Le gendarme, resté à bord de l’hélicoptère, attendit le dernier moment pour tirer Son canon lance-filet en surprit plus d’un, à commencer par les petits assaillants. La toile s’abattit avec le sifflement d’une buse sur Commandant, Spikey et Orsie. Froggie l’esquiva de justesse en sautant de côté. Un écart en appelait un autre, cette fois vis-à-vis du code de déontologie de la gendarmerie qui stipulait bien: « les bisous c’est en dehors des heures de service ! » A sa décharge, Moulin n’était pas consentant quand Froggie lui bondit à la face.
Depuis Alien le Huitième Passager, les extraterrestres pratiquaient assez fréquemment le coup de la ventouse au grand déplaisir des Humains. Au cinéma du moins. La grenouille extraterrestre, loin de connaître le dit film, devait penser exécuter une prestation horrifique inédite. Au moins cet authentique Alien n’avait pas la peau visqueuse même si elle fournissait quand même matière au dégoût par ses pattes ventouses et sa langue fourchue et collante.
Au terme de gesticulations et grognements étouffés, Moulin se défit du pot de colle et le fit valdinguer d’un geste rageur au fond de l’hélico. La Marafrogue roula-boula sur le siège arrière jusqu’à la portière opposée. L’officier la vit ensuite rebondir en direction du pilote, avec la fulgurance d’une boule de flipper. L’homme aux commandes laissa échapper un cri en portant les mains à son crâne d’ailleurs aussi lisse qu’une boule. Il n’eut pas le temps de chasser la diablotine déjà envolée pour un autre perchoir plus stable, à savoir le dessus du tableau de bord.
Elle a failli lui faire avoir une crise cardiaque ! se dit Moulin. A cette pensée, il eut une idée. L’Ecureuil transportait le nécessaire de premier secours dont un défibrillateur portable placé en dessous du siège arrière. Sa main alla chercher l’interrupteur marche/arrêt de l’appareil. Il s’empara de la paire d’électrodes.
Froggie tournait ici et là des boutons de commande avec une délectation proportionnelle aux vociférations du navigant. Après un bref passage en revue technologique, elle lui rendit son cockpit dans l’état où elle l’avait trouvé c’est-à-dire en tout point primitif. Elle migra de nouveau vers l’arrière
Le défibrillateur émit un sifflement en se chargeant.
De son côté Beaumont s’érigeait en brise-lames contre une tempête de protestation. De son point de vue, la science avait tout à gagner dans l’étude de nouvelles espèces et ces trois don quichotte qui croyaient bien agir entravaient la marche du savoir.
– Parce que jeter un filet sur des êtres vivants, ce n’est pas les entraver peut-être ? lui rétorqua Hélène du tac au tac. Alors comment vous définissez ce mot ?
Pendant ce temps Froggie, montée sur ressort, sautait dans tous les sens dans le cockpit ; à donner le tournis à une mouche. Déposé sur le siège arrière, Barny coulait un sommeil lourd et paisible à l’écart du jeu du chat et de la souris.
La Marafrogue tenta soudain une sortie. Dans ce laps de temps éclair, Moulin n’eut pas le temps de remarquer les flammeroles au bout de ses doigts.
Son pouvoir de pyrurgie la mettait sur le même pied d’égalité que l’Humain armé d’un fer à repasser. En fait, ce que la Goozmes prenait pour un fer à repasser- ce drôle d’objet dont Jérémy lui avait expliqué l’utilité un jour où elle fouinait dans la buanderie de la maison- se trouvait être une électrode du défibrillateur.
Moulin la contre carra in extremis à coup de décharge électrique. L’impulsion la fit retraverser toute la largeur de la carlingue et finir sa course contre une vitre.
La Marafrogue ne se releva pas de suite de ce traitement de choc. Le commandant ramassa son corps inerte, accrocha sa carabine en bandoulière puis alla prêter main forte à Beaumont. Le professeur défendait seul son butin des griffes bienveillantes d’un jeune couple et d’un prêtre.
– Ecartez-vous ! somma-t-il. C’est une opération de gendarmerie !
Sa façon de tenir sa captive la tête à l’envers, par une jambe, attisa un peu plus la tension générale. Yohan l’interpella sans ambages, un index véhément braqué vers lui. Pied à terre, le jeune homme tenait Flambeau par la longe.
– Espèce de cow-boy ! J’vais vous apprendre à dégommer les canassons ! Celui de mon amie est couché en plein sur la piste à cause de vous !
–Ah, ça va, c’est pas la mort du petit cheval ! relativisa Moulin d’un revers de main désinvolte. C’est juste un somnifère, il se réveillera ! Lui aussi, ajouta-t-il à propos de la Marafrogue en la confiant au généticien.
– Il en manque deux, à commencer par ce spécimen ! l’informa Beaumont, le menton levé vers Athos.
Yohan lui répondit d’aller se brosser. L’intéressé l’invita à en faire autant car un chien semait toujours plein de poils sur les vêtements.
– Se donner tout ce mal pour retrouver un « simple » chien ? C’est curieux, commenta P’tit Prof juché sur l’épaule du jeune cavalier.
– Mais il cause ! s’interloqua le commandant.
Hélène, décidée à passer la vitesse supérieure, ne lui laissa pas le temps de digérer cette réalité. Elle se saisit du filet dont quelques mâchoires fébriles éprouvaient discrètement la solidité des mailles, et le jeta sur le dos de Flambeau. S’ensuivit une empoignade entre elle et Beaumont qui voulut reprendre son chargement vivant. Comme ce dernier semblait oublier les bonnes manières, Yohan lui asséna une mise en garde avant un potentiel bourre-pif.
– Hé ! La touchez pas où ça va mal finir !
– Messieurs ! De grâce, calmez-vous ! intervint le père Etienne resté jusqu’alors en retrait.
Un coup de sifflet strident ramena le calme.
– Ca suffit maintenant où je vous embarque pour entrave à la force publique ! aboya l’arbitre, lui-même auteur d’un joli carton heureusement pas rouge sang.
Moulin savait soigner les bronchites dans le sens néologique du terme. Pour preuve, personne ne broncha tandis qu’il délestait le cheval d’un filet pas mignon dont Beaumont se vit confier la précieuse responsabilité.
– Mettez ce paquet dans l’hélico. Je m’occupe des derniers.
Sursaut d’héroïsme ou inconscience ? Jo, qui se faisait oublier dans le sac à dos d’Etienne, sortit de son refuge en toile, prêt à en découdre. Athos n’en crut d’abord pas ses yeux. Où était passé le Bongrosum trouillard et veule, le rêveur patenté, dont Sly désespérait en tirer le moindre jus? Cette nouvelle version de Jo, le torse bombé défiait de ses petits poings le gradé de la gendarmerie en se dandinant exagérément de gauche à droite. Moulin regarda mi- incrédule, mi hilare, ce lapin sorti à la fois d’un sac et, aurait-on dit, d’un cartoon.
– Je serai pas le dernier ! C’est mal me connaître car je sais me battre aussi ! fanfarona le pugiliste à longues oreilles de sa voix chuintante.
– Jo, je salue tes efforts inespérés mais tu te réveilles un peu tard, lui fit observer Petit Prof.
L’adversaire en képi amusé par cette comédie mais pressé quand même d’y mettre ne fût-ce que pour pouvoir rentrer dîner, épaula sa carabine hypodermique.
– Non ! Vous n’y toucherez pas ! décréta Hélène en se plaçant entre sa cible et lui, les bras croisés dans une posture résolue.
– J’suis donc précieux pour toi ? Dans mes bras ! s’émut le « tendre à cuire » ; et d’enlacer la jambe droite de la jeune femme avec un sourire de félicité.
Je retrouve là mon Jo, se rassura Athos. Moulin baissa son arme et d’un ton clair, posé mais ferme, livra à une mise au point.
– Ecoutez messieurs-dames, je comprends votre réaction, maintenant je fais simplement mon devoir. Ces animaux sont recherchés pour troubles à l’ordre public.
– Eux ? Des animaux ? répéta Hélène en secouant la tête d’un air affligé. Mais à leurs yeux, c’est nous les bêtes! Et les bêtes valent bien mieux que tant d’Humains. Discutez avec eux deux minutes, vous verrez.
– Excellente idée, je propose qu’on échange nos points de vue autour d’une bonne bouteille, suggéra Athos. Si on s’était trouvé sur Goozmes, je vous aurais fait goûter à de la Picolichette, un alcool de…
Un rideau noir s’abattit abruptement sur sa phrase. Le faisceau de l’hélicoptère venait de se couper, abandonnant tout ce monde à la nuit désormais installée.
Tout le système électronique de l’appareil était comme tombé en léthargie. Il était possible de le faire revenir à lui sur un simple claquement de doigt mais à condition de s’appeler Ma Sorcière bien aimée.
– Ben merde, v’là aut’ chose ! laissa échapper le pilote sans pouvoir mettre en marche le plafonnier.
Une silhouette athlétique, enveloppée en partie par le halo de lumière d’une lampe torche, s’avança vers le cockpit.
– Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit Moulin avec un soupir exaspéré.
Il attendait une réponse claire, concise et surtout rassurante. Beaumont, dont il devinait la silhouette montant la garde près de la porte arrière de l’appareil, lui fit une très brève synthèse du problème.
– Justement plus rien ne se passe.
– Même la radio est muette, ajouta le navigant en ôtant son casque. J’y comprends rien.
Moulin se passa sa main droite sur le visage en soufflant de dépit. Maintenant la technologie se liguait contre lui.
Soudain surgit un signal. Olfactif celui-ci. L’odeur âcre de brûlé fit sursauter les poils de nez du pilote. Ca provenait de derrière lui. Il se retourna, prêt à prononcer l’annulation du départ d’incendie à coup d’extincteur. Une panne et maintenant le feu ? Si le mauvais œil pouvait en garder pour un autre jour ! Froggie avait justement rouvert les siens de quinquets. Revenue à elle, se découvrant entre les mailles d’un filet, elle s’était appliquée à faire un large trou dedans par son pouvoir thermique. Ses pattes chalumeau luisaient dans les ténèbres de l’habitacle comme les brandons d’un feu dont aucun humain ici ne comprenait la nature en dehors d’Henri Beaumont. Leur éclat incandescent raviva la sensation de brûlure sur les joues de ce dernier.
– La grenouille s’échappe !
Moulin tendit sa lampe torche au chercheur.
– Eclairez l’intérieur, vous voulez-bien ?
Beaumont pointa le faisceau sur les sièges arrière. Froggie se déroba à la lumière et, telle une balle élastique survitaminée, se mit à bondir et rebondir à un rythme endiablé dans la carlingue.
Le gendarme avec son fusil hypodermique à la main, monta dans l’hélicoptère décidé à mettre un terme à la récréation. Concentre-toi, se dit le tireur. Ça revient à viser un ballon à la fête foraine…mais dans le noir.
Un nouveau problème se fit jour dans le champ de la lampe torche. Sly avait émergé sa tête ursine du filet à la faveur d’une déchirure obtenue par force mordillements. Le reste du corps suivit, ouvrant le passage à ses congénères.
– Attention, commandant !
Moulin tira une fléchette qui frôla Sly et alla ricocher contre la portière opposée avec une sonorité métallique.
Si seulement j’avais plus un grand champ d’éclairage !
A cet instant, comme si quelque dieu avait entendu sa requête, une lueur tomba sur lui, enveloppant tout l’appareil et ses occupants. De la lumière plus qu’il ne pouvait en rêver.