Mes publications sur le site sont de plus en plus espacées, aussi j’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur. Il faut dire que je suis assez occupé, notamment par la sortie imminente sur MybookEdition du tome 2 des Passagers des Etoiles et la réédition du tome 1 qui devrait intervenir à la fin de l’année si j’arrive à tenir le planning (cela fera l’objet d’une communication sur le site). Mon précédent éditeur ayant jeté l’éponge, il m’a fallu trouver un plan B, je me suis donc jeté dans le grand bain de l’auto-édition.
Et maintenant fermons la parenthèse. Où en étions-nous avec nos trois héros? La route vers Goldencity réserve bien des surprises, plus ou moins heureuses. Preuve en est avec l’attaque d’un puma-totem qu’ils ont pu mettre en déroute, car l’union fait la force. Le Sorcier Totem se met aussi de la partie, finalement animé de bonnes intentions.
Ainsi parla l’Indien, désignant du doigt, le volatile.
– Visages Pâles bientôt toucher au but. Eux suivre le Fils du soleil.
Il garda la posture, immobile. Le monument s’octroyait-il une pose syndicale après tout méritée ? Cet arrêt sur image conforta surtout Coline dans la conviction qu’une entité arbitraire jouait avec la télécommande. Si cet inconséquent démiurge contrôlait aussi la météo, bonjour les dégâts ! Le Sorcier ne semblait toutefois pas souffrir d’une rude vie en plein air, son bois était bien conservé. Quant à l’aigle, sensible à l’humidité, il pouvait toujours s’élever au-dessus des cumulus. Sacré verni ! Seule perturbation dans un ciel clair, le majestueux emblème projetait son ombre mouvante sur le petit groupe. L’observatrice hésitait à y voir un signe d’orage, tentée de faire confiance au Totem.
– Il faut retrouver les chevaux, dit Lionel méfiant à l’égard des guides à serres recourbées, les préférant assermentés.
La fine équipe remonta sans mal la piste de Pépère et Placide qui pâturaient un peu plus loin dans la plaine. Ils ont toujours un boyau de vide, commenta Lionel heureux de n’avoir pas laissé ses propres tripes en chemin.
Et maintenant tous en selle ! Enfin presque tous, car il en manquait toujours une.
Leur prétendu guide ailé les suivit, à moins que ce ne fut l’inverse. Et bientôt une ville se dessina.
6
D’abord une esquisse aux contours un peu flottants, malhabiles, imprécis comme si le maître d’œuvre manquait encore d’assurance. Dupée par l’effet d’optique, la cavalière en arriva à croire que la localité entière avait été érigée d’une main tremblante. Mais aussi flou fut le trait, pas question pour elle d’en tirer un sur son fiancé, faisant sien le proverbe : une trace perdue, un indice de retrouvé.
Elle espérait que Lucas avait fait étape dans ce brouillon urbain et y rechargeait encore ses accus. Si tant est qu’à l’image des Sérisses les habitants étaient ouvert aux étrangers en plus d’être tout verts. Comment en avoir le cœur net sinon en y mettant les pieds et les sabots ?
Sa vue, qui avait une longueur d’avance, se faisait déjà plus nette. La bourgade blottie à flanc de relief, jusque-là un tantinet effacée, prenait peu à peu ses marques. Elle s’affirmait, devenait un petit village de caractère où tout le monde devait toucher du bois. Celui-ci utilisé comme matériau, donnait aux habitations une teinte jaunâtre tirant vers le gris.
La montagne dont les pans défrichés beige et ocre trahissaient la nature argentifère du sous-sol ne payait pourtant plus de mine. Coline et ses acolytes, sur les paroles d’Ang-Ray, s’attendaient à découvrir une exploitation désaffectée. Les filons, même peu rentables, s’épuisaient toujours moins vite que les ouvriers à la tâche. Le propriétaire avait dû trouver un meilleur gisement ailleurs dans la Chaîne d’Argent.
L’appétit creusé par le voyage, Yann désirait casser la croûte, en aucun cas des minerais. Mais plus qu’à la faim, il était surtout en proie au doute.
– Ang-Ray nous a parlé d’une ville marchande. A première vue ça ne bouillonne pas beaucoup.
– Elle a l’air abandonnée, flaira Lionel. Vérifions ça de plus près.
Un peu plus loin un panneau indicateur tout de guingois renforçait cette impression. L’écriteau dégustait une mousse locale, lentement, sans avoir jamais levé le pied. On pouvait lire gravé dans le bois, lequel devait enchaîner les vers au vu de son état : Goldencity, Ville fleurie (surtout les tombes). 200 âmes en comptant le cimetière…
Les trous ne sont pas que l’œuvre des vers, frémit le lieutenant.
– Ça envoie moyennement du rêve ! Vous voulez vraiment continuer ? demanda le magicien, refroidi par la mise en exergue macabre.
– On s’est pas tapé tout ce trajet pour des prunes, trancha Coline.
Et encore moins des pruneaux, ajouta une petite voix. De ceux qui vous restent longtemps sur l’estomac.
L’atout charme du trio affichait un certain détachement opiniâtre, mais son stress, encore sous contrôle, était déjà monté au front, joli front barré d’un léger pli soucieux. Goldencity lui tendait un autre visage, inquiétant, bien différent de celui décrit par les fermiers Sérisses. Ang-Ray prétendait y écouler ses récoltes, or, au regard de l’écriteau, autre chose devait y couler encore plus abondamment. Du sang et des larmes ? La funèbre mention annonçait la couleur, noire ou rouge vif, tout en restant sujet à interprétation. Mise en garde ou simple trait d’humour grinçant ?
Pourquoi nos hôtes nous auraient envoyés au casse-pipe ? s’interrogeait Coline. La question se posait. Tout comme l’aigle-totem aussi du reste, en prenant le poteau indicateur pour nouveau perchoir. A le voir ainsi juché, pareil à une gargouille, on eût dit que la bourgade s’était dotée d’un emblème.
– C’est peut-être pas le bon terminus, envisageait le magicien.
Ce à quoi répondit sa voisine :
– Moi je me fie au panneau.
– Justement, il ne s’agirait pas de tomber dedans !
Le chapeauté mit en garde ses partenaires contre une vulgaire contrefaçon de Goldencity. Une mauvaise copie bâclée et laissée en plan voire même en plomb, celui dont se faisaient truffer les pauvres camelots mal avisés. D’après lui la cité originale, la fourmillante, l’authentique, devait rayonner autre part à moins que son aura ne s’avérât tout aussi en toc.
– Deux villes du même nom ? L’emplacement correspond bien aux coordonnées géographiques sur la carte, fit remarquer Lionel… Non, ça ne tient pas debout.
Et la pancarte presque plus, dont le message très second degré rappelait Lucky Luke à notre limier qui connaissait ses classiques.
D’ailleurs ce champignon urbain avait dû réclamer son lot de planches, mais sans dessins. Le marteau à la place du crayon. Une société bâtie du jour au lendemain puis apparemment désertée encore plus vite.
Une discrète église au clocher court semblait veiller à l’alignement des âmes et des habitations. Si Lionel avait la sienne d’âme un peu en désordre, son arme était bien rangée dans son holster, avec seulement deux battes restantes.
Dieu laisse sa porte ouverte, dit-on. Coline cherchait une autre porte, interdimensionnelle, à moins que ce ne fut la même.
– On est arrivés, point ! trancha-t-elle. Alors on entre et on cherche cette sortie. Ici ou ailleurs on la trouvera et on la franchira tous ensemble, avec Lucas si les étoiles le veulent. Et on laissera personne se mettre en travers !
La messe était dite. Galvanisée, la gent masculine se rallia au panache bleu-ciel de sa robe pionnière. Pour le rapace-totem l’aventure s’arrêtait ici. Une autre commençait.
***
Une large rue de terre battue coupait Goldencity en deux, comme une pomme. Une golden, pensa Coline en référence à cette variété bien connue. L’étrangère prit le pouls urbain, d’un balayage du regard. Si son propre cœur palpitait, à première vue elle ne pouvait en dire autant de l’artère principale.
Le vent des possibles, celui qui devait souffler jadis dans le dos des prospecteurs, était retombé. Ne restait qu’une petite brise intermittente, fraîche, tout juste en mesure faire rouler des buissons d’amarante à travers la grande rue déserte.
Une ville morte en apparence. Pour autant, elle ne portait ni linceul ni stigmate de son passage de vie trépidante à trépas. La nature, toujours très prompte à reprendre ses droits, semblait encore se tâter. Pas d’herbes folles dans les rues. Condamnées, promises à finir entre quatre planches, les bâtisses en bois accusaient bien le coup.
L’idée effleura Coline que la ville, dans une stratégie d’éloignement des pilleurs, pouvait juste faire le mort, car après tout, le panneau d’entrée annonçait la couleur. Ou peut-être dormait-elle seulement d’un sommeil par à-coups… de feu, Far West oblige ?
L’endroit, en rien féerique, ne se prêtait pas vraiment à un réveil à la Belle au Bois Dormant. L’exploratrice, qui avait visité l’emblématique château avec Lucas, se rappelait la queue à l’entrée, faisant dire à son fiancé : « J’espère qu’on n’attendra pas cent ans ! » Heureusement, du temps leur était resté pour visiter Frontierland, cet autre royaume du parc Disney où les touristes partaient à la conquête de l’ouest et accessoirement des petits coins. Coline avait trouvé les décors plus vrais que nature. Les restos à viande aussi, au point qu’elle et lui avaient même failli y manger.
Goldencity lui rappelait par bien des aspects la ville minière chez Disney. Sans la foule ni les intermittents du spectacle dans leur costume de cow-boy. Elle voyait encore tous ces gens, après le concours de lasso, se laisser attraper par le marchandising. Un Far West imaginaire où personne ne mourait mais où beaucoup succombaient, à la tentation tout du moins. Le couple en avait fait les frais, reparti du domaine avec plusieurs babioles dont une figurine Dingo. Lucas s’était montré le moins raisonnables des deux. Pire qu’un enfant, sourit Coline.
Un autre jubilait comme un môme, sous ses airs de retenue. Dans un décor tout trouvé, Lionel se faisait son cinéma. Silence, on rembobine !
L’Homme sans nom dans une grande rue anonyme. Des tueurs embusqués à gauche, à droite, et à terre avant d’avoir dit ouf. Entre tous ces sicaires dégommés sur les toits, c’était à qui exécuterait le meilleur saut de l’ange. Les balustrades branlantes du premier étage d’un hôtel ou d’un saloon, face aux fenêtres à guillotine, offraient un plongeoir d’infortune.
En repartant vers le soleil couchant, le pistolero laissait derrière lui l’élite de la gâchette et des litres de sang.
Contrairement aux fruits, les méchants le plus mûrs tombent souvent en dernier. Le pistolero aimait garder le meilleur, si l’on peut dire, pour la fin. Les exemples se bousculaient dans la mémoire du flic cinéphile : Henry Fonda l’assassin de Il était une fois dans l’Ouest, Gene Hackman traqué par l’Impitoyable Clint Eastwood, parmi beaucoup d’autres. L’intrigue du deuxième film susnommé prenait sa source dans un lupanar. Lionel n’avait pas encore repéré d’honorables maisons, mais pouvait déjà compter les enseignes closes autour de lui ; ici une blanchisserie à la devanture délavée, là le bureau du shérif qui avait dû mettre la clé de la prison sous la porte. Même le salon du barbier était à l’arrêt, au milieu.
Yann, aux aguets lui aussi, cherchait l’ombre d’une présence. Le soleil, désormais haut, en dessinait deux sur la terre battue de la rue, montures et cavaliers jumelés. La perspective d’une rencontre hostile inquiétait l’Escamoteur d’autant plus que question détente, tout le monde ne s’appelait pas Personne La ligne de fuite entre les alignements mitoyens portait bien son nom, selon le magicien, qui n’y aurait établi ses pénates pour rien au monde. Car au-delà d’un champ de tir dégagé, ce bled exsangue n’avait rien à offrir. Au mieux une bière, sans le plat du jour.
Ses pensées se recentrèrent vers un lointain village cher à son cœur. Si l’architecture y était moins exotique, en revanche la cantine familiale valait le détour, parole de gastronome. Mais une ombre planait au dessus du tableau :
– Le patelin de mes parents aura ce visage d’ici quelque temps, prédit-il, fataliste. Les commerces ferment les uns après les autres…
La vie économique s’y éteignait à petits feux. Ce délitement faisait moins de bruit que des sabots d’équidés.
– Où vivent-ils ? demanda Coline.
– Dans le Perche.
Les repreneurs ne tombent pas du ciel. Les hors-la-loi de la gravité non plus, à moins d’avoir été descendus. Or, voilà qu’une main jaillie des cieux déposa un cow-boy au beau milieu de la grande rue. Une pogne immense prolongée par un bras vaporeux. Ni une main courante, le lieutenant Gaillard l’excluait catégoriquement du registre, ni une main de Dieu, à moins de croire en Maradona. Un appendice incontestablement surnaturel, avec cinq doigts humains sans finition. Le policier y chercha en vain des ongles d’Amérique.
Mais pouvait-on encore parler d’Amérique ? Ce n’était pas celle que les trois témoins connaissaient, en tout cas. Ce Nouveau Monde, de toute évidence, s’était construit non à la force des bras mais d’abracadabra.
Chacun chercha en l’autre un fragile garde-fou où s’appuyer, au risque de l’accompagner dans une chute insensée.
Ce pas en avant dans l’irrationnel pouvait bien être le dernier. Placide et Pépère, qui le pressentaient, refusaient d’en faire un de plus. Ils avaient freiné des quatre fers. Autant de porte-bonheur, dit-on. Au premier abord, ce qualificatif ne s’appliquait pas à l’inquiétant personnage céleste, bientôt rejoint par un autre larron, lui aussi débarqué d’aérienne manière.
En regardant mieux, les deux fines gâchettes s’avéraient des figurines humanoïdes, en plomb ou en métal, d’au moins deux mètres cinquante de haut. Les géants à Stetson se tenaient en joue. Et au milieu, pris entre deux feux, les voyageurs sur leur monture.
– Y en a peut-être un gentil de notre côté, espérait Yann entre deux va-et-vient du regard.
Gauche ? Droite ? Lionel ne préférait prendre aucun pari.
– Faut pas rester là ! recommanda-t-il.
Le meneur tourna bride vers la coursive en planches aménagée en guise de trottoir. Il attacha la longe à un poteau, près d’un baril en bois, pensant que sa petite troupe lui emboîterait le pas. Or, Coline et Yann s’attardaient à découvert, comme suspendus aux faits et gestes des duellistes.
La rencontre pouvait trouver une issue diplomatique si le démiurge réfrénait ses penchants primaires. Mais quel gosse avec un cow-boy dans chaque mimine a déjà fait passer le dialogue avant le revolver ? Une entité puérile dont seules les mains et les bras ressortaient au grand jour s’amusait à déplacer ses joujoux. Bluffé, le public se crut lui-même les jouets d’une illusion.
Et pourtant, cette vision tenait debout !
L’Escamoteur y puisa une idée pour un hypothétique futur numéro. Il regretta au passage de ne pas avoir emporté un petit carnet. Une arme est plus utile au Far West, lui fit observer une petite voix. Du moins une factice, reconsidéra-t-il ensuite, à l’aune des onomatopées poussées par le dieu enfantin.
– Paaan ! Paaan !
Le préposé aux bruitages mettait du cœur à l’ouvrage. Un tir nourri d’imagination.
– Ouf, c’est juste de la simulation, se rassura le magicien.
Un inoffensif amusement ? Les deux pions armés ne voyaient pas les choses sous le même angle D’un revers du poignet, le maître du jeu les orienta vers une autre cible.
Yann ne lisait rien dans la main cosmique à la manœuvre. En revanche, la nouvelle ligne de mire était très claire. Il y déchiffra un inquiétant présage.
– Foutons le camp ! enjoigna-t-il à sa cavalière.
Mais le coup partit avant eux. Une balle siffla à l’oreille de Placide. Scandalisé, le cheval se dressa vent debout contre cette agression, désarçonnant ses deux passagers. Et de prendre ses sabots à son cou, affolé par la pétarade sans se retourner sur les deux corps au sol.
C’est peu dire que Coline et Yann étaient dans de sales draps couleur suaire. Comment sortir d’une béchamel pareille la tête haute ? L’infortuné duo, encore sonné par sa chute, la gardait baissée, face contre terre, dans une politique d’autruche avec la mort. Êtres humains ou vulgaires canettes à dégommer, du pareil aux même pour les marionnettes armées qui s’appliquaient à faire durer le supplice. Les balles ricochaient, sifflaient, crépitaient autour des deux victimes prostrées.
Abrité derrière un tonneau en bois, sous la coursive, Lionel Gaillard avait senti le vent tourner. Le vin aussi. Ou s’agissait-il de whisky ? Quelques effluves émanaient encore du fût entreposé, encore plus vide que son chargeur. Ce contenant était son dernier espoir, car autant tirer un trait sur la pétoire du vieux Sérisse, obstinément enrayée
Le baril ferait office de rempart entre ses hommes et les tireurs. L’alcool ça conserve, disait son grand-père. Le petit-fils roula la barrique, mettant cette vertu ancestrale à l’épreuve des tirs. Il détacha au passage Pépère exposé aux dommages collatéraux. En panique, l’animal, détala à bride abattue, tellement vite au point de s’emmêler les sabots comme un jeune poulain. Il trébucha mais parvint à rétablir son équilibre.
Se remettre d’aplomb, une autre paire de jambes pour des bipèdes.
– Ça va ? Vous pouvez vous relever ? demanda le lieutenant à ses congénères, une fois avoir atteint leur délicate position, en posture commando.
Déjà, son spiritueux en dégustation faisait un carton plein, ou plutôt vide. Les tirs fusaient à gauche, à droite, aérant de part en part le prétendu bouclier aux senteurs fruitées. Ses compagnons et lui-même auraient pu se faire trouer la couenne dix fois. A se demander qui des miraculés ou des canardeurs touchait le plus du bois, dans cette volée d’esquilles.
– Me relever, oui. M’asseoir, non, confia Coline en se frottant les fesses.
– Mon dos accuse mauvaise réception, grimaça Yann.
Bouger était risqué, bien que l’illusionniste avait amorti un peu sa chute par un roulé-boulé. Le moindre mouvement risquait de déclencher un feu d’hostilité sensorielle. Les deux flingueurs en plomb, pour leur part, avaient ouvert le bal depuis un moment, et leurs munitions semblaient inépuisables. Le tonneau devenait une vraie passoire.
– Vous voyez l’échoppe à dix mètres ? A trois, on court jusqu’à la porte, proposa Lionel.
– J’ai hâte d’arroser ça, grommela l’homme à la malle, dont les vertèbres avaient déjà trinqué.
Le policier offrit sa main à Coline pour l’aider à se remettre debout. Elle la lui accorda, comptant aller encore plus loin avec lui, toujours en tout bien tout honneur
– … trois !
Ses jambes répondirent au quart de tour. Mue par l’adrénaline elle se catapulta jusqu’à la lourde, à une vitesse jamais vue depuis sa dernière gastro foudroyante. Mais cette fois, contrairement aux waters, la porte du caviste était closed.
– Bien joué, persifla Coline. On demande la clé au Père Fouras ?
La serrure ne devait pas s’amadouer facilement, poignée de la dernière pluie. Aux grands maux les grands remèdes, un pruneau la fit sauter. Lionel ouvrit le passage d’un coup d’épaule.
Dès leur entrée une odeur de whisky et d’humidité les cueillit, enivrante, qui rendait urgent d’inverser la vapeur éthylique. L’atmosphère était chargée, les colts aussi, et l’association des deux pouvait très vite détoner.
– Il vous reste des munitions. Pourquoi ne pas leur avoir tiré dessus ? demanda Yann une fois engouffré dans l’échoppe.
– Il ne me reste qu’une balle. Et ces « choses » doivent être en plomb. Ça n’aurait eu aucun effet.
Dehors la pétarade avait soudainement cessé. Un silence tissait sa toile de linceul. Du moins il prenait les devants, car aucun des reclus n’avait passé commande, ni l’arme à gauche.
– Le géant a rangé ses jouets, en conclut Coline l’oreille tendue.
– Je parierais pas là dessus, tempéra le policier.
Car à quoi s’attendre d’un manipulateur adepte des 400 coups de feu ? Une seule chose sûre, et quelle pointure ! le garnement cyclopéen méritait une bonne leçon. Lionel Gaillard, pauvre mortel, passait volontiers son tour. En espérant un recadrage par l’autorité compétente, divine donc, mieux valait se tenir à carreau. Sans s’en approcher. Pour preuve, le vol en éclat des vitres.
– Couchez-vous ! hurla l’officier.
Les cow-boys voulaient payer leur tournée. Ils avaient crédit illimité, autrement dit feu à volonté pour tout le monde. Les malheureux clients rampèrent derrière le comptoir, déjà saoulés du déluge de feu et de verre brisé. Bouteilles et flacons en première ligne alimentaient un bouquet final promis à être funèbre.
Sous une grêle d’éclats coupants, Coline trouva un rempart en l’imposante personne du magicien. Couché sur elle, ce dernier attendait la fin de cet orage infernal, dût-il en cuire… chevelu.
D’un coup d’œil au-dessus du bar, Lionel évalua la position ennemie. Un frisson l’envahit en voyant que l’entité persécutrice essayait d’introduire ses cow-boys dans l’échoppe. Par chance, la porte était trop basse ou les assaillants trop grands, selon la vision de chacun. Leur maître mit à plat le problème et ses deux séides suivant la même logique horizontale. Ça coinça une nouvelle fois. Le support soudé aux pieds des figurines ne passait pas l’encadrement.
Le policier se sentait comme un lilliputien acculée au fond d’une maquette. Au désespoir ? Pas encore. Le chef d’artillerie avait cessé le feu, tout à sa manœuvre pour investir les lieux coûte que coûte. Et les assiégés de s’employer à chercher une deuxième issue. Hélas, ici ni sortie de secours ni cave où s’abriter, juste un mur en bois avec ses rayons dévastés.
– Sans plan B on va se faire plomber, prédit l’illusionniste, qui ne se faisait plus d’illusions.
Heureusement, Lionel dénicha une idée en réserve. Un bon crû, du moins l’espérait-il, mûri au soleil de son expérience. Les ingrédients se trouvaient sous sa main, à savoir les rares bouteilles miraculées. Il prit l’une d’elles. En France, un tenancier se serait attiré les foudres des redresseurs de tord-boyaux avec ce produit. L’étiquette jaune annonçait la couleur : « authentique eau de feu ». Inscrit également en petits caractères : peut rendre aveugle à très forte dose. C’est un miracle que ça ne se soit pas encore embrasé, se dit l’artisan du plan de secours en ouvrant la boutanche. Dès les premières effluves, les assoiffés, adeptes du « goulot-goulot » dans les bars, auraient tourné les talons, voire même de l’œil. Ma parole, c’est du White Spirit ! se dit le goûteur en apposant un mouchoir en tissu sur son nez.
– Yann, j’ai besoin de toi !
– T’as un problème avec la boisson et tu veux m’en parler ? se méprit l’intéressé
– Non. Je veux que tu refasses le coup du feu, comme tout à l’heure.
L’Escamoteur trouvait l’endroit et le moment inappropriés pour déclarer sa flamme.
,Bon, après tout, si le destin devait l’inscrire sur le prochain vol en partance vers l’Autre Côté, autant voyager léger. Les yeux fébriles de Coline, pareils à deux barques secouées mais pas encore chavirées, insufflèrent un surplus d’oxygène à sa flamme. Il y mit donc son cœur, ainsi qu’un vieux truc de magicien.
Entre-temps, Lionel enfonça le mouchoir dans la bouteille en laissant dépasser une mèche imbibé au préalable d’alcool. Il émergea du comptoir avec encore l’espoir un peu « vin » – quoique surtout whisky – d’arroser une retraite.
Hélas, l’ennemi avait toujours des vues sur le débit de boisson, et ce d’autant plus qu’une paire d’yeux chimériques en scrutait l’intérieur. Des mirettes dont l’essence était impossible à cerner par la raison, éthérées, comme tissés dans l’étoffe des nuages. Au fond d’elles sourdait une lueur espiègle, enfantine. L’entité faisait à Lionel l’effet d’un gosse regardant à travers une maison de poupée, ses jouets coincés sur le palier.
On ne peut pas lutter contre ÇA, se résigna ce dernier… Puis dans un sursaut d’opiniâtreté. Mais on vatenter le tout pour le tout ! Il chuchota la dernière étape du cocktail à son assistant, non sans lui demander au passage son brûlant secret. Promis, il ne vendrait pas la mèche. Le pyrotechnicien se contenta d’allumer la sienne, combustible improvisé, du bout des doigts enflammés. Il gardait ses trucs pour lui, mais pas les bombes à retardement. Il refila le bébé à Lionel, lequel envoya de toutes ses forces le projectile ardent vers la fenêtre explosée.
Une plainte aiguë mugit dans le brasier qui s’ensuivit, semblable au vent à l’intérieur d’une cheminée, mais avec une nuance étrangement plus humaine. Ça a dû lui piquer les clignotants, en conclut l’incendiaire. Du côté des trois assiégés, la gorge n’était pas en reste, il fallait évacuer d’urgence. Dehors le démon, à coup sûr de mauvais poil (roussi), devait leur préparer une note bien corsée. Laquelle des additions, asphyxie ou châtiment surnaturel, faisait le plus tousser ?
Coline avait déjà son idée, en proie à une vive quinte de toux. Elle n’était pas « pompier bon œil » à cause de la fumée inhalée. Ses deux compagnons la prirent chacun par un bras et l’entraînèrent vers la sortie. Ils enjambèrent l’un des cow boy de plomb coincé à travers la porte, singulière œuvre d’art apparemment laissée en plan.
Yann, en son âme d’enfant préférait les figurines façonnés artisanalement aux produits à grande marque, impersonnels selon lui. Une inspection aurait peut-être permis de déterminer si cette dangereuse création portait la marque non homologuée du Malin.
Au delà du produit final, personne ici n’avait à cœur de saluer les petites mains aux manettes. Quelle idée d’embaucher des petites mains aussi grandes, et surtout si dangereuses ! Lionel chercha leur trace dans le ciel ensoleillé où s’élevait une volute de fumée noir. L’enfant-dieu, plus dissipé, jouait à cache-cache. Ou boudait-il quelque part là haut, vexé de la tournure explosive des événements ? Peut-être ne s’attendait-il pas à cette riposte œil pour œil ? Le policier s’essuya les siens, d’yeux, rougis par la fumée.
Le cocktail molotov, qui avait roulé par-terre jusque dans la grande rue, se consumait sur lui même. Par chance, ni l’établissement ni la coursive ne s’étaient embrasés.
– Ça va aller ? demanda Lionel à Coline après l’avoir conduit à l’écart.
Le visage cramoisi de la jeune femme tranchait avec sa blondeur ternie, sans éclat, si ce n’étaient des éclats de verre ramassés pendant la fusillade..
– Ma gorge me pique, articula-t-elle en réprimant une quinte de toux. Je dois boire.
– Là bas, devant le saloon, indiqua Yann. Un abreuvoir !
Alias Terence Hill