Tout un roman

 

Chers ami(e)s blogueurs, j’ai le très grand plaisir de vous informer de la parution très prochaine du tome 1 de mon roman S.F Les Passagers des Étoiles publié en feuilleton sur mon blog. Il sera bientôt disponible aux Editions Ethen.

Je remercie MMC Prod-Graph pour son travail sur la couverture, très spatiale.

L’histoire? Certain(e)s la connaissent déjà, du moins en partie, mes fidèles aminautes, qui m’ont lu et commenté (et motivé !) épisode par épisode.

Voici le résumé sur la 4e de couverture

Chambord, haut lieu touristique. Son château attire jusqu’aux confins de notre galaxie.

Un astronef Goozmes s’écrase deux cent kilomètres plus loin, près d’Alençon. Certes, une paille en comparaison des 40 années-lumière déjà parcourues. Mais pour les sept membres d’équipage, venus dans un but d’exploration culturelle, terminer le voyage va relever d’un sacré défi. Le monde des Humains recèle en effet moult dangers pour des Goozmes, petites peluches espiègles. Réfugiées dans une maison, ces dernières trouvent en Jérémy, jeune garçon solitaire, un précieux guide. Mais l’enfant entend bien garder pour lui ces jouets tombés du ciel, quitte à leur faire revoir leurs priorités.

Le tome 1 couvre les chapitres 1 à 7. Le tome 2 suivra dans le courant de l’année 2020.

Laissez-vous embarquer avec les Goozmes, d’attachants envoyés spatiaux, pour un voyage riche en aventures et en bonne humeur !

roman: extrait inédit du livre 1

La correction de mon roman avance tranquillement. Je fais des coupes mais aussi des rajouts comme cette scène qui ne m’est venue à l’esprit qu’après coup.

A ce stade de l’histoire, nos amis Goozmes sont les hôtes cachés du petit Jérémy, installés dans le sous-sol de la maison.

 

Ce matin-là, Jérémy emporta un ouvrage de plus dans son cartable, en la personne d’Athos. Intégrer la créature à la liste des manuels scolaires eût été faire honneur à son savoir qui, d’après le gamin, devait dépasser le cadre des programmes de CM1 et sans doute même les frontières des connaissances humaines. Comme l’éducation nationale n’était sûrement pas prête, du moins sa maîtresse, Jérémy demanda de la part de l’auditeur libre la plus grande discrétion. Ce dernier lui promit de se montrer digne de ce privilège et de rester bien sagement au fond du sac.

Athos tint parole pendant la leçon de calculs bien que cette parole, justement, le démangeait. Quand il lui prenait des velléités de réponses aux questions posées par l’enseignante, son jeune ami le rappelait au silence par de discrets coups de pied dans le cartable.

Enfin arriva l’heure de la récréation. Une fois la salle de classe entièrement désertée, le clandestin prit sa part de défoulement non pas dans la cour mais au tableau noir.

L’œil rivé sur son cheptel de têtes blondes, Françoise Rochard ne pouvait voir la créature à l’œuvre. En bonne pédagogue, la quadragénaire donnait des clés de compréhension à ses élèves, du moins certaines car aucune de son trousseau personnel n’ouvrait l’équation écrite à la craie. Quelle ne fut pas sa surprise à son retour de découvrir un graffiti de chiffres et de symboles ; une simple formule mathématique sur les trous noirs enseignée en cours élémentaire sur Goozmes. Les murs de la classe abritaient donc un génie? Elle n’en avait encore vu aucun en la matière parmi ses petits anges dont les meilleurs maitrisaient tout juste la division. Troublée, elle prit un chiffon pour effacer, arrêta son geste comme par peur d’offusquer l’auteur. Le fantôme d’Einstein ?

– M’dame ! C’est qui qu’a écrit ça ? C’est pas vous ! observa un garçon du premier rang.

– Si je le savais, soupira l’enseignante en passant une main dans sa tignasse poil de carotte.

– Et ça veut dire quoi ?

– Euh… On décodera ça un autre jour… Bon, ouvrez votre cahier de français !

Jérémy rencogné dans sa chaise, tança du regard le farceur caché juste sous ses pieds. Du fond de son cartable, Athos lui renvoya un sourire espiègle.

La cloche de midi libéra les petits estomacs gargouillants. Un clandestin allait d’ailleurs se faire sonner tout un carillon pour désobéissance. Jérémy fourra en toute hâte livres et manuels dans son casier, plus que jamais pressé de rentrer chez lui. Mais des ennuis l’attendaient à la sortie de la salle de classe, en la personne d’un petit replet à lunettes.

– Hé ! Dutilleul ! Tu caches quoi dans ton sac ?

Il s’appelait Florian. Jérémy n’aimait pas la façon qu’avait le garçon de le dévisager de côté, le sourcil arqué, l’œil arrondi derrière ses verres, comme un rapace un peu miro. Quoiqu’en y regardant de près, son regrettable camarade tenait moins de l’aigle que de la poule.

– Rien. Pourquoi ?

– Je t’ai vu mater plein de fois à l’intérieur. Qu’est-ce tu planques ?

En classe, l’attention de Florian passait fréquemment en zone interdite, sous une ligne entre Brest sur la carte de France à sa droite et le troisième radiateur à gauche de la fenêtre. Ça lui avait d’ailleurs valu plus d’une ligne sur son bulletin scolaire. C’est devant que ça se passe ! rappelait sans cesse la maîtresse.

– Rien, je te dis.

Le Big Leu, son surnom, approcha son visage de Jérémy, lui renvoyant une haleine tiède aux relents gastriques. Une vidange s’imposait.

– Vraiment ? En me levant j’ai cru apercevoir une espèce de peluche. C’est ton nounours ?

Ce ton bêtifiant vis-à-vis de son camarade rassurait le Big Leu sur sa propre maturité.

– Lâche-moi ! soupira Jérémy en voulant s’esquiver vers la porte de la cour.

L’enquiquineur, grassouillet mais vif, entrava la sortie avec un sourire de défi.

– Ouvre ton cartable !

En plus de regarder de biais sa victime, ce garçon entendait de travers et prit son refus d’obéir pour un aveu. Des élèves prirent l’accrochage au vol dans l’espoir jouissif de voir autre chose voler ou, mieux encore, quelqu’un.

– Tu veux pas ? T’as honte, Dutilleul ? minauda Florent d’une voix mielleuse. Faut pas avoir honte d’emmener son doudou à l’école à neuf ans !

Les bésicles du  joufflu ouvrirent la valse, désarçonnées par une claque furtive. Ce coup de sang déclencha une ola enthousiaste dans l’assistance.

– Mes lunettes ! piailla le Big Leu en les ramassant par terre. Si t’as cassé mes branches… !

Madame Rochard, attirée par les cris, sortit dans le couloir au pas de charge.

– Qu’est-ce qui se passe ici ?

– Jérémy a fait tomber mes lunettes ! Elles sont tordues !

– Tous les deux, vous venez avec moi dans mon bureau !

Un peu plus tard, Jérémy regagnait le chemin des pénates, le nez dans ses baskets, le pas traînant. Quelques passants auraient pu s’inquiéter à la vue d’un enfant parlant tout seul. Un psy sur le dos en plus de son cartable, c’eût été vraiment trop lourd pour lui. Il refaisait le match, injustement arbitré à ses yeux, avec Athos bringuebalé entre ses cahiers.

– Tu aurais dû ouvrir le sac. Ton camarade n’aurait vu qu’une peluche ordinaire.

– Pour être la risée des autres ? Il n’avait pas d’ordre à me donner. Il l’a cherché !

– Te voilà bien avancé maintenant, ta maîtresse a convoqué tes parents.

– C’est dégueulasse ! Faut dire aussi que je la trouvais nerveuse depuis ton petit numéro au tableau. Elle doit toujours se poser des questions.

Tous deux rejoignaient la maison en ignorant que, dans la matinée, Froggie aussi avait commis un écart… Chez les voisins.

 

 

 

 

 

roman livre 2 (la fin)

Le Bizur réquisitionné pressa un bouton mural. Il y eut un bourdonnement électrique et les deux dévoués serveurs descendirent au niveau inférieur.  Une trappe se referma au-dessus d’eux.

La salle des contrôles communiquait avec les versants de toiture du vaisseau assez épais pour y aménager les chambres d’équipage, l’infirmerie et la cambuse.

Plusieurs cerveaux dont P’tit Prof avaient planché sur la conception de ce modèle d’astronef; des génies Goozmes de la physique aux égos plus faciles à froisser que les « feuilles » contenues entre ses couvertures. Ces plaques en métal argentées, festonnées d’arabesques scintillantes, faisaient office de panneaux solaires. L’appareil hybride se propulsait à l’énergie du Bigoflux et à celle des étoiles environnantes.

– Non, pour Barny c’est différent. Il a perdu à 1,2, 3 sommeil, dit Athos en regardant Orsie et son frère au bois dormant disparaitre avec l’ascenseur. Direction l’infirmerie.

Sly s’avança alors à la rencontre du capitaine et les deux anciens compagnons de caserne- un seul était resté dans l’armée – s’étreignirent sans retenue, à grand renfort de claques viriles dans le dos

– Sétinmax, vieux moustachu ! Content de te voir ! Comment nous as-tu retrouvés ?

– Par l’interception d’une conversation radio entre une patrouille lancée à votre poursuite et sa base. Nous étions posés aux abords du Palais de Chambord derrière un écran d’invisibilité, attendant, espérant un signal de vous, le moindre indice. Nous nous sommes aussitôt mis en route. C’est alors que nous avons aperçu le luminix.

– Je savais que tu ne nous abandonnerais pas !

– Tu en aurais fait autant, Sly !

Les deux barmen remontèrent à la surface. Ils portaient chacun un plateau avec des verres remplis d’un contenu à prendre au second degré d’alcool. La Picolichette présentait une couleur bleu-vert phosphorescente, toujours pratique pour trinquer dans le noir. Cette boisson, très populaire sur Goozmes, s’obtenait à partir de jus de glomèche macéré et fermenté dans la panse de Monstres-Tonneaux, des créatures pachydermiques élevées à cet usage.

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roman livre 2 (66)

Le blackout sembla durer une éternité quand enfin la liaison se rétablit entre le ciel et la terre. L’architecture Alien s’était déplacée et un rayon de lumière ténu tombait à même la piste. Couché sur le flanc dans la pénombre, les pâles tordues comme des baleines de parapluie après un coup de vent, l’auxiliaire de gendarmerie agonisait. Pauvre insecte habitué à se poser avec la délicatesse d’un papillon ! La portière du cockpit restée ouverte pendait de guingois, la vitre fracassée. Autant de dégâts et encore d’autres à mentionner sur son carnet de lésions. La coupure de son système électrique avait évité l’embrasement ; toutefois une odeur prégnante de kérosène donnait matière (hautement inflammable) à inquiétude.

– Tout le monde recule ! ordonna le pilote. Ça peut exploser!

Sly pour qui ces vapeurs étaient sans reproche, s’avança vers la passerelle ascensionnelle. Ses yeux brun-foncé brillaient d’une sérénité inédite, celle d’un être qui savait ce qu’il allait trouver là-haut. La fin d’un voyage, le début d’un autre. Arrivé au pied de la colonne pourpre que sillonnaient une myriade de bulles pareilles à celles d’une boisson gazeuse, il se retourna. Ses frères d’équipée lui avaient emboité le pas sans réaction de la part du commandant Moulin d’une passivité résignée.

Le gendarme savait vain et périlleux de tenter de les retenir. Contrarier un ramassage spatial pouvait lui valoir de se faire récupérer à son tour, et vraisemblablement à la petite cuillère. Et puis après tout, en quoi laisser embarquer les passagers posait un problème? Cela en réglait plutôt un à son sens. Il pensa à sa femme et à sa fille, seules en train de souper, loin de ce fascinant  spectacle dont ses yeux essayaient de s’imprégner. A son retour peut-être verraient-elles toujours imprimé dans sa rétine le reflet du Vaisseau-Livre? Quel beau cadeau alors !

Les Goozmes, avant de s’introduire dans le fût de lumière, adressèrent un signe de la patte à leurs trois compagnons de route.

– Merci mes amis ! leur lança Athos. Merci pour tout ! Nous ne vous oublierons jamais !

Mais Jo décida de pousser plus loin la mission de reconnaissance pour ne pas dire de gratitude éternelle envers Etienne, Yohan et Hélène. Le Bongrosum revint vers eux en trottinant  et, de toute la force de ses petites pattes, enlaça leurs guiboles chacune après l’autre avec le tendre sourire d’un chat. De la même façon, il voulut témoigner ses sentiments à Flambeau. Surpris, le cheval secoua frénétiquement la jambe avec un grognement jusqu’à se débarrasser de l’affectueux parasite. Hélène prit Jo dans ses bras et le serra fort, sa tête contre la sienne.

Le pas hésitant, d’une timidité inédite, Froggie alla chercher elle aussi sa part de câlins. Suivirent Athos, Sly, Spikey, et Orsie qui tenait dans ses bras son frère anesthésié. Etienne, sentant ces âmes assez mal à l’aise avec l’exercice des adieux, leur fit grâce de l’épreuve orale. Dévotement, il traça un grand signe de croix

– Allez en paix mes bons amis ! dit-il d’une voix étreinte par l’émotion. Bénie soit votre route vers les étoiles !

Hélène passa son bras gauche autour du cou de Yohan, l’autre autour d’Etienne, et les fit s’accroupir. Chaque Goozmes tourna la tête vers son voisin, lui prit la patte et tous ensemble, Humains et frères cosmiques, formèrent un cercle imparfait. Mais tant « pi R carré » pour les puristes de la géométrie ! L’abbé sentit la fourrure chaude et moelleuse d’Athos et de Sly contre sa poitrine. Les yeux fermés, le temps d’un instant, il se figura les vastes étendues spatiales et ses sons. D’ailleurs, n’entendait-il pas une sorte de pulsar ? Non. C’était seulement son cœur et peut-être celui de ses amis qui battait plus vite.

Ce moment de communion n’était pas de nature à émouvoir Henri Beaumont. Voir s’envoler ces passeports pour le futur et rester ici-bas toujours au point zéro ? Impensable dans l’esprit du scientifique. Il avait tant à apprendre de ces spécimens et ne voyait qu’un moyen pour les rendre coopératifs. Ni une ni deux, il ramassa la carabine hypodermique, à l’abandon sur le sentier, dans la pénombre du rayon pourpre.

L’intervention de Moulin fit dévier in extremis son tir. La fléchette alla se perdre loin de son cap initial avec un sifflement aigu. Partager un « canon » pendant le service était contraire aux habitudes du commandant de gendarmerie, a fortiori si c’était celui d’un fusil.

– Donnez-moi ça, nom de dieu ! gronda ce dernier en essayant de lui arracher son matériel des mains.

– De tels cadeaux pour la science ! haleta le professeur, les yeux exaltés. Et vous voulez les laisser partir ?

– Demandez-vous si on les mérite !

Avant que son adversaire surexcité n’eût eu le temps de porter le premier coup, son bras se détendit comme un ressort. Un direct du droit envoya l’universitaire dans les vapes. Le Volapage Solar aurait disparu au réveil d’Henri Beaumont, laissant dans l’air frais de la nuit une prégnante odeur d’ozone.

– Ce truc ressemble vraiment à un livre, se dit l’officier tandis que les pelucheuses créatures montaient vers le vaisseau.

Que disait ce livre ? Un jour peut-être, l’équipage reviendrait sur la Terre pour en faire la lecture. Un jour où nous serons prêts et à l’écoute, comprit Moulin.

 

5

 

D’un bout à l’autre de la tranche du livre-vaisseau, s’étendait la salle de pilotage. De chaque côté, sur des consoles en dessous des hublots dentelés en forme de marguerites, clignotaient une myriade de voyants multicolores.

Un être Humain adulte se serait senti engoncé dans ce cockpit longiligne, incapable de se dresser sans se cogner aux étoiles artificielles qui scintillaient au plafond. Trop petit d’espace? Juste une question d’échelle et la providence en avait justement jeté une d’échelle, éclatante de lumière, à sept naufragés en terre ferme.

Un comité d’accueil attendait ces derniers à leur sortie du sas ascensionnel. L’équipage, avec un dévouement de sages-femmes, se tenait aux petits soins de ces « nouveau-nés » de retour dans le giron maternel. A sa démarche titubante, Athos donnait impression d’avoir un verre dans le nez en plus de ceux sur son museau. Le passage par le rayon aspirant pouvait provoquer des étourdissements quand on manquait d’entrainement. Deux pattes rattrapèrent le Canidogue avant que sa trajectoire hasardeuse n’eût pris une tournure horizontale.

– Eh bien, cher professeur ! Reste avec nous !

Athos reconnut Sétinmax.

Sétinmax était le seul représentant à bord de la famille des Minourévas. Cette sorte de chat bipède au poil roux incarnait le dernier maillon d’une évolution débutée bien avant Matousalem. Ses années passées à la tête de missions sur la planète Terre lui avaient fait acquérir un savoir aussi pointu que ses oreilles dans plusieurs domaines. Il portait une combinaison de couleur beige avec un trou aménagé pour sa queue virevoltante. Le personnel navigant comptait cinq membres en plus de leur capitaine félin ; un Bizur blanc, plus grand que Sly mais moins trapu, trois Canidogues dont l’un au pelage bigarré et un Bongrosum qui s’employait à ranimer Jo.

– Faut le faire revenir à lui à feu doux, expliqua Sly au secouriste. Je vais te montrer.

Un aller-retour magistralement envoyé sonna aussitôt le glas de la sieste. La cuisine du Chef manquait vraiment de délicatesse à voir les joues cuisantes de son client à longues oreilles. Athos, de son côté, voulut rassurer Sétinmax.

– Ca va aller, le temps pour moi de retrouver le pied spatial. A ce propos, j’espère que Barny ne se réveillera pas de la patte gauche, dit-il en désignant le Jumeau toujours dans les bras de Morphée.

– Lui aussi s’est évanoui pendant l’ascension? demanda le capitaine avant de réquisitionner le Bongrosom et le Bizur. Glapito, Rugidézo, apportez des grands verres de Picolichette à nos amis. Il leur faut un remontant.

roman livre 2 (65)

A cet instant, comme si quelque dieu avait entendu sa requête, une lueur tomba sur lui. Aurore inopinée ? Pour revenir ainsi à l’improviste, le soleil devait avoir oublié quelque chose.

Mais ce n’était pas l’astre du jour.

L’intérieur de l’habitacle s’emplit d’une douce clarté violine aux nuances inouïes, éclatante sans être aveuglante. On ne plissait pas les yeux sous cette lumière, on les écarquillait toutes pupilles dilatées, on s’en faisait un bain visuel de sérénité dont la chaleur s’en allait irriguer le reste du corps.

L’illumination pourpre d’une pureté paradisiaque catapulta dans l’esprit de Moulin la question de l’existence d’un royaume céleste. Sly, en le bousculant au moment de sortir de la carlingue, l’arracha à sa torpeur mystique. Un peu étourdi, il descendit de l’hélicoptère sans plus se préoccuper des Goozmes qui tous regardaient vers le ciel.

Figé au pied de la colonne étincelante, Henri Beaumont, sentait comme des embruns de lumière caresser son visage et répandre en lui une onde de chaleur. Une odeur âcre d’ozone et de poudre brûlée, pareille à celle qui plane dans l’air durant un orage, imprégnait ses narines. S’il existait de bons conducteurs de foudre, il devait s’en trouver un particulièrement chevronné aux commandes du vaisseau d’où jaillissait le rayon.

Engourdi d’émerveillement, le professeur demeurait muet. Peut-être ses mots avaient-ils été aspirés, emportés vers le bouquin volant pour se déposer sur le papier. Car la forme de l’appareil en stationnaire au-dessus de sa tête lui évoquait  celle d’un livre d’une vingtaine de mètres d’envergure, ouvert en éventail.

L’abbé Etienne décrirait une toiture très inclinée, en suspension, festonnée d’une myriade de balises clignotantes. A l’intérieur de la structure triangulaire, pendaient des sortes de panneaux pivotants ; fins et nombreux, au moins une dizaine selon le même témoin, ornés à leur surface d’arabesques de clous scintillants. Un rayon de couleur pourpre partait du sommet de l’accent circonflexe pour retomber en cloche sur l’hélico.

Un courant d’air descendu du vaisseau souffla des promesses muettes aux spectateurs, passa ses doigts dans leurs cheveux, ébouriffa les crinières de Flambeau et Bouton d’Or. Le vent devait s’engouffrer entre les pages du livre en éventail, impuissant à les faire se balancer et leur inspirer le moindre frémissement. Comment déchirer des feuilles en acier extraterrestre? Le professeur Beaumont y entrevoyait écrit à l’encre subliminale un déplaisant message : Rendez-nous les nôtres. Ah ! S’il était possible de le biffer d’un trait de stylo rageur comme sur une copie d’étudiant.

Hélène, Yohan, Etienne, tous avaient quitté le sol, embarqués dans une envoûtante lecture dont on ne pouvait décrocher. Leur esprit, inconsciemment, échafaudait un autre rêve de voyage, à bord même de l’ouvrage statique.

Un tel appareil au-dessus d’une agglomération ferait grand bruit, se dit Moulin, sans parler de son sifflement feutré identique à celui d’une fuite d’air. En pleine forêt, les visiteurs de l’espace jouaient pour une poignée de privilégiés, y compris sans doute des habitants noctambules à plumes et à poils. Si un cerf rapportait son observation en gendarmerie, ses 250 kilos en feraient-ils nécessairement un témoin de poids ? De bois, en tout cas.

– Sétinmax ! murmura Athos, la gorge serrée. Il a vu le luminex !

L’« astronef-livre » dont Petit Prof avait conçu une partie des plans prenait depuis bien longtemps la poussière ; de la poussière cosmique, à force de bourlingages intersidéraux. Un volume dont la véritable  couverture ne sautait pas aux yeux et pour cause, celle-ci lui servant à l’escamoter aux regards et aux radars.

– Vieux camarade, sourit Sly. Ça fait plaisir de te revoir. Où te cachais-tu pendant tout ce temps ?

Convié à bord du Volapage Solar – ainsi se nommait cette bizarrerie spatiale- l’Ecureuil répondit à « lévitation ». Ses patins décollèrent lentement sous l’effet d’une loi de gravité inversée. Normalement, seul un rotor pouvait arracher du sol une telle masse. « Et pourtant il ne tourne pas » aurait pu déclarer Galilée.

– Ho bin hé, non alors ! Ma machine ! s’insurgea le pilote sorti observer le spectacle.

Un réflexe le fit se jeter sur la cloche aspirante, comme un businessman en retard voudrait rattraper un ascenseur au vol. Moulin l’intercepta dans son élan.

– Arrêtez Michonet, vous êtes dingue ! Vous voulez vous faire avaler par ce truc ?

Ledit Michonet s’éleva contre l’enlèvement de sa  libellule bleu métallisée- comment l’expliquerait-il aux assurances ? – mais sa plainte vindicative portait moins haut que l’ovni.

La puissance d’attraction du véhicule spatial inspira des sentiments mêlés de fascination et effroi à Henri Beaumont. Il sentit sa peau se couvrir de chair de poule. Une part de sa conscience voulut chercher un truc, un monte-charge invisible mais le préposé à sa lucidité le rappela à l’ordre. Tu te crois à un numéro de David Copperfield ? Tout cela est réel et le fruit d’une super-technologie venue d’ailleurs.

Le savant riva son attention sur les feuillets d’acier du vaisseau-livre reliés entre eux par une unique charnière étincelante. Tout à sa contemplation, il se fichait bien du sort de l’Ecureuil. Si les Aliens voulaient utiliser ce gros ventilo en marque page, il n’y voyait pas d’inconvénient. Tant que leur choix ne se portait pas sur un spécimen Humain.

Par chance pour l’hélicoptère, l’improbable bouquin renonça à le prendre en sandwich entre ses panneaux. Il reprit un peu d’altitude et à environ une trentaine mètres du sol se referma d’un coup sec sans un bruit. L’éclat pourpre disparut, replongeant les témoins dans l’obscurité. Un sifflement de bombe. Un fracas métallique et diabolique fit tressauter le sol, suivi d’un déplacement d’air propre à décorner Satan. Un grain s’abattit sur les spectateurs, même si le pluriel siérait mieux aux circonstances. D’irritantes particules de sable et de poussière reprirent la sortie des voies respiratoires, à coups d’éternuements et de quintes. Les chevaux affolés hennirent sans mal y penser. Puis soudain la lumière revint.

 

roman livre 2 (64)

 

Le gendarme, resté à bord de l’hélicoptère, attendit le dernier moment pour tirer  Son canon lance-filet en surprit plus d’un, à commencer par les petits assaillants. La toile s’abattit avec le sifflement d’une buse sur Commandant, Spikey et Orsie. Froggie l’esquiva de justesse en sautant de côté. Un écart en appelait un autre, cette fois vis-à-vis du code de déontologie de la gendarmerie qui stipulait bien: « les bisous c’est en dehors des heures de service ! » A sa décharge, Moulin n’était pas consentant quand Froggie lui bondit à la face.

Depuis Alien le Huitième Passager, les extraterrestres pratiquaient assez fréquemment le coup de la ventouse au grand déplaisir des Humains. Au cinéma du moins. La grenouille extraterrestre, loin de connaître le dit film, devait penser exécuter une prestation horrifique inédite. Au moins cet authentique Alien n’avait pas la peau visqueuse même si elle fournissait quand même matière au dégoût par ses pattes ventouses et sa langue fourchue et collante.

Au terme de gesticulations et grognements étouffés, Moulin se défit du pot de colle et le fit valdinguer d’un geste rageur au fond de l’hélico. La Marafrogue roula-boula sur le siège arrière jusqu’à la portière opposée. L’officier la vit ensuite rebondir en direction du pilote, avec la fulgurance d’une boule de flipper. L’homme aux commandes laissa échapper un cri en portant les mains à son crâne d’ailleurs aussi lisse qu’une boule. Il n’eut pas le temps de chasser la diablotine déjà envolée pour un autre perchoir plus stable, à savoir le dessus du tableau de bord.

Elle a failli lui faire avoir une crise cardiaque ! se dit Moulin. A cette pensée, il eut une idée. L’Ecureuil transportait le nécessaire de premier secours dont un défibrillateur portable placé en dessous du siège arrière. Sa main alla chercher l’interrupteur marche/arrêt de l’appareil. Il s’empara de la paire d’électrodes.

Froggie tournait ici et là des boutons de commande avec une délectation proportionnelle aux vociférations du navigant. Après un bref passage en revue technologique, elle lui rendit son cockpit dans l’état où elle l’avait trouvé c’est-à-dire en tout point primitif.  Elle migra de nouveau vers l’arrière

Le défibrillateur émit un sifflement en se chargeant.

 

De son côté Beaumont s’érigeait en brise-lames contre une tempête de protestation. De son point de vue, la science avait tout à gagner dans l’étude de nouvelles espèces et ces trois don quichotte qui croyaient bien agir entravaient la marche du savoir.

– Parce que jeter un filet sur des êtres vivants, ce n’est pas les entraver peut-être ? lui rétorqua Hélène du tac au tac. Alors comment vous définissez ce mot ?

 

Pendant ce temps Froggie, montée sur ressort, sautait dans tous les sens dans le cockpit ; à donner le tournis à une mouche. Déposé sur le siège arrière, Barny coulait un sommeil lourd et paisible à l’écart du jeu du chat et de la souris.

La Marafrogue tenta soudain une sortie. Dans ce laps de temps éclair, Moulin n’eut pas le temps de remarquer les flammeroles au bout de ses doigts.

Son pouvoir de pyrurgie la mettait sur le même pied d’égalité que l’Humain armé d’un fer à repasser. En fait, ce que la Goozmes prenait pour un fer à repasser- ce drôle d’objet dont Jérémy lui avait expliqué l’utilité un jour où elle fouinait dans la buanderie de la maison- se trouvait être une électrode du défibrillateur.

Moulin la contre carra in extremis à coup de décharge électrique. L’impulsion la fit retraverser toute la largeur de la carlingue et finir sa course contre une vitre.

La Marafrogue ne se releva pas de suite de ce traitement de choc. Le commandant ramassa son corps inerte, accrocha sa carabine en bandoulière puis alla prêter main forte à Beaumont. Le professeur  défendait seul son butin des griffes bienveillantes d’un jeune couple et d’un prêtre.

– Ecartez-vous ! somma-t-il. C’est une opération de gendarmerie !

Sa façon de tenir sa captive la tête à l’envers, par une jambe, attisa un peu plus la tension générale. Yohan l’interpella sans ambages, un index véhément braqué vers lui. Pied à terre, le jeune homme tenait Flambeau par la longe.

– Espèce de cow-boy ! J’vais vous apprendre à dégommer les canassons !  Celui de mon amie est couché en plein sur la piste à cause de vous !

–Ah, ça va, c’est pas la mort du petit cheval ! relativisa Moulin d’un revers de main désinvolte. C’est juste un somnifère, il se réveillera ! Lui aussi, ajouta-t-il à propos de la Marafrogue en la confiant au généticien.

– Il en manque deux, à commencer par ce spécimen ! l’informa Beaumont, le menton  levé vers Athos.

Yohan lui répondit d’aller se brosser. L’intéressé l’invita à en faire autant car un chien semait toujours plein de poils sur les vêtements.

– Se donner tout ce mal pour retrouver un « simple » chien ? C’est curieux, commenta P’tit Prof juché sur l’épaule du jeune cavalier.

– Mais il cause ! s’interloqua le commandant.

Hélène, décidée à passer la vitesse supérieure, ne lui laissa pas le temps de digérer cette réalité. Elle se saisit du filet dont quelques mâchoires fébriles éprouvaient discrètement la solidité des mailles, et le jeta sur le dos de Flambeau. S’ensuivit une empoignade entre elle et Beaumont qui voulut reprendre son chargement vivant. Comme ce dernier semblait oublier les bonnes manières, Yohan lui asséna une mise en garde avant un potentiel bourre-pif.

– Hé ! La touchez pas où ça va mal finir !

– Messieurs ! De grâce, calmez-vous ! intervint le père Etienne resté jusqu’alors en retrait.

Un coup de sifflet strident ramena le calme.

– Ca suffit maintenant où je vous embarque pour entrave à la force publique ! aboya l’arbitre, lui-même auteur d’un joli carton heureusement pas rouge sang.

Moulin savait soigner les bronchites dans le sens néologique du terme. Pour preuve, personne ne broncha tandis qu’il délestait le cheval d’un filet pas mignon dont Beaumont se vit confier la précieuse responsabilité.

– Mettez ce paquet dans l’hélico. Je m’occupe des derniers.

Sursaut d’héroïsme ou inconscience ? Jo, qui se faisait oublier dans le sac à dos d’Etienne, sortit de son refuge en toile, prêt à en découdre. Athos n’en crut d’abord pas ses yeux. Où était passé le Bongrosum trouillard et veule, le rêveur patenté, dont Sly désespérait en tirer le moindre jus? Cette nouvelle version de Jo, le torse bombé défiait de ses petits poings le gradé de la gendarmerie en se dandinant exagérément de gauche à droite. Moulin regarda mi- incrédule, mi hilare, ce lapin sorti à la fois d’un sac et, aurait-on dit, d’un cartoon.

– Je serai pas le dernier ! C’est mal me connaître car je sais me battre aussi ! fanfarona le pugiliste à longues oreilles de sa voix chuintante.

– Jo, je salue tes efforts inespérés mais tu te réveilles un peu tard, lui fit observer Petit Prof.

L’adversaire en képi amusé par cette comédie mais pressé quand même d’y mettre ne fût-ce que pour pouvoir rentrer dîner, épaula sa carabine hypodermique.

– Non ! Vous n’y toucherez pas ! décréta Hélène en se plaçant entre sa cible et lui, les bras croisés dans une posture résolue.

– J’suis donc précieux pour toi ? Dans mes bras ! s’émut le « tendre à cuire » ; et d’enlacer la jambe droite de la jeune femme avec un sourire de félicité.

Je retrouve là mon Jo, se rassura Athos. Moulin baissa son arme et d’un ton clair, posé mais ferme, livra à une mise au point.

– Ecoutez messieurs-dames, je comprends votre réaction, maintenant je fais simplement mon devoir. Ces animaux sont recherchés pour troubles à l’ordre public.

– Eux ? Des animaux ? répéta Hélène en secouant la tête d’un air affligé. Mais à leurs yeux, c’est nous les bêtes! Et les bêtes valent bien mieux que tant d’Humains. Discutez avec eux deux minutes, vous verrez.

– Excellente idée, je propose qu’on échange nos points de vue autour d’une bonne bouteille, suggéra Athos. Si on s’était trouvé sur Goozmes, je vous aurais fait goûter à de la Picolichette, un alcool de…

Un rideau noir s’abattit abruptement sur sa phrase. Le faisceau de l’hélicoptère venait de se couper, abandonnant tout ce monde à la nuit désormais installée.

 

Tout le système électronique de l’appareil était comme tombé en léthargie. Il était possible de le faire revenir à lui sur un simple claquement de doigt mais à condition de s’appeler Ma Sorcière bien aimée.

– Ben merde, v’là aut’ chose ! laissa échapper le pilote sans pouvoir mettre en marche le plafonnier.

Une silhouette athlétique, enveloppée en partie par le halo de lumière d’une lampe torche, s’avança vers le cockpit.

– Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit Moulin avec un soupir exaspéré.

Il attendait une réponse claire, concise et surtout rassurante. Beaumont, dont il devinait la silhouette montant la garde près de la porte arrière de l’appareil, lui fit une très brève synthèse du problème.

– Justement plus rien ne se passe.

– Même la radio est muette, ajouta le navigant en ôtant son casque. J’y comprends rien.

Moulin se passa sa main droite sur le visage en soufflant de dépit. Maintenant la technologie se liguait contre lui.

Soudain surgit un signal. Olfactif celui-ci. L’odeur âcre de brûlé fit sursauter les poils de nez du pilote. Ca provenait de derrière lui. Il se retourna, prêt à prononcer l’annulation du départ d’incendie à coup d’extincteur. Une panne et maintenant le feu ? Si le mauvais œil pouvait en garder pour un autre jour ! Froggie avait justement rouvert les siens de quinquets. Revenue à elle, se découvrant entre les mailles d’un filet, elle s’était appliquée à faire un large trou dedans par son pouvoir thermique. Ses pattes chalumeau luisaient dans les ténèbres de l’habitacle comme les brandons d’un feu dont aucun humain ici ne comprenait la nature en dehors d’Henri Beaumont. Leur éclat incandescent raviva la sensation de brûlure sur les joues de ce dernier.

– La grenouille s’échappe !

Moulin tendit sa lampe torche au chercheur.

– Eclairez l’intérieur, vous voulez-bien ?

Beaumont pointa le faisceau sur les sièges arrière. Froggie se déroba à la lumière et, telle une balle élastique survitaminée, se mit à bondir et rebondir à un rythme endiablé dans la carlingue.

Le gendarme avec son fusil hypodermique à la main, monta dans l’hélicoptère décidé à mettre un terme à la récréation. Concentre-toi, se dit le tireur. Ça revient à viser un ballon à la fête foraine…mais dans le noir.

Un nouveau problème se fit jour dans le champ de la lampe torche. Sly avait émergé sa tête ursine du filet à la faveur d’une déchirure obtenue par force mordillements. Le reste du corps suivit, ouvrant le passage à ses congénères.

– Attention, commandant !

Moulin tira une fléchette qui frôla Sly et alla ricocher contre la portière opposée avec une sonorité métallique.

Si seulement j’avais plus un grand champ d’éclairage !

A cet instant, comme si quelque dieu avait entendu sa requête, une lueur tomba sur lui, enveloppant tout l’appareil et ses occupants. De la lumière plus qu’il ne pouvait en rêver.

roman livre 2 (63)

Où était passé Orsie ? Se retournant, elle reconnut sa silhouette pataude dans le halo du phare de l’hélicoptère.

Repérable comme le néant au milieu de la figure, le Bizur courait au secours de Barny. Il ne laisserait personne réduire son avenir aux néons; ceux blafards d’un laboratoire. Nulle bonne âme ne serait restée insensible à cet acte de bravoure, même s’il en était un qui risquait d’être spécialement touché, au sens propre du terme.

L’insecte volant braqua son œil inquisiteur sur la créature. Il eût suffi à Orsie de plonger dans la forêt pour s’en soustraire mais sans son frère de sang, son autre-lui ? Orsie aurait préféré mille fois les flammes éternelles à une amputation aussi honteuse. Ils se sauveraient ensemble ou mourraient ensemble.

Le Jumeau n’avait aucune velléité de voyage en Anesthésie et pourtant sa carte s’embarquement lui pendait au nez. Les bottes d’équitation ne se prêtaient pas à la course à pied mais Hélène ne s’arrêtait pas à ce détail, tout à sa poursuite. Elle croyait encore possible de le rattraper. Le risque à vouloir s’interposer entre le sniper et lui était de prendre une dose de somnifère à sa place. Pas de quoi l’arrêter pour autant.

Morphée attendrait son retour dans ses draps pour lui broder des songes d’une autre étoffe que celui-ci. Une chimère, tout ça ? Si elle rêvait debout, il était urgent d’atterrir comme l’Ecureuil en travers la piste forestière.

L’hélicoptère, à quelques secondes de toucher terre, soulevait un nuage de poussière propre à balayer tous les doutes et Orsie par la même occasion, soufflé tel un fétu de paille par la force des turbines. Les patins se posèrent près du corps inerte de Barny.

Hélène plissait les yeux sous le souffle du rotor et l’éclat jaune du projecteur. Elle marcha contre vent sans se marrer, déterminée à faire repartir illico l’hélico. Quelques mètres la séparaient de Barny, elle pouvait encore arriver la première. Le vent qui jouait avec le deuxième jumeau comme d’un ballon lui fit une passe qu’elle intercepta du pied droit. Elle se pencha pour attraper la créature, la hissa sur ses épaules en se fendant d’une sage recommandation.

– Cramponne-toi à moi !

Une voix cria son nom. Elle se retourna. Yohan l’avait rattrapé, impeccable dans son rôle du cavalier surgi hors de la nuit. Ce dernier voulut avancer vers l’appareil. La météo devenait trop venteuse au goût de Flambeau lequel freina des quatre fers en secouant farouchement la tête.

Le père Etienne, agrippé d’une main à son prof d’équitation, fit signe à Hélène de s’approcher.

– Aidez- moi à descendre de selle, mademoiselle ! Je vais parler aux gendarmes !

– Trop tard, décréta Sly, le regard sombre. Ils veulent la guerre, ils l’auront ! On va aller au contact et ils s’en rappelleront du troisième type !

– Bien dit ! S’il faut se battre, Sly se battra ! clama Jo, la tête surgie du sac à dos d’Etienne.

– La Bible est ma seule arme, rappela le prêtre.

– Si t’as que ce pavé sous la main, alors vise bien ! lui conseilla Froggie, hermétique aux métaphores.

L’abbé se sentait le plus apte à intercéder en faveur des Goozmes. A coups d’extraits d’évangile, il pouvait essayer de tournoyer le poisson assez rapidement pour le faire s’envoler.

Les pâles de l’Ecureuil, dans une dynamique inverse, ralentirent progressivement leur ballet et bientôt le chuintement des turbines disparut. De même que, dit-on, le silence après du Mozart est encore du Mozart, les tympans d’Etienne sifflèrent longtemps une fois le calme retombé.

L’homme en blanc descendit à l’arrêt complet du rotor. Silhouette hiératique et anguleuse, il ne devait pas aimer avoir les cheveux dans le vent. Il ne lui restait pas grand-chose à décoiffer d’ailleurs, sur son crâne largement dégarni. Sa blouse immaculée ressortait à la lumière crue du phare, lui donnant l’aura spectrale d’un ange. Celui-ci s’était bagarré avec le diable et y avait laissé des plumes, à en juger au bandage au coin de sa tête. C’est du moins ce que pensa Etienne quand Henri Beaumont descendit d’hélicoptère.

A la vue du scientifique, ses  potentiels cobayes n’eurent pas l’impression d’ange, ni d’un soleil levant ou couchant, mais de la plus obscure des nuits.

Le visage émacié de Beaumont rayonnait d’excitation. Entre les extraterrestres et lui courait un malentendu qui devait se régler dans l’intimité froide de son laboratoire. Le chercheur ne leur voulait pas de mal. Il voulait juste des réponses et ne laisserait rien ni personne l’empêcher d’arriver à ses fins, surtout si près du but ; ni un curé, ni l’armée qui inévitablement au nom du Renseignement voudrait le mettre sur la touche, ni les Goozmes eux -mêmes.

Un parfait spécimen d’études s’offrait à ses pieds, comme un cadeau. Plongé dans un sommeil à toute épreuve, Barny ne lui avait jamais paru si vulnérable et pourtant il eut l’impression de déranger une divinité à ses risques et périls. Aucune pointe acérée ne jaillit du sol, prête à l’empaler, mais une voix rauque le somma de reposer le Bizur.

– Hé ! Lâche notre copain !

L’injonction de Sly ne fut pas suivie d’effet. Du moins personne n’aperçut de cortège de fées, les seules créatures à voleter étaient des moustiques affolés par le phare de l’hélicoptère. Qu’à cela ne tint ! Sly se passerait de baguette magique.

Le Bizur bondit de cheval et se lança vers Beaumont tel un missile en emmenant dans son sillage  Orsie, Spikey et Froggie. Il court-circuita au passage Etienne, qui marchait à la rencontre du docteur avec la gravité d’un diplomate porteur d’un message de paix.

– Non ! Arrêtez ! s’écria l’abbé.

Sly pensait y gagner en faisant l’économie de sa salive et de la mise en garde d’un vieux sage. Petit Prof  le regarda, impuissant, se jeter avec ses compères dans la gueule du loup. Dans sa tête, pourquoi le pilote avait-il coupé au souffle à l’aéronef sinon pour les encourager à approcher? Les craintes d’Athos se vérifièrent malheureusement. Sly fit l’effet d’un attaquant de foot volant vers le but adverse sans s’attendre à finir lui-même au fond de la cage. Car Beaumont avait un garde du corps en la personne du capitaine Moulin et dont l’arsenal réservait une dernière surprise.

Le gendarme, resté à bord de l’hélicoptère, attendit le dernier moment pour tirer. Son canon lance-filet en surprit plus d’un, à commencer par les assaillants. La toile s’abattit avec le sifflement d’une buse sur Commandant et Spikey. Froggie l’esquiva de justesse en bondissant de côté. Un écart en appelait un autre, cette fois vis-à-vis du code de déontologie de la gendarmerie qui réglementait strictement ce sujet : les bisous c’est en dehors des heures de service ! A sa décharge, Moulin n’était pas très consentant quand Froggie lui sauta au visage.

roman livre 2 (62)

4

      Athos espérait un jour rentrer chez lui avec des réponses, ou tout du moins éclairer ses pairs sur le genre humain, cette espèce si imprévisible. Or subitement, il reçut une illumination supplémentaire. Et alors tout lui parut clair, même si subsistait une zone d’ombre sur les intentions de cet énorme phalène bourdonnant au-dessus de sa tête. L’Homme n’était pas un animal nocturne et à ce titre, Athos redoutait de servir de pâture à la plus cruelle des lumières. Pour l’instant le jour tombé sur lui n’avait rien de naturel, artificiel comme le néon d’un laboratoire.

Cramponné à la selle de Flambeau, un alezan mâle âgé de six ans – les plages de répit, aussi courte fussent-elles se prêtaient aux présentations – P’tit Prof rebondissait en cadence au rythme de la monture. Derrière lui, Sly essayait de chasser de la patte l’hélicoptère avec peu de chances de l’atteindre, à moins de se faire propulser au ciel par une prodigieuse ruade.

Juché sur une épaule de Yohan, Spikey se concentrait sur le déploiement de ses super sens. « L’Ouïe, ne te laisse pas affoler ! Cette machine produit un bruit infernal mais ce n’est peut-être qu’une diversion. La Vue, les projecteurs veulent te griser, fouille au-delà de la lumière! Un péril plus grand peut surgir de l’ombre ! Le Flair, il faut assurer. En un mot comme on sent, pas le moment de t’enrhumer ! Le Toucher, tu ne me seras d’aucune utilité sans la Grâce…

La grâce… Installée tout à l’arrière, Froggie ne croyait pas aux coups de pouce célestes. Elle tenait les dieux pour des profiteurs. Pourquoi brûler sa réserve de grâce divine quand la foi de vos adorateurs, seule, suffisait à vous tenir en vie ? Sa vision de la spiritualité eût horripilé Orsie et Barny qui partageaient la selle d’Hélène. Froggie savait la ferveur des Jumeaux envers Goozmes, le Dieu dont se réclamaient tant des siens sur sa planète. Tous ces yeux rivés vers le même phare aveuglant ?  Rationnelle, la Marafrogue ne recherchait pour toute lumière que celle d’un vaisseau de ramassage, un astronef impossible à confondre avec ce truc assourdissant en train de brasser de l’air.

      Froggie n’imaginait pas un jour placer son salut entre les mains d’un prêtre, encore moins à des années lumières de son monde. Chez elle comme ici, le clergé jouissait d’une aura sacrée ; aussi le Père Etienne lui servirait-il de bouclier.

Agrippé à Yohan, l’homme d’église jetait des regards inquiets en l’air. Ses prières avaient été mal comprises. Il voulait faire descendre l’esprit sain sur ses petits protégés, et au lieu de cela c’étaient les gendarmes qui leur tombaient dessus. Ces derniers maniaient une autre langue de feu, malheureusement universelle dont l’usage eût paru pour l’heure prématuré et à vrai dire injustifié. Si des enfants de Dieu étaient touchés, en plus de leurs habits, tout le corps des képis s’en trouverait éclaboussé.

Ils les veulent vivants, se dit Etienne. Leur vie est bien trop précieuse à leurs yeux de convoitise.

Jo, incommodé par ce qu’il prenait pour un ventilateur de plafond bien trop bruyant à son goût, en appela à une intervention des techniciens de maintenance.

– Arrêtez ce bordouf ! glapit-t-il par l’ouverture du sac à dos JMJ. Et éteignez cette floucasse de lampe, je peux pas dormir!

Le curé prêta à peine attention aux récriminations de son bagage aux longues oreilles. Il réfléchissait à une liaison entre cet hélicoptère et une unité au sol, une relation pour le pire et pour le pire. Ah, si les ondes radio pouvaient s’y opposer en se taisant à jamais ! Le brave homme eût été toutefois très étonné de découvrir un autel au bout de la travée forestière. Lui s’attendait à rencontrer un autre comité d’accueil. Leur salut à tous, pensait-il, venait des chemins de traverse. Mais Yohan ne partageait pas ce point de vue.

– La nuit nous prend, Etienne ! Dans le noir, je ne réponds pas du sens d’orientation de Flambeau et encore moins du mien.

Le jeune cavalier voulait se repérer un minimum, sans demander la lune. Celle-ci se trouvant dans sa phase nouvelle, il ne fallait donc pas compter sur elle.

– Entre tâtonner et rester à découvert sous le feu des spots, je choisis le risque! soutint l’abbé.

– Comme vous voudrez, mais le plus court chemin jusqu’au parc de Chambord est encore la ligne droite !

Un projectile ne se perdait pas dans des détours. Illustration avec cette fléchette tirée depuis un point A et qui atteignit avec une efficacité toute mathématique, un malheureux point B incarné par Barny. Ce dernier, se croyant la proie d’un insecte piqueur, voulut le chasser « dard dard » d’un geste de la patte. Sans mal il mit le doigt sur le vrai coupable fiché dans son épaule et dont l’empennage de la queue émergeait de sa fourrure brune. L’agent anesthésiant libéré remplit son office en temps et en seconde car, déjà, le sommeil faisait son œuvre. Le Bizur comprit ce qui lui arrivait, mais trop tard. Son corps tomba en arrière.

Une glaçante sensation de vide et de solitude envahit Orsie. Il se retourna. La vision de son jumeau par terre au milieu du chemin lui provoqua un frisson tout le long de l’échine. Il empoigna la chevelure blonde d’Hélène et tira vigoureusement dessus comme un voyageur en wagon actionnerait l’arrêt d’urgence.

Quelle mouche l’a piqué ? dut se demander la cavalière en regardant derrière son épaule. Le temps n’était pourtant pas à l’orage bien qu’une libellule aux airs menaçants volait très bas. Depuis la terre ferme il était possible de distinguer à bord de l’hélico le capitaine Moulin en train d’armer sa carabine.

– On a perdu mon frère ! Fais demi-tour ! articula Orsie les pattes en porte-voix pour couvrir le rugissement des pâles.

D’une pression sur les rênes, la jeune femme fit faire volte-face à sa monture. Ce demi-tour impromptu faussa les calculs de tir du Marchand de Sable au grand dam de la jument Bouton d’Or, laquelle fit les frais d’une fléchette plantée dans l’encolure. L’animal se cabra dans un hennissement, manquant d’envoyer au sol sa maîtresse. Orsie, surpris, chût les quatre fers en l’air.

– Mon cheval vous a rien fait ! Bande de salauds ! s’indigna Hélène.

Elle sauta de selle, s’enquit de l’état de son passager désarçonné. Assis dans la poussière, Orsie ne trouvait pas ça à se taper le cul par terre, même pour un poster-rieur. Où le mettre en sécurité ? La dernière des choses à faire était de le réinstaller sur Bouton d’Or, car alors autant lui accrocher des ballons pour en faire une cible foraine. – Mesdames et messieurs, qui d’entre vous veut dégommer ce joli nounours ? C’est perdu si vous touchez le cheval !

Touché, l’équidé chancela et tomba sur les genoux de ses jambes avant. La rue (Hade) avait flanché, mais pas sous le poids de ses propres slogans qu’il ne servait à rien d’inventer de toute façon. A quoi bon scander « il est interdire d’étourdir »  ou « sous les pavés de viande, la plage » si c’était plié d’avance ?

– Allez, redresse-toi ma pépète ! implora Hélène à l’oreille de l’animal en caressant son museau.

Elle lut dans les yeux de la jument sa détresse face à cette insubordination musculaire en passe de se propager dans tout son corps. Bouton d’Or ne s’avouait pas encore vaincue et dans un grognement opiniâtre se redressa sur ses jambes avant. Ses guiboles flageolantes la portèrent pendant environ un mètre avant de se dérober derechef. Les muscles de l’arrière train lâchèrent aussi l’affaire. Le cheval s’allongea ensuite sur le flanc dans un soupir de renoncement.

Hélène sentit son sang-froid lui échapper. Une profonde inspiration remplaça le garrot. Compliqué pourtant de rester zen avec ce foutu rapace au-dessus d’elle, dont les turbines infernales lui vrillaient les oreilles. Le vent descendait. Elle le sentait dans sa chevelure, le voyait ébouriffer les crins de Bouton d’Or. Il va se poser !

C’était bien connu la cavalerie arrive toujours trop tard ; mais pas son héros intime qu’elle vit revenir à son secours, sans trompette ni épaulettes (à Elise).

– Yohan ! Vite, dépêche-toi ! cria-t-elle avec force signaux gestuels.

Son corps se figea soudainement comme après un arrêt sur image. Orsie avait disparu.

     

roman livre 2 (61)

Henri Beaumont pensait toujours sans compter, et parfois à des futilités dangereuses comme l’amour – selon lui- ou bien au dernier programme vu à la télé. N’étant qu’un homme après tout, il lui arrivait de lâcher la bride à son esprit et alors ses pensées se dispersaient gaiement. A bord de l’hélicoptère qui survolait la forêt, le savant se mit dans la peau d’un candidat à la Carte au Trésor, un jeu d’aventures sur la troisième chaine qu’il regardait parfois pour se distraire. Une seule énigme à résoudre, mais de taille ! Qui étaient ces peluches vivantes venues d’ailleurs ?

Ces voyageurs portaient les secrets de leur origine et détenaient certainement des nouvelles clés de compréhension du cosmos. Leur voyage jusqu’à la Terre avait été aussi un voyage dans le temps, depuis l’aube de l’univers. En réalité Henri détestait regarder en arrière, sauf dans le cadre de la recherche. Il préférait tourner le dos à ses fantômes personnels ; celui d’une femme connue étant plus jeune dont le souvenir débordait encore de son cœur parfois et d’une autre, celle de sa vie, partie sans qu’il n’eût eu le temps de dire « adieu maman. »

Dans le reflet du verre du cockpit, le seul fantôme était lui-même avec  sa longue figure pâle et émaciée, bordée par des cheveux grisonnants. Affublé d’un bandage sur la tête, il ressemblait à une momie laissée en plan. Sa blessure à l’arcade, souvenir d’une bataille épique à l’Institut, lui rappelait toutefois sa nature de chair et de sang. Il ne doutait pas que ses pensionnaires en vadrouille pouvaient également saigner mais ignorait la couleur de leur sève. Il entendait bien percer ce mystère proprement, selon ses procédés scientifiques, pas à la faveur d’un tir au pigeon. Un chasseur trop fébrile de la gâchette, un gendarme en panique et la réponse pouvait s’offrir d’elle-même. Mes petits amis, pensa Henri, vous aurez encore une meilleure espérance de vie dans mon humble laboratoire!

Sa froideur flegmatique tranchait avec l’embrasement du firmament à l’horizon. Certains soirs comme celui-ci, le ciel se prenait pour un tableau impressionniste avant de finir en monochrome noir de Malevitch. Il s’agissait de retrouver ces satanés fugitifs avant le coup de rouleau radical du peintre. Quand même, l’artiste aurait pu leur faciliter la tâche et se contenter de quelques arbres çà et là au milieu de terres labourées au lieu d’une forêt entière ! Henri renonça à parler tableau avec le lieutenant Moulin- des belles reproductions dans son salon. Déjà que ce dernier avait du mal à l’encadrer… Son ressenti à lui. Ils n’étaient pas du même monde.

Comme un sauveteur en mer guettant des remous dans l’eau, le commandant de gendarmerie scrutait l’étendue sylvestre, attentif à cette tâche sombre vouée à se fondre dans la nuit naissante. Moulin soupçonnait les Goozmes de ne porter qu’un intérêt provisoire pour l’apnée sous la canopée. D’un instant à l’autre selon lui, son gibier referait surface… Résolu à s’envoler hors d’atteinte, aurait ajouté Beaumont.

Branché sur les fréquences de la maréchaussée, le pilote de l’hélico avait intercepté une communication entre une unité motocycliste et la brigade de Mont près Chambord. Aux dernières nouvelles, le manège tournait toujours ; un carrousel dont les occupants valaient plus le détour que les chevaux eux-mêmes. Et la partie se jouait gratuitement, pas besoin d’avoir les jetons.

Les photos prises des Goozmes inspiraient un sourire attendri à Moulin. Beaucoup de monde éprouverait ce coup de cœur en les découvrant en exclusivité au journal du soir. Le lieutenant se méfiait néanmoins des apparences. Le nycticebus aussi, ce petit primate à la morsure toxique, ressemblait à une peluche.

Sans encore partager les conclusions extraterrestres du professeur Beaumont, il reconnaissait avoir affaire à une intelligence inédite. Moulin aimait les défis et à ce niveau-là, il était servi. Dans les prochaines heures, des envoyés de l’armée risquaient de venir à sa table pour lui retirer son assiette. Pleine ou toujours vide ? Son panier rempli, il n’en tirerait rien sinon la satisfaction du devoir accompli.

Sa benjamine, du haut de ses huit ans, ne verrait sûrement rien de noble dans son coup de filet.

– Papa, t’es méchant ! T’as mis en prison les Bisounours !

Laisserait-elle au moins la parole à la défense ? Pas sûr. Il décida de n’y plus penser et de se recentrer sur son observation. Quand soudain ses yeux détectèrent du mouvement le long d’une piste forestière tracée au cordeau. Il prit sa paire de jumelles dont il enviait leur capacité à grossir sans jamais prendre un gramme. Dans son viseur, deux cavaliers sur leur monture chevauchaient à bonne allure vers l’est. Moulin tendit les lorgnettes à son éminent voisin en blouse blanche.

– Là-bas ! Des chevaux ! indiqua-t-il le doigt pointé dans leur direction ; puis criant au pilote : Vous les voyez ? Vous pouvez descendre ?

Le zinc vira sur sa droite et s’inclina sans avoir pour autant dit son dernier mot. Le fracas des pâles troublait la sérénité de la forêt ; à rotor ou à raison, telle était la question. Après un premier survol de reconnaissance l’hélicoptère s’aligna sur le couloir sablonneux en laissant dans l’abondant feuillage environnant un sillage de frissons, un remous bruissant. Il passa juste au-dessus des cavaliers qui poursuivaient leur bonhomme de chemin à l’allure d’un trot régulier.

A petits coups de palonniers, le pilote se stabilisa en vol stationnaire. On se pencha au hublot. Moulin se tourna vers Beaumont et lui reprit les jumelles. – Longue vue au chef ! aurait-il pu s’écrier.

Le gradé distingua deux hommes sur un même cheval dont un seul avait la tenue pour monter. L’autre, sûrement novice, (en deux mots, s’il menait une vie de vertu) portait un sac à dos d’où ressortait une paire d’oreilles, longues comme des antennes. Derrière lui, installés sur la croupe, plusieurs bagages que la clarté agonisante laissait à l’état de mystères. Les trotteurs profitaient des faveurs de la pénombre. Et si la nuit ne revenait jamais sur un privilège, Moulin entendait y mettre un terme

– Mettez-leur un coup de projo ! cria-t-il au pilote.

Et alors la lumière fut ! Eblouissante et crue, jaillie du phare d’atterrissage de l’appareil. Cela ressemblait au mauvais œil, au quinquet aveuglant d’un cyclope. Capturés par le faisceau blanc, les chevaucheurs hâtèrent l’allure, dans une tentative opiniâtre pour s’en extraire. Des visages se levaient vers le ciel à chaque requête qu’ils lui adressaient, à vrai dire toujours la même ; une prière de leur lâcher la grappe. Le colonel, les yeux dans ses jumelles, pouvait maintenant voir une sorte de petit ours brun mal léché, installé sur le canasson, lui faire un pied de museau, et une grenouille tirer la langue. Mais qui voulait se payer la tête de l’autre ?

– C’est bien eux ! dit-il à Beaumont.

– Et quelle est votre stratégie ?

Pour toute réponse, il abattit sa main droite sur un fusil hypodermique.

 

 

roman livre 2 (60)

Pour ce 330e post sur ce blog, la suite des Passagers des Etoiles. 

Résumé: nos héros Goozmes, Jérémy, Vincent et Alice ont embarqués sur le prototype de Félix auquel Minigal a apporté quelques retouches spéciales. Les voilà en vol pour Chambord, là où se trouve l’Oukelbip, le précieux émetteur.

Les yeux de l’adolescente voletaient entre ses voisins en fourrure et le panorama, en peine à se décider sur quelle branche se poser. Autour d’elle, cousu de la main de l’Homme, un patchwork de champs entrelacés de zones boisées et dont l’étoffe si lointaine lui semblait plus irréelle que les créatures à ses côtés dont elle pouvait saisir l’odeur.  Son nez interceptait des effluves de chlorophylle à ne pas mettre sur le compte d’un quelconque chewing-gum. Vincent avait fait place nette dans sa bouche avant de tenter de l’embra… jouer au secouriste. Elle archiverait ce presque contact au rayon des moments agréables de la journée, conquise par son haleine tiède et douce. Et dans celui des étrangetés, ce parfum végétal inattendu, voire incongru venant d’animaux à fourrure, comme si leur corps secrétait une sorte de sève.

– Parce qu’il y a des semblables ailleurs ? reprit-elle en détaillant du regard les Goozmes.

– Oui, et ils ont besoin de notre aide ! répondit Jérémy.

– Vous pouvez nous parler directement, sourit Lilo. Rappelez-vous vos débuts dans l’enfance avec ces modèles qu’ici on appelle « peluches ». Imaginez les entendre vous répondre.

Alice ferma les yeux, remua ses souvenirs de l’apprentie sorcière pour se peindre un lit volant. Elle sentit la fraicheur d’une bouffée de nostalgie soulever un coin du drap et dévoiler ses compagnons nocturnes. Mais à rêver trop près du bord, on risquait de tomber ! Vincent, bien éduqué, la précéderait galamment dans sa chute afin de la recevoir en bas.

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