A fond la caisse (3)

EXT. JOUR. LE COUVENT SAINTE SOPHIE

La sœur revient, accompagnée d’une mère supérieure à l’air sévère.

LA MÈRE
(tandis que la sœur déverrouille la grille) Sachez que d’ordinaire je n’autorise pas les visites à une heure si tardive. Sœur Justine n’aura que cinq minutes à vous accorder.

Vasseur entre dans l’enceinte. Laroche s’apprête à faire de même, mais la mère l’arrête.

LA MÈRE
Qui est ce monsieur?

LAROCHE
(en désignant Vasseur)Euh…Moi? Un ami de la famille !… (se penche à l’oreille de la Mère sup) Dites, à la sortie, je pourrai avoir un autographe pour ma femme? Elle aime beaucoup ce que vous faites. Elle est dévote.

LA MÈRE
(interrogative) Elle est des nôtres?

LAROCHE
Pas des vôtres, dévote.

LA MÈRE
(comprenant) Dévôte ! J’avais mal compris, j’ai parfois du mal à entendre.

LAROCHE
Ah?Vos voies auditives aussi son impénétrables? (en l’écartant gentiment pour entrer) Merci, vous êtes gentille… pensez bien à mon autographe, hein? Elle s’appelle Sylvette.

Laroche franchit le portail d’un air faussement nonchalant, en sifflant sans siffler,les lèvres légèrement pincées.

LA SOEUR
(murmure à sa supérieure)Ma Mère, est-ce que nous n’avons pas ouvert la porte au serpent du vice?

int. JOUR. COUVENT

Les visiteurs se font conduire par la religieuse jusqu’au jardin du couvent. Un très beau jardin avec de magnifiques massifs de fleurs et des haies finement taillées.

Vasseur découvre son amie en tenue de sœur. Elle est là et l’attend.

VASSEUR
Justine?

JUSTINE
(sèchement) Sœur Justine.

VASSEUR
(avec un sourire gêné) T’es… T’es jolie habillée comme ça…

JUSTINE
(sur un ton serein) Merci

VASSEUR
Et… (regardant le cadre autour de lui) Sympa le cadre, pour une petite retraite … (avec un petit rire) Le mien payait moins de mine.

JUSTINE
Tu ne devais pas sortir dans cinq ans?

VASSEUR
(en se balançant sur ses jambes, un peu mal à l’aise) J’ai eu une remise de peine, tu sais… Ça se passe pareil ici? Tu te conduis bien, ELLES te relâchent?

JUSTINE
Je suis venue ici de mon plein gré, Alexandre. Ce n’est pas une prison.

VASSEUR
(plus nerveux) Oui oui, je comprends, tu ne savais plus très bien où t’en étais… J’étais pas là, t’avais plus tes repères. Mais c’est fini maintenant, hein, car je suis de retour.

JUSTINE
J’ai trouvé un nouveau sens à ma vie, Alexandre.

VASSEUR
Mais toi tu as toujours été le seul sens à la mienne !

JUSTINE
Non Alexandre, ce n’est que dans les jeux et le crime que tu as trouvé un sens. Je souhaite qu’un jour, comme moi, tu comprennes que la seule chose qui compte dans ce monde, c’est la foi.

VASSEUR
Mais, comment tu peux me dire ça? Justine, enfin ! Tu m’avais promis de m’attendre jusqu’à ma libération ! Puis on devait partir tous les deux !

JUSTINE
J’ai choisi un autre voyage… un voyage que l’on ne peut faire que seul. Un voyage vers la félicité.

VASSEUR
La félicité? C’est quoi cette connerie?

LAROCHE
(qui épie leur conversation) C’est un couvent ici, surveillez votre langage, mon vieux.

VASSEUR
Ta gueule, toi.

Une sœur non loin jette un regard indigné à Vasseur.

JUSTINE
Qui est cet homme?

VASSEUR
Personne, un pauvre type (prenant Justine par les mains) Allez quoi, viens, tu ne sais plus ce que tu fais. On va repartir à zéro ! On part au Brésil? Hein, ça te dit le Brésil? Toi qui voulait voir le Corcovado !

JUSTINE
(en se libérant de sa prise) Ne te fatigue pas, j’ai conclue un pacte avec Dieu.

VASSEUR
T’as jamais crue en Dieu !

JUSTINE
C’est lui qui m’a aidé dans l’épreuve que tu m’as infligée.

VASSEUR
L’épreuve? Merde, mais c’était MOI qu’étais derrière les barreaux !

JUSTINE
Et alors? Tu te figures que c’était plus facile pour moi? Être la femme d’un gangster sous les verrous?

LAROCHE
(en revenant se mêler de la discussion)ça, fallait y penser avant de l’épouser.

VASSEUR
(en attrapant Laroche par les pans de sa veste) Encore une remarque, et ELLES ne seront pas de trop là dedans à prier pour toi !

JUSTINE
Je t’ai lancé des appels dans mes lettres… Femme de pêcheur, rédemption, illumination, c’était quand même clair !

VASSEUR
Oh moi tu sais, les métaphores des curés !

La mère supérieure interpelle Justine.

LA MERE
Soeur Justine, vous devez regagner votre isolement.

JUSTINE
Oui ma Mère.

VASSEUR
C’est ça que t’appelles « voyager »? Te claquemurer dans une cellule chaque fois qu’une vieille bête à bon dieu t’en donne l’ordre?

JUSTINE
J’applique les règles du couvent. Je me retrouve seule avec Dieu, c’est un voyage spirituel.

VASSEUR
(à bout de patience) Je t’en foutrai du spirituel ! Tu vas venir avec moi, tu m’entends?

JUSTINE
Tu n’as plus aucun droit sur moi, Alexandre. Nous deux, c’était dans une autre vie.

Elle regagne sa cellule.

LAROCHE
(en posant une main sur son épaule)Allons mon vieux, il faut tourner la page… Elle en a ouvert une autre, avec plein de mots latins dedans.

Vasseur lui lance un regard menaçant puis court rattraper la jeune femme.

VASSEUR
( se campant devant elle) Justine, regarde moi ! T’as pas le droit de me faire ça ! C’est comme si tu m’avais laissé crever au fond de mon trou !

Elle le regarde de toute l’intensité de ses yeux vifs et pénétrants, et pose une main bienveillante sur son épaule.

JUSTINE
Que Dieu te guide, Alexandre.

Vasseur reste planté comme un santon, comme abasourdi. Laroche vient le retrouver.

LAROCHE
Partons maintenant ou les sœurs vont appeler la police.

Vasseur reste sans réaction, l’air pathétique.

LAROCHE
(en le prenant par le bras) Allez, je crois qu’il vous faut un remontant.

Il l’entraîne vers la sortie.

ext. L’entree du couvent

Les deux hommes franchissent la grille, quand Laroche aperçoit sa femme, Sylvette, entourée par des policiers. La mère sup’ est là aussi, qui leur sert de guide.

LAROCHE
Oh nom de dieu !

VASSEUR
(d’une voix éteinte) Les flics… et alors? Ils peuvent me faire ce qu’ils veulent, j’en ai plus rien à foutre

LAROCHE
Les flics ET Sylvette ! Elle m’a retrouvé !

VASSEUR
De quoi tu te plains? Toi au moins t’as ta femme !

LAROCHE
La mère a dû donner mon signalement. Sylvette aussi a dû lancer un avis de recherche.

Laroche tente de cacher sa tête sous sa veste, comme un accusé sortant du palais de justice. Il se dirige vers la voiture volée avec laquelle ils sont arrivés.

roman livre 2 (47)

Il avait essayé de réveiller ses petits passagers de sa voix ronde et chaude. Sans succès. Etienne s’en était remis alors aux Pierres qui Roulent pour les tirer de leur torpeur cataleptique. Quelques cassettes de rock traînaient dans sa boîte à gants qu’il aimait réécouter bien fort dans la 2CV, comme dans son jeune temps. Puisse Dieu fermer les yeux sur ce pêché mignon et ouvrir plutôt les oreilles! dit-il en lui même.La Bible ne disait pas si le Tout Puissant possédait le rythme dans la peau. A vrai dire, l’abbé ne s’était encore jamais représenté le Grand Barbu en train de faire des pas de danse àla Jagger ! Pas plus que son imagination ne lui avait déjà fait entrevoir des peluches se trémoussant sur I can’t get now ! Froggie ne se sentait plus de sautiller partout dans la voiture, transportée par l’imparable refrain cependant que Sly et Spikey marquaient le tempo d’un hochement de tête synchronisé. Jo, lui, servait de guitare à un apprenti rockeur. Barny l’avait coincé contre sa poitrine et s’amusait à gratter son petit bide en répétant : « Satisfaction ! ». Une drôle de guitare aux cordes exclusivement vocales. Les rires hystériques de Jo, très chatouilleux, se noyèrent dans les décibels des Stones. Athos s’était pris d’intérêt pour le guide technique de la 2CV qu’Etienne avait oublié de ranger dans la boîte à gants. Sa patte droite battait la mesure du morceau dans l’autoradio, en rupture avec le reste de son corps tout à fait immobile.

Etienne pensa à quoi aurait pu ressembler sa journée si des extraterrestres n’avaient trouvé l’adresse de son église et ne s’en étaient remis à sa conduite rigoureuse pour les mener à Chambord. Il aurait pris sa voiture pour aller chiner au vide-grenier de Bourg en Douce. On pouvait trouver des trésors dans les puces, comme cette pendule en régule dont il avait réussi à négocier le prix. Le souvenir de son horloge lui inspira une question d’ordre physique : comment ces étrangers àla Terreconcevaient-ils le temps? Possédaient-ils leurs propres instruments de mesure? Quel était le rythme des saisons sur leur planète ? Des interrogations palpitaient en lui, innombrables et brûlantes comme des étoiles. L’état d’euphorie de ses petits passagers le rendait au moins certain d’une chose: ils aimaient le bon vieux rock. Pour les autres réponses, le Père devrait attendre la fin de I can’t get now, voire peut-être même la fin de l’album.

Une bourgade apparut devant eux: Chalinou sur Loire, renseignait le panneau d’agglomération, assorti de la distinction «  village fleuri ». Etienne se compara à un jardinier parti replanter sept fleurs en pot. Du moins, il les emmenait jusqu’à leur fusée, si fusée il y avait toutefois. Les plantes iraient se remettre en terre toutes seules sur leur lointaine planète ; il ne pouvait s’autoriser un si long voyage, qui ferait les offices ?

Il s’avisa de la présence derrière lui d’une Clio, coiffée d’un gyrophare bleu tournoyant. Un coup d’œil dans le rétro lui fît reconnaître les deux képis précédemment en poste sur le bas-côté. Leur manœuvre de dépassement, rapide, laissait penser qu’ils se rendaient en intervention. L’abbé ne se posa pas de questions jusqu’à retrouver le véhicule stoppé un peu plus haut à la sortie du bourg. Un gendarme en était descendu, qui lui fit signe de se garer d’un geste péremptoire. Mais qu’est-ce qu’ils me veulent encore ?se demanda Etienne en baissant la musique, faisant aussitôt râler les auditeurs. Il leur expliqua la situation, à sa manière.

« Craignez mes amis, car voici que je vous annonce une mauvaise nouvelle. La police me demande de me ranger.

-Ah non, elle nous a déjà fait perdre assez de temps! Foncez ! lui enjoignit Sly en pointant droit devant lui, tel un capitaine de cavalerie donnant la charge.

-Mais je vais avoir des problèmes si je ne n’obéis pas !

-Et nous de plus gros si tu t’arrêtes ! assura Froggie dont il sentit  la présence sur l’appuie-tête derrière sa nuque. Si on te pose des questions, tu diras que tu étais notre otage. »

Etienne se trouvait face à un dilemme sans précédent. Lui, un homme de bon aloi, se mettre hors-la-loi ! La cloche du tribunal lui était moins familière que celle des églises. D’un autre côté, ses compagnons lui avaient remis toute leur confiance. Le Père voulait bien livrer la bonne parole mais livrer des clandestins quels qu’ils fussent, n’allait pas dans le sens de son éthique ! Peut-être le motif des gendarmes était-il sans rapport. Après tout, ces derniers n’avaient vu que du feu lors du premier contrôle ! Qu’est-ce qui leur aurait mis la puce à l’oreille ? Ils ont reçu le signalement de ta plaque par  radio. Personne ne m’a vu embarquer tout ce petit monde, se mentit l’abbé, la tête encore pleine de l’image des trois chasseurs courant vers la 2CV.

Des regards se croisèrent. Etienne n’eut su dire vraiment si c’était lui que regardait l’agent de la maréchaussée ou bien Froggie en train de grimacer, perchée sur le siège conducteur.

« Seigneur, faites que je fasse le bon choix ! pria-t-il.»

Dieu, disait-on, ne laissait personne au bord du chemin. On ne put en dire autant du chauffeur qui fit peu de cas des signes du gendarme et continua benoitement sa route. Délit de refus d’obtempérer, le curé avait besoin de se faire remettre sur le droit chemin ! Le temps pour le brigadier Poney de remonter à bord, et la voiture balisée s’arracha au bas-côté herbu, gyrophare en action. Les chevaux du moteur galopèrent sur le morne bitume départemental en se faisant une formalité de rattraper la ronflante Citroën. La silhouette rondouillarde de la deuche fut bientôt en vue. La Clio s’en rapprocha suffisamment pour que ses occupants pussent distinguer un petit chien hochant du chef sur la planche arrière. Les gendarmes pensèrent à une peluche avant de chercher la dernière fois où un ornement de plage de voiture leur avait offert, en prime, un bras d’honneur. Sitôt avoir outragé les deux agents, Spikey s’éclipsa vers l’avant de la 2CV. Des salves de deux-tons retentirent alors comme autant de coups de semonce.

Etienne garda le pied au plancher. Il eut aimé être Ulysse que nulle sirène, fût-ce même celle de la gendarmerie, ne piégerait dans ses filets. La sirène derrière lui compensait son chant, guère attrayant, par un atout imparable. Sa vitesse.

« Je ne pourrai jamais les semer, ma voiture n’est pas assez puissante ! » constata le curé.

– Prenons à gauche et voyons s’ils nous suivent ! suggéra Athos, assis sur le tableau de bord. »

Où Petit Prof apercevait-il une intersection ? L’asphalte se déroulait sous ses yeux, sans échappatoire. Il comprit alors qu’il voulait le voir tracer un nouveau sillon dans les étendues de labours sur sa gauche.

« Et puis quoi encore? C’est une 2CV, pas un tracteur ! »

Etienne n’était pas homme à sortir du droit chemin, au propre comme au figuré. Athos, par contre, était prêt à quelques écarts pour la bonne cause, leur liberté à tous. Celui-ci y voyait une raison suffisante pour prendre les choses en main, plus précisément le volant. Le Canidogue bondit alors sur le cerceau en plastique, s’y cramponna en le tournant de toutes ses forces. La voiture derrière évita la collision au prix d’un crissement de freins et de pneus. Au délit de fuite, venait de s’ajouter le non-usage du clignotant ! Etienne, qui n’eut pas le temps de rectifier la trajectoire, vit s’ouvrir un nouvel et vaste horizon de champs labourés.

. La berline rencontra un sol ameubli et grumeleux, cahota quelques mètres avant de s’immobiliser. Si son arrivée incongrue n’avait fait s’envoler une nuée de corneilles, la gueulante du curé les aurait certainement mises en fuite.

« Stupide animal ! Tu as failli nous tuer ! »

Des protestations firent écho aux siennes. Jo avait valdingué d’un bout à l’autre de la banquette arrière. Se cogner la tête n’était jamais agréable, encore de moins servir de coussin de réception aux autres négligents de la ceinture! La voix étouffée par son monceau de poils, il demanda à Orsie d’avoir la bonté de le laisser respirer.

« Oh, pardon ! » répondit le Bizur en s’écartant de la portière.

Tombée du haut du siège conducteur, Froggie commenta vertement le coup de volant d’Athos. Sly aussi avait bien senti le virage mais, de son point de vue, le plus secoué de tous portait des bésicles.

« Allons mes amis, relativisa Petit Prof, vous êtes encore entiers, non ! Qu’importe le chemin pourvu que nous arrivions à Chambord. Repartons ! lança-t-il en pointant le nord où se perdait la plaine de labours.

Sly  lui asséna une mise au point hiérarchique.

« Hé ! Je suis le Commandant et si quelqu’un donne l’ordre de repartir c’est moi! »

Le Père Etienne remit fissa à sa place le chefaillon

« Mais c’est encore ma voiture ! Alors bouclez-là tous ! Qu’est-ce que je vais leur dire ? s’inquiéta-t-il en voyant les moblots s’arrêter sur le bas côté.

– Vous aurez tout le temps d’y réfléchir jusqu’à Chambord, le rassura Athos. »

Le clerc savait à quoi il s’exposait à défier les forces de l’ordre. Mais si lui avait des droits, ceux des Goozmes restaient à écrire. En attendant une déclaration de l’ONU, les autorités se donneraient carte blanche avec les créatures. Clotilde Grumeau avait dû emboiter le pas à Bernard et sa clique jusqu’à la gendarmerie.

Etienne ignorait si un signalement avait été transmis aux passagers de la Clio. Une chose était sûre, il n’entendait pas laisser les uniformes lui prendre ses petits protégés. Il se sentait trop impliqué dans leur sort. Il répondrait de son délit à Chambord, pas avant.

« Le vin de messe est tiré, il faut le boire !» prononça le conducteur.

Il se signa, adressa un autre signe de croix en direction de la maréchaussée avant de passer la première. La 2CV redémarra dans un petit nuage de poussière de terre.

(à suivre)