte qu’il était trop jeune- et le pilote plus assez- mais lui promit à la place une partie d’avion à bascule, celui de la galerie marchande non loin. Cédric croisa ses bras d’un air boudeur en enviant cet enfant autorisé à approcher le jouet des grands.

– Ce sera sans moi, dit Fred en mettant pied à terre. Je laisse ma place.

Une dizaine de voisins étaient sortis sur le trottoir, dont l’un, en jogging et chaussons Homer Simpson, pointait du doigt l’encombrant futuriste qui serrait de près sa R5. Ce dernier alla interpeller l’équipage, en faisant chuinter ses pantoufles jaune citron.

– Eh ! C’est pas un endroit pour atterrir, ici ! Et juste à côté de mon auto, en plus !

Le ronflement d’un hélicoptère ne lui donna pas le loisir de pousser longtemps ses vociférations.  La libellule d’acier surgit de derrière la ligne de faîte des maisons de l’autre côté de la rue, décoiffant un peuplier au passage, par la force des pâles. Elle volait bas, signe d’orage.

De l’air, c’était le moins qu’on pouvait demander à un ventilateur. Or ce modèle-là, aux couleurs de la gendarmerie, n’avait pas pour vocation de rafraichir l’atmosphère bien que des gangsters en fuite lui devaient par son concours d’avoir été mis au frais. Les passagers en escale virent l’hélicoptère passer au-dessus d’eux, dans un bruit assourdissant, disparaître derrière un toit puis reparaître et, pareil à un moustique en reconnaissance, décrire de larges cercles autour de l’appareil au sol. A terre justement, des mots se frayèrent un chemin dans le raffut des pâles, notamment ceux de Félix livrant son ressenti de la situation.

– Bigre ! Ils ont sorti les gros moyens !

Félix n’avait toutefois encore rien vu, ou plutôt rien entendu, car soudain éclata la voix d’un mégaphone, métallique et démesurée comme un coup de tonnerre.

– Ici la gendarmerie! Je m’adresse au pilote de cet appareil. Veuillez dégager immédiatement la rue et nous suivre  jusqu’à l’aérodrome pour des vérifications.

Le ton ne laissait aucune place à la discussion. Se soustraire à ce contrôle revenait à additionner les ennuis, mais, dans la situation actuelle, Vincent croyait aux vertus de la soucoupe buissonnière. Il tourna un visage fébrile vers Alice, la sage Alice qui n’avait jamais dû faire le mur… même pas celui du son.

– Tu te souviens hier soir quand on a parlé de l’avenir ? cria-t-il pour avoir le dessus sur le bruit de l’hélicoptère. Je t’ai dit que tu peux te faire ouvrir toutes les portes. La preuve, tu as déjà accès au ciel ! Embarque avec nous !

Elle resta d’abord sans voix, prise au dépourvu par cette invitation. Après son aveu d’amour de la veille, Vincent remettait le couvert : soit une grande assiette à cinq places, coiffée d’une cloche de verre.

Enfin, les mots trouvèrent le chemin de la sortie.

–Monter là-dedans ? Mais t’es fou !

– Absolument, et soyons-le tous les deux! Tu vas voir le bien que ça fait !

Alice, sans plus de résistance, se laissa prendre par la main et mener jusqu’au cockpit. Le temps du trajet, sa conscience frileuse et l’appel du grand large aérien se livrèrent à un bras de fer. Au bout du compte, la raison du plus fou fut la plus forte.

– Le carrosse de Mademoiselle est avancé, surjoua Fred en désignant d’un geste majestueux ce gros insecte rond, aux portières-papillons relevées.

Le fracas des rotors de l’hélico, couplé au tonnerre du haut-parleur, avait dépeuplé les maisons du quartier. Sur les deux trottoirs, des grappes de riverains faisaient le pied de vigne, ou de grue. Ne manquant jamais de trouver incongru cet Ovni garé sur la chaussée, les derniers sortis tentaient de glaner la moindre information, agaçants comme des spectateurs en retard voulant se faire raconter le début du film. Et parmi tous ces gens tirées de leur quiétude, se trouvait Pierre Dutilleul.

Le regard concentré, Pierre louvoya entre les îlots de badauds et d’habitants qui formaient du reste quelques beaux archipels, jusqu’à approcher au plus près la singulière attraction. Il n’avait pas idée du coût de cette extravagance, mais savait la valeur de ses enfants par cœur. Or n’était-ce pas son petit dernier en passe de monter à bord ? Son frère aîné lui emboitait le pas. Non, non, il ne rêvait pas.

Il n’eût pas roulé un regard plus affolé en les voyant engager leur tête dans un four allumé.

– Jérémy !

– Punaise, les parents ! Grouille ! lança Vincent à son frère lequel bondit à la place vacante du copilote.

Le jeune homme sauta à son tour dans le cockpit, se serrant contre Alice, ou plutôt Lilowaï qui lui tenait déjà compagnie à l’arrière avec Toze. Alice en travail d’adaptation avec ses voisins de cabine, tentait de s’inspirer du jeu tout en naturel de Valérie Payet dans Canaille Peluche[1]. La fébrilité générale empêchait toutefois d’apprécier pleinement son bout d’essai. A vrai dire, pour l’instant il ne s’agissait pas de lancer une émission mais un planeur dopé à la technologie Alien.

– Ferme les portes, vite ! lança Vincent à Félix.

Le sas en verre se referma dans un chuintement d’air comprimé, coiffant son père au poteau pour un trio de secondes. Tous les jours, des usagers du métro expérimentaient cette frustration à ce détail près qu’eux au moins savaient où allait la rame.

– Hé ! Qu’est-ce que vous faites là-dedans ? articula  Pierre à l’adresse de ses enfants, les mains en porte-voix contre la vitre.

– Vous inquiétez pas m’sieur, ils font un tour et ils reviennent, lui hurla Fred à l’oreille.

Le manège de l’hélicoptère, riche en décibels, mettait leurs cordes vocales à l’épreuve.

– Un tour ? Mais où ça ? Et d’abord d’où sort cet engin? demanda Pierre – dans le désordre- avant de faire intervenir de toute urgence une autre question à la vue de Toze qui tressait les deux bouts de son bandana en l’observant avec nonchalance. Mais ! C’est quoi ça !?

Il s’avisa de la présence derrière le carreau d’une grenouille et d’un chien, eux aussi mâtinés d’humain, et leur fit l’honneur du plus incrédule des regards.

– Çà, c’est de la vie en peluche,  le destin a été généreux, lui glissa Fred dans un élan spirituel.

Catherine Dutilleul, sa fille Vanessa sur les talons, se détacha de l’agglomération de badauds lesquels gardaient encore  une timide distance avec le planeur, pour rejoindre son mari.

–  Génial le design ! s’exclama l’adolescente. On peut y monter ?

Sa mère et elle, en s’approchant, purent voir des heureux à bord du cockpit. Aux bouilles familières.  Si toutes deux admettaient cette initiative fraternelle de baptême de l’air –Jérémy paraissait tellement aux anges-  elles eurent en revanche plus de mal à intégrer la réalité de cette grenouille coiffée d’une casquette leur faisant un salut amiral. Jérémy s’amusait de l’expression de sa grande sœur bouche bée, comme si –chose amusante-  c’était elle qui l’observait depuis un bocal.

– Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Félix à la cantonade. On écoute les gendarmes ?

– On va au bout, décréta Vincent. Mets les gaz ! Il faut trouver l’émetteur.

[1] Emission-jeunesse de Canal Plus avec également Philippe Dana et les marionnettes Corbec et Corbac

roman livre 2 (53

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Un basket… Desserrer les poings, viser et marquer des points. Ah ! Si sa tête pouvait ne plus rien retenir comme un panier percé, laisser filer ses plus noires pensées ! Il entra dans le garage et prit son ballon au pied d’une étagère.

On ne pataugeait plus, son père avait asséché la mare à grand renfort de serpillière. D’autres écoperaient après lui, et autre chose que de l’eau ! Quel sort réserverait-on aux Goozmes ?

Pierre remettait de l’ordre dans son établi. Marteaux et clés de 12, jetés en première ligne dans la bataille du sous-sol, répondaient à l’appel. A la radio, Céline Dion s’époumonait sur « Pour que tu m’aimes encore ».

– P’pa, tu viens faire des paniers ?

– Je suis occupé, Jérémy. Une autre fois.

Une autre fois… C’était toujours pareil ! Son père lui lisait autrefois des histoires avant de dormir. A son tour de lui en raconter une, qui commencerait par: il était une autre fois, un papa qui n’avait jamais le temps de faire un basket avec son petit garçon. Il imagina sa maîtresse d’école, plantée devant le garage, sifflant le début de la récréation. Son père sortirait en criant et sautant dans tous les sens avant de lui arracher des mains son ballon. En vrai, la dernière fois qu’il l’avait vu dribbler, le panier lui semblait plus haut. C’est dire alors  si ça remontait… et si lui aussi s’était rehaussé. Merci la soupe de maman ! Mais grandir ne le rendait pas  forcément  meilleur.

Au premier essai, il frappa le panneau de basket. A la deuxième tentative, le ballon tourna autour de l’arceau avant de ressortir. Mais, à l’arrivée d’une visiteuse impromptue, le récalcitrant se montra soudain plus docile. Jérémy marqua un duo de paniers consécutifs. La jeune fille les salua tous les deux, son exploit et lui.

Son visage était un doux paysage où régnait un soleil de blond. Alice portait sous son manteau entrouvert un pull au mauve un poil trop criard. Le gamin garda pour lui ses considérations esthétiques, ne voulant pas avoir maille –de chandail- à partir avec elle.

– Bonjour. Vincent est là ?

– Non, il est sorti.

Une question toute simple, mais au vu de la moue déçue de la jeune fille, il avait dû se tromper de réponse.

– C’était important?

– Non. Enfin, si. C’est à propos de notre soirée d’hier.

Elle plongea ses mains dans ses poches arrière. Ça faisait autant de fouilles occupées, heureusement son jean taille basse comptait encore d’autres cachettes où glisser un mot doux. Vincent s’était-il risqué à ce petit jeu du billet ?

– Mon frère vous aime beaucoup, déclara le gamin qui se sentait soudain une âme d’entremetteur.

– Vraiment ? sourit Alice en plissant des yeux.

A froncer ainsi des mirettes, la belle devait avoir un problème de vue. Jérémy, quant à lui, y voyait très clair.

– Il vous adore même, renchérit le bambin, en dribblant d’une main nonchalante.

– Dis-donc, tu me parais bien au fait !

– Ça saute au nez, répondit le petit basketteur avant de feinter une passe en sa direction.

Alice leva ses mains devant son visage, dans un mouvement de réflexe.  Fausse alerte, le ballon ne parvint jamais jusqu’au destinataire. Le gosse le fit rebondir à nouveau sur le béton de l’allée du garage

– Il devrait bientôt revenir, vous pouvez l’attendre. On se fait des paniers ?

– Euh… Merci, mais je n’ai pas vraiment le temps. Tu lui diras que je suis passé ?

L’arbitre, ne voulant rien entendre, sonna le coup d’envoi du match. Son sifflet, à vrai dire plus chuintant que fracassant, rappelait plutôt une fuite de gaz. Les deux jeunes gens regardèrent vers le ciel empourpré. Avait-on jamais vu d’arbitre aussi élevé, même au tennis ?

Au-dessus d’un toit voisin, se profila soudain une ombre aux contours circulaires. Des chanteurs lançaient de nouveaux disques mais très fort était celui qui en envoyait à cette hauteur ! C’était rond comme un  vinyle sans sillons… Du moins, sans sillons dans le ciel.

Jérémy vit tour à tour un énorme œuf sur le plat, un couvercle de presse-agrume avant de pencher plus prosaïquement pour une soucoupe volante.

– Qu’est-ce que c’est ? murmura Alice, escortant des yeux l’appareil.

Ça planait en douceur à quelque quinze mètres de mètres du sol quand alors le beignet tout rond se transforma en éclair, le temps d’une prodigieuse accélération. L’objet fit une incursion de deux secondes derrière le mur du son avant de repasser la barrière et de stopper net. Le pilote poussa à nouveau les gaz, pila aussi sec, s’élança de plus belle, répéta plusieurs fois ce manège saccadé, donnant l’impression de n’avoir pas encore tout à fait son appareil en main. Ou plutôt en patte… car si d’un point de vue conventionnel ce « truc » n’avait pas sa place au-dessus des maisons, un humain l’avait encore moins derrière les commandes.

Jérémy mit cette conduite peu académique sur le compte de l’inexpérience, sans doute d’un Goozmes en soucoupe-école. Il dressa dans sa tête la liste de tous les instructeurs potentiels. A vrai dire un seul nom lui venait à l’esprit, celui de Minigal. Mais alors d’où diable sortait cet aéronef ?

Et s’il s’agissait d’autres Espions ? Dans tous les cas, ces visiteurs ne devaient pas se trouver là par hasard, et peut-être attendaient-ils une bonne raison pour atterrir. Comment leur faire savoir ?

– Je reviens ! dit Jérémy en courant vers la maison.

Alice le vit s’engouffrer dans le garage. A son retour, le garçon la mit au défi du jeu des « une différence ». Le détail tenait à la petite lampe torche qu’il serrait à présent de sa main droite. Ses chances d’attirer l’attention de l’ovni relevaient de l’improbable, d’autant plus quand le soleil couchant se faisait briller, mais Jérémy ne s’arrêtait pas à ces considérations.

Il sortit sur le trottoir sans cesser de fixer l’étrange objet qui se rapprochait à nouveau de la maison. Un soir de vacances, son grand-père lui avait appris le b.a.-ba des signaux lumineux. Dans ses souvenirs, un SOS se traduisait par 3 éclats brefs, 3 longs et 3 brefs. Il pointa donc le faisceau en direction du ciel, en l’occultant par intermittence. Alice le rejoignit, fort intriguée. Si le gosse avait les clés du contact avec le troisième type, alors elle voulait bien un double.

– Tu crois qu’ils vont voir tes signes?

– Il le faut ! Si c’est des Espions, ils peuvent sauver mes amis ! Hé ho ! cria-t-il à grands renforts de gestes.

– Des Espions ? répéta la jeune fille, suivie de tout un cortège de points d’interrogation.

– Ils viennent de Goozmes, ils nous observent depuis toujours ! Je sais tout ça par Athos qu’est un savant de là-bas. Son vaisseau s’est écrasé, et il est venu se cacher à la maison avec tout son équipage. Et hier la police m’a pris mes amis !

Cet œuf sur le plat volant accusait-il de vaillantes années lumières au compteur ? Alice voyait planer un doute dans le ciel corbenois. Pour Jérémy, ça avait plutôt l’air d’une certitude. Aucun n’imaginait que la vérité viendrait tomber à leurs pieds, comme une pomme trop mûre. L’automne entraînait-il la chute des soucoupes ? Le garçon n’eut pas le temps de se poser la question, pas plus de se demander si sa jolie camarade pouvait être assez mûre pour la vérité. Toujours est-il que l’objet se stabilisa au-dessus de la rue de Chauvigny,  maintint un vol stationnaire pendant plusieurs secondes avant d’entamer une descente verticale dans un sifflement feutré.

– Il ne va pas se poser là quand même ! dit Alice.

Elle sentit soudain une main d’enfant saisir la sienne et tirer sur son bras. Le reste suivit docilement le mouvement. Elle avait déjà vu des papillons se poser sur la voie publique, contre les pare-brise de voitures, mais des machines volantes, jamais. Une rue de lotissement… drôle de point de chute pour des extraterrestres. Le mot « chute » prit du reste tout son sens quelques instants plus tard. Erreur de commande ou regain de force de gravité ? Une fleur n’aurait pas fait d’atterrissage plus délicat quand brusquement le véhicule se laissa choir au sol avec la pesanteur d’une vieille casserole.

Jérémy courut vers le disque qui bloquait toute la chaussée. Les voitures se faisaient heureusement rares le dimanche dans la rue de Chauvigny. Stationner sur une grande artère c’eut été pousser le bouchon un peu loin, tout du moins assez pour se demander si le pilote avait bien refermé celui de sa bouteille.

Des visages familiers peuplaient le cockpit. A bord, le ton était monté encore plus vite que n’était retombée la soucoupe, entre Vincent, les Espions et un vieux monsieur en salopette, à grands renforts de gestes. Un sésame pour l’espace, le voyage n’avait même pas commencé, et déjà une dispute ? Qu’en serait-il au bout d’une ou deux années lumières ?  Jérémy ne le saurait jamais, cet engin quitterait ce monde sans lui… mais avec Athos et ses compagnons, cela il se le jurait.

Les portières de la soucoupe s’ouvrirent comme des ailes, libérant Vincent heureux de renouer avec la terre ferme au point de s’agenouiller et de baiser le bitume, comme Jean Paul II. A bord, cependant, les esprits s’échauffaient. Minigal et l’homme à la salopette, sanglés au même siège, se renvoyaient les torts dans le couac de l’atterrissage.

– C’est ça que vous appelez se poser ! Je vous préviens, si vous m’ fusillez ma machine… !

– Mais il ne fallait pas tirer sur le manche !

– Je vous ai dit doucement sur les gaz ! Et qu’est-ce que vous faites ?

– Je n’ai encore jamais piloté d’engin primitif, essayez de vous mettre à ma place !

Il dut être tentant pour l’aviateur de prendre l’invitation au pied de la lettre, de s’asseoir à son tour sur le Marafrogue et de l’aplatir, histoire de lui apprendre le respect. Heureusement, on en resta aux mots.

– Primitif mon engin? Peut-être. En attendant, il vous rend service ! Alors parlez-y autrement !

Tout à ses retrouvailles avec le plancher des vaches, Vincent ne s’avisa qu’après coup de la présence de spectateurs, qui n’avaient pas osé le couper dans son élan d’effusion. L’adolescent se releva avec la précipitation et l’embarras d’un écolier pris en faute.

Jérémy décocha un coup de coude complice à Alice.

– Tu voulais voir mon frère ?

Elle se trouvait muette, déroutée par cette entrée en scène. Où était-il fait mention d’une soucoupe volante dans le scénario ? Et – grands dieux !- Depuis quand donnait-on la réplique à des peluches ? Depuis que celles-ci sont en mesure de vous parler. Jérémy laissa le soin à la jeune fille de retrouver ses mots, qui devaient être quelque part… Comme les Goozmes. Des questions se bousculaient au portillon, dont une avait un laissez-passer prioritaire.

– D’où vous sortez ce truc là ? s’exclama l’enfant en caressant la proue de l’appareil.