Léo se met au vert (suite et fin)

Léo pose son livre et s’allonge sur le banc le temps d’une sieste. Ses paupières se ferment. Une voix le réveille.

VOIX
Je vous écoute.

Il se redresse et découvre à côté du banc un homme en chemise sur un fauteuil en cuir, un calepin sur ses genoux, l’air absorbé. L’homme fourrage dans sa barbe avec un stylo.

LEO
Quoi vous m’écoutez?

L’HOMME
Et bien vous avez un gros problème et je peux vous aider à le résoudre. Parlez sans honte.

LEO

Quoi? Ici? Maintenant?

Il regarde autour de lui pour vérifier que personne ne l’entend. Après s’être assuré, il s’allonge à nouveau et se livre.

LEO
C’est vrai, vous avez raison… J’ai un gros problème… Je vois des tas de choses totalement insensées. Des manèges vivants, des soucoupes volantes. Je fantasme sur tout ce qui est autour de moi, je crois que suis cinglé.

PSY
Hum hum

LEO
Peut-être que vous-même n’existez que dans mon imagination. Alors c’est pour vous dire si ça tourne pas rond !

Une autre voix, moins chaleureuse, l’interrompt.

VOIX
Ca vous dérangerait que je m’assoie?

Léo rouvre les yeux. Un petit vieux est planté à côté du banc, appuyé sur sa canne.

LE VIEUX
Le banc n’est pas qu’à vous, jeune homme.

Le patient se redresse, cherche des yeux le psy et son fauteuil. Disparus. Il prend son livre, se lève et s’en va sans un mot.

EXT. Les grilles DU PARC

Léo sort du parc et descend la rue. Il longe un large trottoir bordé d’arbres. Un tapis de feuilles mortes rouvre le sol.

Une bourrasque fait s’envoler les feuilles. Le vent les fait tournoyer dans les airs. Les feuilles tourbillonnantes forment peu à peu une silhouette féminine. Un oeil attentif reconnaîtra une danseuse Arabe effectuant la danse du nombril. Une flûte orientale accompagne la séquence.

Un souffle d’air vient anéantir cette sensuelle chorégraphie. Un agent d’entretien apparaît avec un souffleur à feuilles. Léo qui rêvait devant cette danse atypique, retombe de son nuage.

EXT. la rue

Léo traverse la rue en face de laquelle l’attend une bouche d’égout vivante, avec des lèvres humaines. La bouche s’ouvre en grand et renvoie des relents très désagréables au passant. Léo, qui s’est tout pris dans le nez, fait un geste de ventilation avec une grimace. Il contre-attaque avec un pschitt pschitt pour l’haleine en en administrant plusieurs coups à la bouche puante. Un nuage glacé s’élève des égouts.

ext. UN IMMEUBLE TYPE HAUSMANNIEN

Léo stoppe à l’entrée de l’immeuble, regarde sur un papier où est écrit « Docteur Zinzin, médecin psychiatre » avec l’adresse indiquée, vérifie sur une plaque qu’il se trouve au bon endroit avant de pousser la porte.

INT. salle d’attente

Plusieurs personnes attendent leur tour, avec toutes des têtes bizarres, parmi lesquelles Léo et un enfant assis à côté de lui, en train de griffonner un dessin. Au bout d’un moment, le gosse lui tend son oeuvre.

LE GOSSE
Regarde monsieur, il est beau mon dessin, hein?

Léo le regarde.

LE GOSSE
C’est la Tour Eiffel qui fait saute mouton sur l’Arc de Triomphe.

On découvre le dessin d’enfant, suivi de la représentation que s’en fait Léo dans sa tête. La Dame de Fer prenant son élan dans le Champ de Mars, courant avec des bras imaginaires avec lesquels elle prend appui sur l’Arc. Hop là !

LE GOSSE
Maman elle dit que j’ai trop d’imagination pour mon âge.

LEO
(avec un sourire) On n’a jamais trop d’imagination… Jamais trop.

Ses propres paroles font réfléchir Léo qui étudie quelques instants son papier. Et de relever la tête avec le sourire apaisé d’un patient guéri.
Il se lève d’un bond, rejoint la sortie en déchirant au passage son papier. Les morceaux retombent comme autant de confettis.

La porte du cabinet s’ouvre, laissant apparaître le médecin et sa patiente.

MEDECIN
(en lui serrant la main) Allez, au revoir, et si vous entendez encore la voix de Mike Brandt dans votre lave linge, revenez me voir… Ou achetez un autre lave-linge.

LA FEMME
Merci docteur !

Elle sort de la salle d’attente non sans avoir attrapé son gamin dessinateur au passage.

LA FEMME
Viens, Bastien…

Le médecin appelle son prochain patient.

MEDECIN
Lequel d’entre vous se prend pour l’Homme Invisible? (en serrant une main dans le vide) Ah, c’est vous, bonjour, entrez.

Le toubib referme la porte derrière lui après qu’on n’ait vu personne entrer.

ext. DANS LA RUE

Léo sort de l’immeuble et part vers de nouvelles aventures, d’un pas libre. 

 

 

Léo se met au vert

EXT. l’entrée du Jardin du Luxembourg
Un jour de soleil. Des promeneurs vont et viennent entre les grilles du parc, et parmi eux Léo, un jeune homme à l’air lunaire. Il s’engage dans l’allée principale bordée de pelouse.

ext. un manège de chevaux

Une musique de carrousel accompagne les chevaux de bois qui tournent, tournent… Des parents avec des poussettes font coucou à leurs enfants sur les canassons. Léo s’approche.

Les chevaux de bois prennent soudain vie. Ils se débinent du manège les uns après les autre en emmenant sur leur dos leurs petits cavaliers. Hurlements de panique des parents ! Les chevaux galopent dans l’allée principale jusqu’à sortir du parc.

ext. UN SENS GIRATOIRE

Les chevaux de bois vivants surgissent dans le rond point. Les bagnoles engagées au même moment pilent à mort pour les éviter et se carambolent. Les chevaux font plusieurs tours de rond point. Tandis que des conducteurs accidentés descendus de voiture s’invectivent, d’autres regardent le manège, ébahis. Un concert de klaxons à l’arrière s’estompe au fur et à mesure que monte une musique de carrousel. Et les chevaux tournent, tournent…

ext. LE MANÈGE

Léo se frotte les yeux comme pour se réveiller. Les canassons sont toujours dans le manège. Tout est normal. Il s’éloigne furtivement.

EXT. un grand bassin

Des gens sont installés sur des chaises tout autour du plan d’eau. Léo promène sa carcasse dégingandée jusqu’au bord du bassin. Il tourne la tête vers un vieux monsieur à côté de lui, assis sur une chaise, en train de dessiner le parc. Un gamin qu’on suppose être son petit fils fait flotter un bateau au bord du bassin. L’enfant abandonne son bateau et va voir le grand père.

« Papi ! Je peux avoir une glace? »

Le dessinateur ne répond pas, absorbé par son oeuvre. Le gosse s’impatiente, le tire par le bras.

« Papiiii ! »

L’artiste pousse un soupir, donne encore quelques petits coups de crayon avant de poser son support.

« Bon d’accord, viens avec moi. »

Le grand père s’en va avec l’enfant, en abandonnant son dessin.

Léo se lève pour admirer l’oeuvre qui représente le cadre avec le bassin et des arbres magnifiques en arrière plan. Léo jette des coups d’oeil de voleur autour de lui, prend le dessin et son support et commence à crayonner dessus. Il ajoute un arbre très sommaire comme ceux que font les enfants.

Un arbre atypique jaillit au milieu du parc. On dirait du mauvais travail de décorateur de cinéma, du carton pâte grossier. Les promeneurs se pressent vers cette incongruité végétale sortie soudainement de terre. Léo examine le crayon magique, perplexe. Il gomme alors ses dégâts. L’arbre s’estompe de la réalité, comme effacé par une main divine. Léo repose le calepin et s’éloigne en sifflotant d’un air innocent.

EXT. PELOUSE DU PARC

Séance de frisbee canin. Un homme en short et t shirt lance un frisbee que son petit chien réceptionne en plein vol au prix d’un beau saut. L’homme caresse son chien qui lui ramène le frisbee avant de lancer une nouvelle fois l’objet.

Une mini soucoupe volante se pose un peu plus loin sur l’herbe.

Le chien attrape le frisbee au vol mais délaisse vite celui-ci pour la minuscule soucoupe à côté de lui. Il s’approche de l’appareil, le renifle avant de le mettre dans sa gueule et de le ramener à son maître.

[B]le maître
[/B]
(en prenant la soucoupe de sa gueule) Qu’est-ce que tu m’as ramené?

L’homme examine le petit engin intrigué avant de le balancer comme un frisbee. La soucoupe plane. Le chien, croyant à un jeu, s’élance pour le cueillir au vol. Mais au moment où ses crocs vont la happer, la soucoupe fait une accélération à la vitesse de la lumière. Un éclair monte vers le ciel. Le chien, autant surpris qu’effrayé par ce phénomène, trouve refuge entre les jambes de son maître en couinant.

EXT Un théâtre de marionnettes

C’est un castelet ambulant installé sur l’espace vert. Face à un parterre d’enfants émerveillés, un marionnettiste caché anime un Polichinelle à fils. Léo s’arrête quelques instants devant le spectacle, sourit avec amusement.

Un filin tombe du ciel comme un éclair et se fiche sur son bras droit. Schlak ! Distrait par le spectacle, Léo ne s’aperçoit de rien. Un deuxième filin s’abat sur son autre bras. Schlak ! Notre héros réalise ce qui lui arrive quand il ne se sent plus maître de ses bras. Un marionnettiste invisible les lui lève et les abaisse avec les filins.
Le jeune homme se tortille pour se libérer mais ses jambes, à leur tour, sont frappées par la mystérieuse fibre fulgurante. Nous prenons un peu de hauteur et découvrons une araignée géante juchée sur une grosse branche d’arbre. Léo est prisonnier des filins de l’arachnide qui l’anime comme un pantin. Un coup les jambes, un coup les bras… Léo ouvre une bouche et des yeux d’effroi. Devant lui, à la place des jeunes spectateurs, un public d’araignées gigantesques qui applaudissent de leurs 8 pattes. Un hurlement sort du profond de sa gorge.

Retour sans transition à la réalité. Une araignée pend juste devant ses yeux. Léo l’écarte avec dégoût. Il voit alors que les enfants se sont tous retournés et le regardent bizarrement. Il leur fait un petit coucou de la main, avec un sourire gêné, avant de s’éclipser…

EXT. UN BANC

Léo s’arrête sur celui-ci et sort un livre de sa poche. Il l’ouvre, mais son attention est vite détournée par le défilé des joggeurs. Deux coureurs passent, fringants. Un troisième surgit peu après mais est victime d’une déchirure. Le pauvre se met à clopiner en grimaçant de douleur avant de s’asseoir par terre en se tenant la jambe.

Léo se lève et s’approche de lui.

LEO
Vous voulez que j’appelle les secours?

Il prend son « Aie! » pour un consentement et prend son portable.

LEO
Allo le Samu?…

Ellipse. Il se rassoit sur son banc et entame sa lecture. Il lève la tête quand surgissent deux brancardiers atypiques, en basket et courant avec une civière. L’un des brancardiers, le visage un peu rouge, sort un chronomètre de sa poche de blouse.

BRANCARDIER
2mn 33, 5 dixième, pas mal

Le brancardier sort une bouteille d’eau, s’asperge le visage avec, avant de la tendre à son collègue qui en fait de même. Tous deux font s’allonger le blessé sur la civière. Rien que de très normal jusqu’à ce qu’ils posent un genou par terre en position de startin block. Le blessé allongé tire un coup de revolver en l’air sonnant le départ des brancardiers… au sprint !

Léo se replonge dans son livre. Sa concentration se trouve compromise une nouvelle fois à l’arrivée d’un homme habillé en mousquetaire, tout en panache. Le Mousquetaire tire un pic à papier de son fourreau pour ramasser un détritus par terre et le mettre dans une poubelle.

Une bourrasque fait voltiger un papier. Le fantassin se lance à sa poursuite et se retrouve face à un autre Mousquetaire. Le papier atterrit entre les deux hommes. Ces derniers se jaugent brièvement puis se mettent en position d’escrime. Chacun bondit et plante son instrument dans le même papelard. Les Mousquetaires se départagent le déchet dans un combat au pic à papier. Ca fouraille sec jusqu’au coup de sifflet d’un policier municipal qui surgit dans la seconde. Les duellistes repartent fissa de leur côté en piquant ici et là des papiers qui traînent. Regard sévère du flic.

(à suivre)