roman livre 2 (54)

Episode précédent :

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media_xl_3640637http://www.7sur7.be/7s7/fr/1504/Insolite/article/detail/1087510/2010/03/31/Une-soucoupe-volante-s-ecrase-a-Toulouse.dhtml

–  Super ! Où vous avez pêché ce truc là ? s’enquit l’enfant en caressant la proue de l’appareil.

Vincent rebroussa ses cheveux, en regrettant de ne pouvoir faire de même avec le temps. Un saut en arrière jusqu’à cette soirée où il s’était mis à nu devant Alice. Il laisserait alors ses sentiments pour elle à la cave, lui épargnant la peine de ce déplacement. Quel vent l’avait amené jusqu’ici ? Celui des remords ?

– Salut, ça va ? lui demanda-t-il.

– Oui…, bredouilla son amie. Et toi ?

– Comme tu vois. J’ai voulu prendre un peu de hauteur.

A chacun son exutoire. Quand d’autres soupirants éconduits montraient de quelle gueule de bois ils se chauffaient, lui, s’enivrait de nuages. Jérémy, le voyant distrait par sa belle, réitéra sa petite annonce : « question cherche réponse », en des termes plus percutants.

–  Bon ! Tu m’expliques ? Où vous avez trouvé la soucoupe?

Un engin aussi spécial méritait une origine spatiale. Oui mais voilà, la vérité ne répondait pas toujours à nos désirs.

– Où ? répéta Vincent. A l’aérodrome, figure-toi. Je te présente Félix, le cousin de Victor. C’est le papa de ce petit bijou.

Le dit créateur, en bisbille avec son copilote au point de s’être détaché de lui, au sens propre du terme, rendit un salut au jeune garçon.

– Après, tu connais les autres…

Jérémy se pencha dans le cockpit ouvert où  il se livra à un troc de câlins avec Toze, Minigal et Lilowai. Une onde de frisson l’envahit à leur contact, et il sentit sa peau se hérisser de chair de poule. Lilo le gratifia de toute sa tendresse dans une langue universelle, par d’amples léchouilles sur son visage. Toze promena son museau le long de son cou avant d’incliner doucement sa tête sur son épaule et fermer les yeux. Minigal déposa un baiser sur son front et se recula, comme pour mieux le voir se propager dans tout le corps de l’enfant.

Jérémy enroula ses bras autour des créatures et les réunit en un bouquet extraordinaire.

– C’est mignon ! minauda Fred. Et moi, alors, j’ai pas droit aux poutous ? Je sens le pâté ?

– Non, plutôt le vomi ! railla Félix.

Cette infusion de câlins dégageait un délicieux arôme. L’idée effleura Vincent d’en proposer une à Alice au parfum de son choix. Il balaya cette initiative d’un revers de pensée, Alice avait été claire à ce sujet.

Une main se posa sur son épaule, légère et fugitive comme un papillon. Un doux parfum titilla  ses narines, tandis que la jeune fille s’arrêtait à sa hauteur.

– Ton petit frère disait vrai,  admit-elle sans détacher son regard de l’appareil et ses passagers à fourrure.

– Du 100% authentique, sois en sûre. Comme tout ce que j’ai pu te dire hier soir, dit Vincent en la caressant d’un sourire un peu triste.

Elle le regarda. Si son âme était un tableau, la lumière allumée au fond de ses yeux renvoyait plutôt à un tableau électrique. Le même courant d’affection réchauffait Jérémy et les Goozmes, comme un flux qu’aucun compteur ne pouvait calculer. L’enfant desserra sa fusionnelle étreinte avant de considérer à nouveau le planeur. Il en tira une moue dubitative.

– Le  monsieur a construit ça lui-même ?  Mais Alice et moi, on vous a vu faire des trucs fous dans le ciel ! Les avions humains ne sont pas capables de ça !

– Absolument, confirma Minigal. A vrai dire, le « bébé » de Félix s’est découvert une énergie du tonnerre. Sa greffe de bigoflux lui a donné un sacré coup de fouet, au point qu’en un rien de temps il rattraperait le Soleil qui fuit vers l’horizon.

– Tu as réussi ? C’est génial ! exulta Jérémy en étreignant de toutes ses forces le Marafrogue.

Le garçonnet voyait s’ouvrir en grand les portes de l’espace. Des illusions vite balayées en plein vol par Toze. Si tant est qu’elle résistait à la pression atmosphérique et s’arrachait à l’attraction de la Terre, le cosmos ne ferait assurément pas de cadeau à cette coque de noix artisanale.

– Toze a raison, reconnut Mini. Sa structure est fragile comme les ailes d’un papiflaï et le bigoflux ne changera rien à l’affaire. Seul un transporteur Goozmes peut nous ramener chez nous.

Pour attirer l’attention, un seul moyen : envoyer des signaux, et les plus puissants qui soient. Jérémy exposa alors son plan. Près du château de Chambord, dans un endroit restant encore à déterminer, dormait un émetteur « Bip ».

– Tu veux parler du Bipamax ! comprit Toze. Mais oui, bien sûr ! Pourquoi n’y avons-nous pas songé?

– Athos et les autres devaient retrouver une autre équipe à Chambord, résuma Jérémy. Comme vous savez, ça s’est pas passé comme prévu. A la radio, tout à l’heure, ils ont parlé d’une opération pour attraper des bêtes évadées. C’est d’eux qu’il s’agit, j’en suis sûr ! Mes amis chercheront à aller à Chambord pour allumer le Bipamax…

– Alors c’est là qu’il faut se rendre, enchaina Lilowaï avec fébrilité. L’équipage en relation avec Athos, est peut-être toujours sur place. Nous pouvons atteindre l’émetteur les premiers et transmettre un signal.

Vincent vit quelques riverains sortir sur leur terrain. Peut-être ces derniers avaient-ils justement perdu le signal, celui de leur antenne de télé? Dans ce cas, qu’importe que la petite lucarne reste inerte, on trouvait toujours à se consoler avec la fenêtre… et ce soir, plus que jamais ! Le spectacle de la soucoupe posée sur la rue dépassait toutes les espérances. Cela volait haut, sans que  personne n’eût pu encore juger l’altitude. Pour cela, il fallait décoller et à ce propos, Félix commençait à s’impatienter.

– Dites, les jeunes, c’est pas le tout mais on va finir par gêner. Il faut bouger !

Quelques mètres plus loin, le petit Cédric regardait avec des yeux affriolés cet engin rond comme une grande toupie. Pensant à une sorte de manège, il mendia un tour à son père qui refusa sous le prétexte qu’il était trop jeune- et le pilote plus assez- mais lui promit à la place une partie d’avion à bascule, celui de la galerie marchande non loin. Cédric croisa ses bras d’un air boudeur en enviant cet enfant autorisé à approcher le jouet des grands.

– Ce sera sans moi, dit Fred en mettant pied à terre. Je laisse ma place.

Une dizaine de voisins étaient sortis sur le trottoir, dont l’un, en jogging et chaussons Homer Simpson, pointait du doigt l’encombrant futuriste qui serrait de près sa R5. Ce dernier alla interpeller l’équipage, en faisant chuinter ses pantoufles jaune citron.

– Eh ! C’est pas un endroit pour atterrir, ici ! Et juste à côté de mon auto, en plus !

Le ronflement d’un hélicoptère ne lui donna pas le loisir de pousser longtemps ses vociférations.  La libellule d’acier surgit de derrière la ligne de faîte des maisons de l’autre côté de la rue, décoiffant un peuplier au passage, par la force des pâles. Elle volait bas, signe d’orage.

De l’air, c’était le moins qu’on pouvait demander à un ventilateur. Or ce modèle-là, aux couleurs de la gendarmerie, n’avait pas pour vocation de rafraichir l’atmosphère bien que des gangsters en fuite lui devaient par son concours d’avoir été mis au frais. Les passagers en escale virent l’hélicoptère passer au-dessus d’eux, dans un bruit assourdissant, disparaître derrière un toit puis reparaître et, pareil à un moustique en reconnaissance, décrire de larges cercles autour de l’appareil au sol. A terre justement, des mots se frayèrent un chemin dans le raffut des pâles, notamment ceux de Félix livrant son ressenti de la situation.

– Bigre ! Ils ont sorti les gros moyens !

Félix n’avait toutefois encore rien vu, ou plutôt rien entendu, car soudain éclata la voix d’un mégaphone, métallique et démesurée comme un coup de tonnerre.

– Ici la gendarmerie! Je m’adresse au pilote de cet appareil. Veuillez dégager immédiatement la rue et nous suivre  jusqu’à l’aérodrome pour des vérifications.

Le ton ne laissait aucune place à la discussion. Se soustraire à ce contrôle revenait à additionner les ennuis, mais, dans la situation actuelle, Vincent croyait aux vertus de la soucoupe buissonnière. Il tourna un visage fébrile vers Alice, la sage Alice qui n’avait jamais dû faire le mur… même pas celui du son.

– Tu te souviens hier soir quand on a parlé de l’avenir ? cria-t-il pour avoir le dessus sur le bruit de l’hélicoptère. Je t’ai dit que tu peux te faire ouvrir toutes les portes. La preuve, tu as déjà accès au ciel ! Embarque avec nous !

Elle resta d’abord sans voix, prise au dépourvu par cette invitation. Après son aveu d’amour de la veille, Vincent remettait le couvert : soit une grande assiette à cinq places, coiffée d’une cloche de verre.

Enfin, les mots trouvèrent le chemin de la sortie.

–Monter là-dedans ? Mais t’es fou !

– Absolument, et soyons-le tous les deux! Tu vas voir le bien que ça fait !

Alice, sans plus de résistance, se laissa prendre par la main et mener jusqu’au cockpit. Le temps du trajet, sa conscience frileuse et l’appel du grand large aérien se livrèrent à un bras de fer. Au bout du compte, la raison du plus fou fut la plus forte.

– Le carrosse de Mademoiselle est avancé, surjoua Fred en désignant d’un geste majestueux ce gros insecte rond, aux portières-papillons relevées.

Le fracas des rotors de l’hélico, couplé au tonnerre du haut-parleur, avait dépeuplé les maisons du quartier. Sur les deux trottoirs, des grappes de riverains faisaient le pied de vigne, ou de grue. Ne manquant jamais de trouver incongru cet Ovni garé sur la chaussée, les derniers sortis tentaient de glaner la moindre information, agaçants comme des spectateurs en retard voulant se faire raconter le début du film. Et parmi tous ces gens tirées de leur quiétude, se trouvait Pierre Dutilleul.

Le regard concentré, Pierre louvoya entre les îlots de badauds et d’habitants qui formaient du reste quelques beaux archipels, jusqu’à approcher au plus près la singulière attraction. Il n’avait pas idée du coût de cette extravagance, mais savait la valeur de ses enfants par cœur. Or n’était-ce pas son petit dernier en passe de monter à bord ? Son frère aîné lui emboitait le pas. Non, non, il ne rêvait pas.

Il n’eût pas roulé un regard plus affolé en les voyant engager leur tête dans un four allumé.

– Jérémy !

– Punaise, les parents ! Grouille ! lança Vincent à son frère lequel bondit à la place vacante du copilote.

Le jeune homme sauta à son tour dans le cockpit, se serrant contre Alice, ou plutôt Lilowaï qui lui tenait déjà compagnie à l’arrière avec Toze. Alice en travail d’adaptation avec ses voisins de cabine, tentait de s’inspirer du jeu tout en naturel de Valérie Payet dans Canaille Peluche[1]. La fébrilité générale empêchait toutefois d’apprécier pleinement son bout d’essai. A vrai dire, pour l’instant il ne s’agissait pas de lancer une émission mais un planeur dopé à la technologie Alien.

– Ferme les portes, vite ! lança Vincent à Félix.

Le sas en verre se referma dans un chuintement d’air comprimé, coiffant son père au poteau pour un trio de secondes. Tous les jours, des usagers du métro expérimentaient cette frustration à ce détail près qu’eux au moins savaient où allait la rame.

– Hé ! Qu’est-ce que vous faites là-dedans ? articula  Pierre à l’adresse de ses enfants, les mains en porte-voix contre la vitre.

– Vous inquiétez pas m’sieur, ils font un tour et ils reviennent, lui hurla Fred à l’oreille.

Le manège de l’hélicoptère, riche en décibels, mettait leurs cordes vocales à l’épreuve.

– Un tour ? Mais où ça ? Et d’abord d’où sort cet engin? demanda Pierre – dans le désordre- avant de faire intervenir de toute urgence une autre question à la vue de Toze qui tressait les deux bouts de son bandana en l’observant avec nonchalance. Mais ! C’est quoi ça !?

Il s’avisa de la présence derrière le carreau d’une grenouille et d’un chien, eux aussi mâtinés d’humain, et leur fit l’honneur du plus incrédule des regards.

– Çà, c’est de la vie en peluche,  le destin a été généreux, lui glissa Fred dans un élan spirituel.

Catherine Dutilleul, sa fille Vanessa sur les talons, se détacha de l’agglomération de badauds lesquels gardaient encore  une timide distance avec le planeur, pour rejoindre son mari.

–  Génial le design ! s’exclama l’adolescente. On peut y monter ?

Sa mère et elle, en s’approchant, purent voir des heureux à bord du cockpit. Aux bouilles familières.  Si toutes deux admettaient cette initiative fraternelle de baptême de l’air –Jérémy paraissait tellement aux anges-  elles eurent en revanche plus de mal à intégrer la réalité de cette grenouille coiffée d’une casquette leur faisant un salut amiral. Jérémy s’amusait de l’expression de sa grande sœur bouche bée, comme si –chose amusante-  c’était elle qui l’observait depuis un bocal.

– Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Félix à la cantonade. On écoute les gendarmes ?

– On va au bout, décréta Vincent. Mets les gaz ! Il faut trouver l’émetteur.

[1] Emission-jeunesse de Canal Plus avec également Philippe Dana et les marionnettes Corbec et Corbac

roman livre 2 (47)

Il avait essayé de réveiller ses petits passagers de sa voix ronde et chaude. Sans succès. Etienne s’en était remis alors aux Pierres qui Roulent pour les tirer de leur torpeur cataleptique. Quelques cassettes de rock traînaient dans sa boîte à gants qu’il aimait réécouter bien fort dans la 2CV, comme dans son jeune temps. Puisse Dieu fermer les yeux sur ce pêché mignon et ouvrir plutôt les oreilles! dit-il en lui même.La Bible ne disait pas si le Tout Puissant possédait le rythme dans la peau. A vrai dire, l’abbé ne s’était encore jamais représenté le Grand Barbu en train de faire des pas de danse àla Jagger ! Pas plus que son imagination ne lui avait déjà fait entrevoir des peluches se trémoussant sur I can’t get now ! Froggie ne se sentait plus de sautiller partout dans la voiture, transportée par l’imparable refrain cependant que Sly et Spikey marquaient le tempo d’un hochement de tête synchronisé. Jo, lui, servait de guitare à un apprenti rockeur. Barny l’avait coincé contre sa poitrine et s’amusait à gratter son petit bide en répétant : « Satisfaction ! ». Une drôle de guitare aux cordes exclusivement vocales. Les rires hystériques de Jo, très chatouilleux, se noyèrent dans les décibels des Stones. Athos s’était pris d’intérêt pour le guide technique de la 2CV qu’Etienne avait oublié de ranger dans la boîte à gants. Sa patte droite battait la mesure du morceau dans l’autoradio, en rupture avec le reste de son corps tout à fait immobile.

Etienne pensa à quoi aurait pu ressembler sa journée si des extraterrestres n’avaient trouvé l’adresse de son église et ne s’en étaient remis à sa conduite rigoureuse pour les mener à Chambord. Il aurait pris sa voiture pour aller chiner au vide-grenier de Bourg en Douce. On pouvait trouver des trésors dans les puces, comme cette pendule en régule dont il avait réussi à négocier le prix. Le souvenir de son horloge lui inspira une question d’ordre physique : comment ces étrangers àla Terreconcevaient-ils le temps? Possédaient-ils leurs propres instruments de mesure? Quel était le rythme des saisons sur leur planète ? Des interrogations palpitaient en lui, innombrables et brûlantes comme des étoiles. L’état d’euphorie de ses petits passagers le rendait au moins certain d’une chose: ils aimaient le bon vieux rock. Pour les autres réponses, le Père devrait attendre la fin de I can’t get now, voire peut-être même la fin de l’album.

Une bourgade apparut devant eux: Chalinou sur Loire, renseignait le panneau d’agglomération, assorti de la distinction «  village fleuri ». Etienne se compara à un jardinier parti replanter sept fleurs en pot. Du moins, il les emmenait jusqu’à leur fusée, si fusée il y avait toutefois. Les plantes iraient se remettre en terre toutes seules sur leur lointaine planète ; il ne pouvait s’autoriser un si long voyage, qui ferait les offices ?

Il s’avisa de la présence derrière lui d’une Clio, coiffée d’un gyrophare bleu tournoyant. Un coup d’œil dans le rétro lui fît reconnaître les deux képis précédemment en poste sur le bas-côté. Leur manœuvre de dépassement, rapide, laissait penser qu’ils se rendaient en intervention. L’abbé ne se posa pas de questions jusqu’à retrouver le véhicule stoppé un peu plus haut à la sortie du bourg. Un gendarme en était descendu, qui lui fit signe de se garer d’un geste péremptoire. Mais qu’est-ce qu’ils me veulent encore ?se demanda Etienne en baissant la musique, faisant aussitôt râler les auditeurs. Il leur expliqua la situation, à sa manière.

« Craignez mes amis, car voici que je vous annonce une mauvaise nouvelle. La police me demande de me ranger.

-Ah non, elle nous a déjà fait perdre assez de temps! Foncez ! lui enjoignit Sly en pointant droit devant lui, tel un capitaine de cavalerie donnant la charge.

-Mais je vais avoir des problèmes si je ne n’obéis pas !

-Et nous de plus gros si tu t’arrêtes ! assura Froggie dont il sentit  la présence sur l’appuie-tête derrière sa nuque. Si on te pose des questions, tu diras que tu étais notre otage. »

Etienne se trouvait face à un dilemme sans précédent. Lui, un homme de bon aloi, se mettre hors-la-loi ! La cloche du tribunal lui était moins familière que celle des églises. D’un autre côté, ses compagnons lui avaient remis toute leur confiance. Le Père voulait bien livrer la bonne parole mais livrer des clandestins quels qu’ils fussent, n’allait pas dans le sens de son éthique ! Peut-être le motif des gendarmes était-il sans rapport. Après tout, ces derniers n’avaient vu que du feu lors du premier contrôle ! Qu’est-ce qui leur aurait mis la puce à l’oreille ? Ils ont reçu le signalement de ta plaque par  radio. Personne ne m’a vu embarquer tout ce petit monde, se mentit l’abbé, la tête encore pleine de l’image des trois chasseurs courant vers la 2CV.

Des regards se croisèrent. Etienne n’eut su dire vraiment si c’était lui que regardait l’agent de la maréchaussée ou bien Froggie en train de grimacer, perchée sur le siège conducteur.

« Seigneur, faites que je fasse le bon choix ! pria-t-il.»

Dieu, disait-on, ne laissait personne au bord du chemin. On ne put en dire autant du chauffeur qui fit peu de cas des signes du gendarme et continua benoitement sa route. Délit de refus d’obtempérer, le curé avait besoin de se faire remettre sur le droit chemin ! Le temps pour le brigadier Poney de remonter à bord, et la voiture balisée s’arracha au bas-côté herbu, gyrophare en action. Les chevaux du moteur galopèrent sur le morne bitume départemental en se faisant une formalité de rattraper la ronflante Citroën. La silhouette rondouillarde de la deuche fut bientôt en vue. La Clio s’en rapprocha suffisamment pour que ses occupants pussent distinguer un petit chien hochant du chef sur la planche arrière. Les gendarmes pensèrent à une peluche avant de chercher la dernière fois où un ornement de plage de voiture leur avait offert, en prime, un bras d’honneur. Sitôt avoir outragé les deux agents, Spikey s’éclipsa vers l’avant de la 2CV. Des salves de deux-tons retentirent alors comme autant de coups de semonce.

Etienne garda le pied au plancher. Il eut aimé être Ulysse que nulle sirène, fût-ce même celle de la gendarmerie, ne piégerait dans ses filets. La sirène derrière lui compensait son chant, guère attrayant, par un atout imparable. Sa vitesse.

« Je ne pourrai jamais les semer, ma voiture n’est pas assez puissante ! » constata le curé.

– Prenons à gauche et voyons s’ils nous suivent ! suggéra Athos, assis sur le tableau de bord. »

Où Petit Prof apercevait-il une intersection ? L’asphalte se déroulait sous ses yeux, sans échappatoire. Il comprit alors qu’il voulait le voir tracer un nouveau sillon dans les étendues de labours sur sa gauche.

« Et puis quoi encore? C’est une 2CV, pas un tracteur ! »

Etienne n’était pas homme à sortir du droit chemin, au propre comme au figuré. Athos, par contre, était prêt à quelques écarts pour la bonne cause, leur liberté à tous. Celui-ci y voyait une raison suffisante pour prendre les choses en main, plus précisément le volant. Le Canidogue bondit alors sur le cerceau en plastique, s’y cramponna en le tournant de toutes ses forces. La voiture derrière évita la collision au prix d’un crissement de freins et de pneus. Au délit de fuite, venait de s’ajouter le non-usage du clignotant ! Etienne, qui n’eut pas le temps de rectifier la trajectoire, vit s’ouvrir un nouvel et vaste horizon de champs labourés.

. La berline rencontra un sol ameubli et grumeleux, cahota quelques mètres avant de s’immobiliser. Si son arrivée incongrue n’avait fait s’envoler une nuée de corneilles, la gueulante du curé les aurait certainement mises en fuite.

« Stupide animal ! Tu as failli nous tuer ! »

Des protestations firent écho aux siennes. Jo avait valdingué d’un bout à l’autre de la banquette arrière. Se cogner la tête n’était jamais agréable, encore de moins servir de coussin de réception aux autres négligents de la ceinture! La voix étouffée par son monceau de poils, il demanda à Orsie d’avoir la bonté de le laisser respirer.

« Oh, pardon ! » répondit le Bizur en s’écartant de la portière.

Tombée du haut du siège conducteur, Froggie commenta vertement le coup de volant d’Athos. Sly aussi avait bien senti le virage mais, de son point de vue, le plus secoué de tous portait des bésicles.

« Allons mes amis, relativisa Petit Prof, vous êtes encore entiers, non ! Qu’importe le chemin pourvu que nous arrivions à Chambord. Repartons ! lança-t-il en pointant le nord où se perdait la plaine de labours.

Sly  lui asséna une mise au point hiérarchique.

« Hé ! Je suis le Commandant et si quelqu’un donne l’ordre de repartir c’est moi! »

Le Père Etienne remit fissa à sa place le chefaillon

« Mais c’est encore ma voiture ! Alors bouclez-là tous ! Qu’est-ce que je vais leur dire ? s’inquiéta-t-il en voyant les moblots s’arrêter sur le bas côté.

– Vous aurez tout le temps d’y réfléchir jusqu’à Chambord, le rassura Athos. »

Le clerc savait à quoi il s’exposait à défier les forces de l’ordre. Mais si lui avait des droits, ceux des Goozmes restaient à écrire. En attendant une déclaration de l’ONU, les autorités se donneraient carte blanche avec les créatures. Clotilde Grumeau avait dû emboiter le pas à Bernard et sa clique jusqu’à la gendarmerie.

Etienne ignorait si un signalement avait été transmis aux passagers de la Clio. Une chose était sûre, il n’entendait pas laisser les uniformes lui prendre ses petits protégés. Il se sentait trop impliqué dans leur sort. Il répondrait de son délit à Chambord, pas avant.

« Le vin de messe est tiré, il faut le boire !» prononça le conducteur.

Il se signa, adressa un autre signe de croix en direction de la maréchaussée avant de passer la première. La 2CV redémarra dans un petit nuage de poussière de terre.

(à suivre)