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Je me souviens avoir repris toute ma connaissance à l’intérieur d’une cage entourée de barreaux. Les miens de barreaux d’échelles de secours me faisaient mal et mes maxillaires étaient au bord de l’élongation. Un gaz hilarant m’avait été administré lors de mon arrestation, devais-je apprendre plus tard, seule arme d’une police habilitée à ne tirer que sur les zygomatiques. Mes yeux pleuraient au mépris du règlement affiché en grandes lettres près de la porte de tente : « Déposez vos larmes à l’entrée »
Un geôlier dans un costume grotesque, les deux péniches sur son bureau, lisait le journal. Le monde tournait à la rigolade à l’entendre pouffer au fil des pages. Je glissai un œil à travers les barreaux. Le canard s’appelait : « Gazette des risettes »
– Hé ! l’interpellai-je. Vous n’avez pas le droit de me retenir ici !
Ma voix dut se perdre dans les couloirs auditifs du gardien, lequel ne broncha pas.
– Ho ! Vous m’entendez ?… Enfin, laissez-moi au moins passer un coup de fil !
– A qui ? daigna enfin me répondre le peinturluré.
– Mon avocat !
– Impossible. Les seuls numéros autorisés ici sont les numéros de clowns.
Mis au violon je trouvai à propos de mimer cet instrument avec mon nez, imitant Louis de Funès dans Oscar.
– Vous avez fait un mauvais numéro, ricana le standardiste avant de se reconcentrer sur son journal.
Pâle copie, à revoir donc. Un peu grisé par mon abstraction, je m’agrippai des deux mains aux barreaux. Ah, si je pouvais les tordre ! Pas à la force de mes mains, mais dans ce monde une blague drôle bien racontée devait suffire à les plier de rire. Le problème, c’est que je ne connaissais aucune histoire.
Un tour d’horizon visuel me fit prendre la pleine mesure de cette tôle sous chapiteau avec ses enfilades de cellules, presque toutes vides. Sur ma droite, près du bureau du shérif-clown, un râtelier empli de fusils colorés. Une prison quasi déserte disais-je, car un nez-rouge occupait la cage contiguë à la mienne. Mon suicidaire ! Son pathétique bout d’essai lui avait valu d’être retenu pour « l’étrange créature de l’acte noir », et sans doute contre son gré.
– Ça va mieux ? m’enquis-je.
Le clown, du fond de sa geôle, me regarda avec une mine qui tirait vers le dépôt de bilan.
– Non, on dirait, compris-je en m’asseyant sur un parterre de paille.
Un dialogue peut s’apparenter à un ping pong. Mais si je disais à ce chagriné d’engager la balle, il penserait fatalement à un chargeur de revolver. Je tentai un service, à messe basse.
– Pourquoi on t’a enfermé ? Ils ont fait usage de la farce sur toi aussi ? Moi, ça ne m’a fait marrer qu’après coup.
– Coffré pour exhibition de déprime. Leur juge va me recoller en centre de redressement des zygomatiques et puis après ? J’en reviendrai toujours au même point.
Sa voix vibrait, comme montée sur roulement à billes. Ce pauvre bougre faisait vraiment peine carcérale à voir.
– Un peu de sérieux, on n’arrête pas les gens au motif qu’ils ont le cafard ! protestai-je.
– Mais si ! Vous n’êtes pas d’ici ? Le maire a décrété l’état de joie. Toute manifestation de morosité en place publique est prohibée à cause d’un risque de contamination sur la population. On peut se retrouver en quarantaine !
J’en conclus que le port du deuil ne devait pas être en odeur de sainteté à moins que la mort elle-même fût bannie de Clownville. Délivrés de cette angoisse existentielle, tous ces zozos avec leurs fanfreluches se riaient-ils de l’éternité ? Dans l’attente de mon sort, autant tuer le temps en questionnant mon voisin sur ces notions de vie et de trépas. Je pris soin d’y mettre les formes.
– Dis-moi l’ami, qu’est-ce qui a éteint le soleil dans ton cœur ?
– C’est parce que mon lama s’est fait allumer !
Le malheureux ne me laissa pas sur ma faim quant à la fin prématurée de son camélidé. L’animal, par sa manie d’arroser les gens à la moindre contrariété, avait attisé la rancune ô combien cuisante d’un clown cracheur de feu. Les yeux humides, son maître remuait des cendres encore brûlantes. L’histoire ainsi narrée ne disait pas si la victime avait été incinérée. Autant faire les choses jusqu’au bout, raisonnai-je avec une froideur désinvolte. Comme pour enfoncer le clown, cette vision d’un barbecue en deux temps déclencha en moi un fou rire irrésistible. Ah ! On faisait un bel assortiment tous les deux, le sans-cœur et le déprimé, se donnant en spectacle sous un chapiteau à guichet très fermé. D’ailleurs notre geôlier dut croire à une répétition, car il voulut tout réentendre depuis le début.
– Ta bonne humeur va jouer en ta faveur, m’assura le grimé. Dis-moi, pourquoi tu te marres ?
Tout s’achète, y compris l’intégrité. Malheureusement sans un rond, je tentai quand même Beaumarchais avec le gardien.
– Je rigole, de peur d’en pleurer. Parce qu’au train du réchauffement climatique, la température de la Terre va prendre 5 degrés ou de force. Alors comme me dit ma mère : ris donc, tu te plisseras moins !
« Quoi d’autre de tordant ? Les abeilles crèvent à cause des produits chimiques. C’est cuit pour l’humanité ? Non, circuits ! Imprimés, car on va faire le boulot de pollinisation par des drones. J’ai voulu avertir une ruche, mais trop tard… Puis je me suis souvenu du dicton : vaut mieux s’adresser à Dieu qu’aux essaims, surtout des essaims morts.
« Dieu, justement, c’te poilade ! Délivrez-la-bonne parole ! (en scandant chaque mot avec le poing). Les dieux, aux armes ! Suis mes préceptes de tocard, Tintin, sinon couic ! Je me marre rien qu’à imaginer le Grand Architecte faire un état des lieux (prenant sa voix magistrale) Non mais la cohabitation à 5 milliards, c’est plus possible ! Ouvrez les fenêtres, nom de moi-même, on ne respire plus !
« Sur ce, le proprio ouvre les placards de l’Eglise. Tous ces cadavres à l’intérieur ! Un tour dans la salle de bains et que voit-il au fond de la baignoire méditerranéenne ? Un immense cimetière ! Parce que la liberté peut se payer très cher, et que la plupart des factures sont à son nom divin. Tordant, non ? A Clownville aussi, ça vous titille les zygomatiques ?
Pas vraiment, à voir la mine atterrée du maton pris de vitesse par ses émotions. Des larmes roulèrent le long de ses joues peintes, qu’il essuya du doigt avec une précipitation honteuse.
– Extorsion de pleurs sur la personne d’un clown-shérif ! Ça va vous coûter cher ! renifla-t-il avant d’aller se rasseoir à son bureau.
– Et c’est ma faute à moi, si vous êtes un grand sensible ?
***
Je repris mes esprits dans des draps bleus délavés. Le tic tac laconique d’un réveille-matin. Le soleil découpé en tranches par les stores vénitiens. Un rêve ! Tout cela n’avait été qu’un rêve ! Rasé de frais et habillé, je voulus prendre un petit-déjeuner. Sur une boîte de céréales, un clown au maquillage écarlate me souriait avidement. Tout bien considéré, c’est bourré de sucre ces cochonneries !
Dans la rue, je croisai plusieurs passants dont aucun ne souriait. Pas la moindre lueur d’espièglerie dans leur regard. Clownville et sa dictature du rire ne me manquait pas, mais quand même… Trouver un juste milieu. Plus loin, un flic était penché à la vitre d’une voiture, en train de parler au conducteur. Mon pied me démangeait, comme si Stan Laurel lui-même en avait pris le contrôle. Un coup de pied aux fesses… Chiche, j’ose ?