les aventuriers de la malle (2)

Elle eut l’impression de se faire expulser par une trappe. Le numéro était déjà sensas’, mais le sas lui fit prendre une toute autre dimension. Un cosmonaute, même chevronné, s’y serait mépris, croyant voir un simple coffre, pas une porte de sortie vers l’espace. Un autre espace, peuplé de comètes échevelées que même la lumière peinait à suivre, et dont la folie leur faisait courir après leur queue.

Coline tombait à n’en plus finir. Peu de choses lui passaient par la tête. Ses pensées trop lourdes la précédaient dans sa descente selon la loi de la gravité ; les autres d’une légèreté d’âme d’enfant tombaient moins vite, suspendues au-dessus du panache de ses cheveux blonds détachés.

Un vague souvenir se débattait toutefois à la surface de ce torrent sensoriel, réminiscence d’un souvenir qu’elle faisait enfant. Passagère d’un ascenseur dont les freins lâchaient soudain, la précipitant dans une chute infinie. Le plus souvent, elle se réveillait en sursaut, parfois elle ne trouvait pas le bouton d’arrêt d’urgence. Alors la délivrance venait de ses parents.

Son plongeon lui sembla éternel. Mais c’est à croire que même l’éternité fait son temps, car une force la tira tout à coup vers le haut… par les jambes. Comme si un improbable pêcheur moulinait à toute vitesse pour remonter sa prise.

Elle voulut hurler, seulement elle s’empêtra dans ses cordes vocales. Le rideau tomba momentanément. Puis un nouveau jour se fit, en particulier sur l’expression : avoir l’esprit à l’envers. Un vide indistinct tournoyait au-dessous d’elle, au gré de ses balancements la tête en bas. Se redressant au prix de contorsion, Coline vit le restant du tableau, d’essence surréaliste. Un lapin géant, étranger aux Flandres, la tenait par les pieds entre le pouce et l’index, l’air fier de sa prise. Mon dieu, c’est un cauchemar ! se dit la captive priant pour que le monstre ne lui trouvât pas le teint carotte.

Si tel devait être son destin, elle préférait encore être croquée sans accompagnement, épouvantée à la perspective de retrouver Lucas débité en lamelles au fond d’un saladier. Ah, comment rendre à cette bête ses justes proportions ? Changer les stalactites qui lui faisaient office d’incisives  en de mignonnes quenottes ?

Le lapin laissait pendouiller sa proie, sans égards pour son confort vasculaire.

Coline sentait son sang lui affluer au visage, elle perdrait bientôt connaissance. Des applaudissements montèrent quant à eux des profondeurs de l’espace. Ici-bas, la mise à mort culinaire se mitonnait-elle en public ?

L’aberration animale s’adressa à sa captive avec un zozotement incongru.

– Es-tu mazicienne ?

– Non, j’suis pas une mazicienne ! S’il vous plait, posez-moi !

– Zut, z’ai raté mon tour. Des fois za marche, des fois za marche pas !

Enfin le rongeur la remit d’aplomb, les deux pieds sur une surface stable. Elle tituba, tout étourdie. Silence, ça tourne !

Des mots peu amènes faillirent sortir de sa bouche. La prudence lui dicta de fermer son clapier.

Ici, pour se faire son trou, il faut les oreilles longues en plus des dents, pensa Coline. Puis découvrant les spectateurs de la salle, elle comprit qu’un autre critère devait entrer en ligne de compte. Car eux aussi appartenaient à la gente lapine !

Le public, depuis son fauteuil, retrouvait un peu de son âme de lapereau dans un chapeau fourre-tout d’où sortaient même des Humains. Les rôles s’étaient inversés.

Paniquée, dans un élan de superstition, Coline chercha un talisman. En l’occurrence autre chose qu’une patte de lapin. Un trèfle à quatre feuilles ? S’il en poussait, le magicien aux longues esgourdes avait tout mangé. Sa prospection s’arrêta très vite au bord du guéridon où elle se trouvait juchée. Un pas de plus et une chute l’attendait, d’au moins dix mètres à son échelle. Suffisant pour la tuer. Sauf si des lois physiques particulières gouvernaient cet univers, auquel cas une charte d’abolition de la gravité avait dû être signée.

Elle hasarda un pied dans le vide. Une main gantée de blanc la souleva par sa robe, mettant fin à ses velléités expérimentales.

En vain, elle essaya de se décrocher du treuil. Ah, s’il existait un bouton pour la faire redescendre, un levier qui ne fut pas du mauvais pied !

– Mesdames zé messieurs, à présent regardez bien ! dit le manipulateur. Ze vais remettre l’humaine dans mon chapeau.

Il la déposa au fond du couvre-chef retourné. Ce haut-de-forme non seulement se portait, mais téléportait. Sinon comment expliquer que Coline passât, par foulard rouge interposé, d’une prison de feutre à une cage à rongeur ?

– Ze retourne le chapeau… Mais où est-elle partie ?… Ah, la voilà la coquine !

Des applaudissements saluèrent ce nouveau tour de passe-passe. Un merci au public. Et un cobaye à la merci d’un prochain escamotage.

La lilliputienne  sentit ses nerfs l’abandonner. Toutes ses larmes ne suffirent pas à faire fondre les barreaux implacables de sa cellule. Elle se raccrocha à son bien-aimé, parachuté quelque part dans cette dimension. Tout près, espérait-elle. Lui, qu’un tour de magie avait emmené bien plus loin que n’importe quel tour-opérateur, ne devait pas être non plus déçu du voyage. Restait le problème du retour.

Dans l’assistance, en tout cas, on n’en revenait pas.

– Et vous n’avez n’avait encore rien vu ! promit l’illusionniste, délaissant sa poupée au profit d’une grande malle.

Il en sortit un livre qu’il fit mine de feuilleter hâtivement. Puis il le jeta au public. Dans son vol plané l’ouvrage  se changea en colombe et s’envola.

– Ze n’aime pas lire, zozota le drôle d’oiseau. Voyons ce qu’il y a d’autre.

Une pipe aux dimensions d’un cor de chasse. Il tira une première bouffée avec béatitude. Le nuage exhalé au-dessus de lui, d’abord d’un blanc cotonneux, devint plus fuligineux, plus menaçant. Le temps se gâtait. Puis il y eut un roulement orageux, et le cumulonimbus passa en mode essorage.

Rincé sur scène, le fumeur piocha un parapluie dans sa boîte à surprise. Un éclair en frappa la pointe métallique, transformant le pébroc en chauve-souris. Cette prouesse souleva un nouveau tonnerre, d’applaudissements cette fois.

– Il est très fort, reconnut Coline, prenant la mesure de son lapinesque adversaire.

Combattre la magie par la magie lui semblait une bonne stratégie si tant est qu’elle connût des tours. Or sa seule approche en la matière se résumait aux fameux bouillons cubes abracadabrants qu’elle plongeait dans l’eau chaude sans jamais rater son coup.

– A présent, si vous le voulez bien, messieurs dames, ze vais buller un peu, prévint l’artiste.

Une transition au premier degré avec la fantaisie suivante. D’aériennes sphères de savon soufflées d’une baguette entrèrent en gravitation autour de la star comme autant de planètes d’un système solaire. Une silhouette se débattait, piégée dans l’une d’elles, n’en menant pas plus large qu’une mouche sous une cloche à melon. Coline reconnut une forme humaine.

Quelques petits tours et puis savon. L’une après l’autre, les bulles éclatèrent, en silence, sans répercussion économique. Seul le prisonnier, rendu à sa liberté, fit une dégringolade. Une main l’arrêta toutefois dans sa chute.

– Serais-tu mazicien ? lui demanda son gargantuesque sauveur, moins inquisiteur qu’intrigué.

–  Un maze ?… Euh… Oui… Enfin, il paraît ! bredouilla l’homme.

– Alors tu es un tout petit mazicien !

Un sorcier de trop petite envergure pour remplir un aussi grand cabaret. Son duo avec Coline fit cependant cage comble. Piètre réconfort.

– L’Escamoteur !

Car c’était bien lui, son costume trois-pièces un brin froissé et dont le repassage attendrait – pas de fer sous la main, à part celui des barreaux – le chapeau claque de travers sur la tête. Il donnait l’impression d’une bête au trente-sixième dessous, déboussolée, en quête d’un point d’ancrage rationnel. Ses yeux perdus riboulaient, passant et repassant devant sa codétenue, sans vraiment la voir. La jeune femme le saisit avec rudesse par les épaules.

– Oh ! Vous me reconnaissez ? Je suis Coline !

Il baissa  la tête, proportionnellement toujours plus grand qu’elle. Les yeux pers un peu fardés de la jolie blonde, le grain de beauté sur sa lèvre supérieure bien ourlée, tous ces détails frottés au silex de sa mémoire ravivèrent une étincelle. Alors le plus petit géant du monde reprit quelques couleurs.

– Oui… Coline… percuta-t-il. Qu’est-ce que vous faites ici ?

– Je cherche mon fiancé… Mais je ne le vois nulle part… Et vous ? Vous vous êtes dit plus on est de fous… ?

– Quand j’ai rouvert la malle, vous aviez déjà disparu. C’est alors que j’ai été happé  à mon tour, irrésistiblement. Le trou noir ne devait pas s’être tout à fait refermé. Une main a essayé  de me retenir ; le capitaine Gaillard je crois, alerté par mes cris… Et voilà.

Des exercices respiratoires, les mêmes avant de monter sur scène, redonnèrent l’oxygène nécessaire à son esprit d’analyse. Aussi dingue que ça put paraître, deux amoureux se cherchaient dans une autre dimension. Par sa faute. A lui de les sortir de ce drôle de bain, en trouvant la bonde d’évacuation.

La tête plus froide, il observa son colossal collègue à l’œuvre dans un numéro de caisses gigognes. Soudain un souffle secoua son arbre à questions, en faisant tomber une très judicieuse. Cette réalité bis reposait-elle sur le même système d’emboitement des univers ? Rentrer dans la malle au centre de la scène permettrait de vérifier la théorie. Soit celle-ci les renvoyait à leur point de départ, soit l’aiguillage magique en décidait autrement.

– Il est balèze Pan Pan, hein ? chuchota Coline, le prenant à témoin de son nouveau prodige.

Le lapin avait remis les petites boites dans les grandes. Du coffre alpha jaillit son assistante, en levant fièrement les bras, telle une pin-up Bunny en cerise surprise sur le gâteau. L’exact sosie du Maître, à un détail matériel près : des boucles d’oreilles en anneaux, seule concession à sa féminité.

– Bah, c’est vieux comme le monde, tempéra l’homologue, voulant se donner un air de vieux loup blasé.

Sa voisine le trouvait pourtant encore jeunot, nonobstant les écheveaux grisâtres sur ses tempes et sa tignasse brun foncé. Tout au plus quarante ans, d’après elle. Sur le métier le Temps remettait cent fois son ouvrage, quand il ne devait pas travailler à  la montre.

Elle convoqua son attention d’une tape sur l’épaule.

– L’Escamoteur… Au fait c’est quoi déjà votre vrai nom ?

– Yannick.

– Yannick, vous qui connaissez tous les trucs, vous devez en avoir un pour nous sortir d’ici, non ?

– Désolé, mais je maîtrise pas encore l’art de l’évasion !

Question prouesses, David Copperfield et lui ne jouaient pas tout à fait dans la même division. Cependant Coline regarda le rapport de force sous le prisme psychologique, déformation de son métier d’enseignante. D’expérience, elle savait les entraves à la confiance en soi encore plus dures à faire sauter qu’un cadenas inviolable. Elle laissa tomber le coupe-boulon.

– Dites, avec votre talent, vous devez être capable d’en remontrer à ce civet sur pattes !

Bras tendus appuyés aux barreaux, tête baissée, son compagnon semblait peser le pour et le contre. C’est à peine s’il dut remarquer la sortie de scène de Miss Lapin sous les acclamations d’un public qui demandait du rab, voire du râble pour les plus cannibales.

–Oh ! Vous m’écoutez ? tonitrua la demoiselle, dans le brouhaha des applaudissements. J’ai un plan. Vous le provoquez en duel ! Une fois avoir changé la terreur en terrine, vous revenez me libérer.

Un vrai jeu d’enfants, à l’entendre. Cependant l’âge requis posait question en voyant le volontaire désigné secouer la tête avec des yeux de petit garçon terrifié.

– Me mesurer à ce monstre ?… Non non ! Il faut trouver autre chose !

L’occasion s’offrait à lui de se dépasser comme jamais. Coline savait l’enjeu du défi. Sur ce coup là, l’Escamoteur jouait plus gros qu’une réputation, à savoir probablement leur salut à tous les deux.

Sourde aux supplications de son poulain, elle interpella le geôlier.

– Hé ! Magicien d’opérette ! Tu veux voir ce qu’est un vrai maestro ? Laisse mon ami te faire une démonstration !

– Mais taisez-vous !  Vous êtes folle ?

Leurs éclats de voix se perdirent, emportés par la musique d’ambiance à base de flûte de Pan. Rien ne pouvait troubler l’attention du public et a fortiori le miroir posé sur scène. Un numéro fait et reflet pendant les répétitions. Le visuel reposait sur l’interaction clownesque entre le rongeur face à la glace et son double pour le moins contrariant. Cet Autre espiègle lui jouait des tours, poussant l’effronterie jusqu’à lui botter le train à la première occasion. Et ici comme ailleurs, ce gag générait beaucoup de rires.

Coline lança ses escarpins à travers les barreaux dans l’espoir de faire mouche elle aussi. Et là, contre toute attente, le reflet la pointa du doigt. Son jumeau se retourna aussitôt, intrigué. Non sans un frisson, elle lui trouva des airs de gros félin sournois à la voracité tapie dans les replis de sa nonchalance.

– Ces petits humains sont bien azités, zézaya-t-il en enveloppant leur minuscule réduit de toute son ombre. Patience, ze serai bientôt à vous.

–  Pourquoi attendre ? rebondit la captive aux yeux bleu-vert. L’Escamoteur ici présent te défie dans un tour de son choix. Accepte, si tu n’as pas peur !

– Non, ne l’écoutez pas, elle plaisante ! blêmit le challenger qui agitait l’index en désapprobation, plus vite qu’un essuie-glace épileptique.

– Peur de ce petit animal ? Moi ? se rengorgea le titanesque artiste.

– Je l’ai vu à l’œuvre. Tu fais pâle figure à côté de lui !

Pétrie d’orgueil, la vedette ne resta pas insensible à cette provocation. D’une certaine façon elle prit la mouche. Piégé dans sa paluche, son rival avait l’insignifiance d’un diptère privé d’ailes.

– Très bien, z’accepte. Ze te laisse le choix des armes, lui accorda le lagomorphe, beau joueur. Et celui de ta spécialité… Si toutefois tu en as une.

La créature lui soufflait une haleine de compost baignant depuis  trop longtemps dans du jus croupi.

L’imaginaire de Yannick se nourrissait d’influences plus ou moins assumées, ce dernier n’en faisait pas mystère. C’était sûrement aussi le cas du lapin, bien qu’il le soupçonnât d’avoir digéré stricto sensu ses malheureux modèles.

Perdre la face lui était interdit, il en allait de son intégrité physique. Si je m’en sors, Coline va m’entendre ! jura le gladiateur. M’envoyer ainsi au casse-pipe !

– Oui, une spécialité ?…Euh…  Trouve un truc !… Les ombres chinoises !

Le choix de cet art oriental gela le sourire imbu de son adversaire qui, l’espace d’un éclair, sembla regretter de lui avoir laissé carte blanche. Peut-être le proverbe « jeux de mains jeux de vilains » posait-il des scrupules à sa conscience, lui-même ne se considérant ni suffisamment vilain… ni surtout assez habile. Il se ressaisit très vite. Revenir sur sa parole lui aurait fait perdre toute crédibilité face à ce Tom Pouce en haut-de-forme.

– Soit ! Si tu m’impressionnes, ze te libère.

– Mais pour que nous soyons sur le même pied d’égalité, il faut me mettre à ta hauteur.

Le mammifère fronça le museau. Son nez toujours frétillant semblait flairer son rival, ou peut-être une entourloupe, les deux peut-être.

– Ca doit être dans vos cordes, ô puissant magicien ! le flatta Yannick.

– Evidemment que ça l’est. Mais n’en profitez pas pour me zouer un tour !

Là-dessus, le garenne braqua vers lui une carotte assortie à ses proportions, c’est-à-dire dont la taille eut donné de la tachycardie à un chercheur en OGM. Un Bunny ordinaire l’aurait croqué, mais celui-ci en usa comme d’une baguette de sorcier.

Alors l’Escamoteur se mit à grandir, grandir, tel le fameux haricot magique, sans toutefois jamais tutoyer le ciel ni son impressionnant homologue. Pouvoir regarder ce dernier droit dans les yeux était une chose, s’en faire un copain une autre.

Des exclamations suivies d’une marée d’applaudissements saluèrent le prodige. L’impact aurait été sensiblement le même auprès de la gente humaine en présence d’un lapin redimensionné pour jouer au basket.

– Mesdames et messieurs, cette graine d’artiste va nous faire une démonstration  d’ombre « zinoise » !

Aux premières loges depuis sa cellule, Coline trouvait son compatriote encore plus tendu et blanc que l’écran vierge de ses nuits blanches. Tu peux l’épater (de lièvre) ! Fais-toi confiance ! Elle hurla des encouragements mais son compatriote n’eut pas l’air d’entendre.

Deux techniciens aux oreilles en V déployèrent une toile immaculée à travers la scène. Des arpèges mystérieux, oniriques, tissèrent, note après note, un cocon hypnotique autour des cages à miel. Cette musique continuerait d’hanter Coline.

Enfin les lumières s’éteignirent et le théâtre put commencer. Pas d’entrée en trombe mais entre ombre et lumière.

Le pantomime disposa ses mains devant le projecteur. Tout de suite l’illusion s’opéra, par petits tableaux. La captive reconnut sur l’écran qui un cheval, qui  un oiseau, peut-être une alouette,  dont seule l’imagination pouvait le faire s’envoler si loin… silhouette.

En retrait pendant une partie du numéro, le roi de la soirée quitta sa qualité d’observateur pour en revendiquer d’autres dans cet art figuratif.

– Ze fais mieux que ça !

Et de former le profil d’un navire. L’Escamoteur renchérit avec un Kraken qui envoya son insubmersible par le fond. Ses dix tentacules démesurés jouaient les têtes chercheuses à travers l’écran. Les bras du rongeur, au nombre plus raisonnable de deux, l’en tombaient.

– Comment fais-tu ça ? s’interrogea-t-il, épastrouillé.

L’orgueil sceptique reprenant ses droits, le maître passa derrière la toile, en quête d’une supercherie. Puis il dut bien l’admettre. Chaque appendice de la pieuvre revenait à qui de doigt.

L’ombre octopussienne faisait de l’ombre à la sienne, et bientôt à sa légende à moins qu’il ne frappât un grand coup.

Yannick, de son côté, avait encore des cartouches. Pour aller tout à fait au bout de son idée, il esquissa un fusil. La détonation qui suivit rebondit en écho dans la salle.

Un brouhaha se propagea, puis des cris paniqués à la réapparition du lapin titubant, étreignant une plaie écarlate au ventre. Sur son masque de souffrance, l’incrédulité semblait le disputer à la douleur. L’artiste soignait ses numéros, mais cette fois ci c’était à son tour de l’être, et urgemment ! Trop tard peut-être. Il s’écroula sur scène face aux spectateurs.

 

(à suivre)

Portrait de sorcière

A l’approche d’Halloween et son cortège de citrouilles, il m’est apparu congru de consacrer un billet à une grande figure de l’imaginaire horrifique, j’ai nommé : la sorcière.

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La sorcière se nomme ainsi car elle jette des sorts. A ne pas confondre avec le poissonnier du village d’Astérix. Lui, jette des harengs saurs à la face de l’outrecuidant qui se permet de remettre en doute la fraîcheur de sa marchandise.

Commençons par dresser un portrait physique type de la sorcière.

L’imagerie populaire nous la présente sous les traits d’une vieille femme dont la vue repoussante peut faire remonter en nous nos peurs enfantines, notre dernier repas pour les plus sensibles et inconsciemment le souvenir d’une grand-tante, celle qu’on ne voulait pas embrasser parce qu’elle avait de la barbe, un poireau sur le nez, une manucure discutable et cette manie de nous pincer la joue avec un sourire à chicots. Bon, là j’ai un peu chargé le portrait.

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La garde-robe d’une sorcière s’inscrit à contre-courant des codes vestimentaires en société, à part le soir d’Halloween et dans les cercles occultes ésotériques où l’on fornique à la santé de Satan et toujours à la diable. Elle se vêt traditionnellement d’une longue robe noire et d’un chapeau pointu à la différence du magistrat qui, lui, n’a pas de chapeau mais le fait porter.

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Le gardien (3)

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–Vous êtes habile au combat, gardien, mais contre un sorcier cela sera plus difficile.
Le jeune homme sentit le pouvoir du mage noir monter et se concentrer dans ses mains. Il courut droit sur lui. Ce dernier lança un sort qui frappa en pleine poitrine Denis Leblanc, mais sans la puissance suffisante pour le stopper. Le mage tenta une invocation, mais il n’avait pas ouvert la bouche qu’il sentit une douleur aiguë dans le ventre. L’épée de Denis Leblanc l’avait transpercé. Il tomba à genoux, la lame toujours plantée en lui.
– Et maintenant, renvoyons tous ces corps de l’autre coté, dit Denis Leblanc. Je ne veux laisser aucune trace de votre passage, ni du mien.
– Comment y parviendrez-vous ? Il ne reste plus personne à offrir en sacrifice pour ouvrir un portail entre ce monde et le mien.
– Mais si, il reste vous.
Il posa la main sur la tête du mage noir et récita la formule magique qui ouvrit le portail. Quand cela fut fait, il commença par y jeter les corps de tous les gobelins puis des soldats. Il ramassa les armes et leur fit prendre le même chemin. Il revint vers le mage noir. Ce dernier ressemblait à un vieillard de plus de cent ans avec des cheveux blanc et un visage parcheminé.
– Il existe multiples façons d’ouvrir les portails, mais celle là est la moins fatigante pour un gardien, dit Denis Leblanc.
– Retourner l’énergie d’un autre sorcier contre lui au point de le faire vieillir, cela est très malin ! Je ne vous imaginais pas capable de sacrifier une vie pour ouvrir un portail entre deux mondes.
– Il ne faut pas me sous estimer, sorcier. Je ne suis pas de votre monde mais de celui-ci. Je suis capable de faire des actes auxquels d’autres gardiens n’auraient jamais pu penser.
Denis Leblanc retira la lame du ventre du mage noir qui poussa son dernier soupir. Le portail se referma aussitôt. Il s’approcha d’un mégalithe sur lequel il apposa une main pour s’approprier la la force magique du lieu. Une douleur lui parcourut le corps. Il ressentit le contre coup de l’attaque magique du mage. Il souleva ses vêtements et vit un hématome rouge sang sur son torse. Il toucha la blessure et grimaça de douleur.

Chapitre 3
Deux policiers surveillaient une zone autour des mégalithes, qui avait été délimitée par la police scientifique. Les policiers regardaient ces hommes habillés en blanc comme des cosmonautes. Ils s’affairaient autour d’un corps allongé sur le sol tandis que trois autres travaillaient autour du périmètre. Deux inspecteurs se tenaient juste à coté d’eux, en costume cravate.
– Alors? demanda un inspecteur, en regardant le corps d’un vieillard.
Le médecin légiste se retourna vers l’enquêteur qui attendait des réponses.
– Inspecteur Fernaut, nous avons devant nous un vieillard mort.
– Je vois cela. Mais encore?
– Nous avons été appelés car toute la population de l’île a été enlevée, la nuit dernière.
– Toute la population d’une île enlevée? C’est une blague !
– Alors, d’après les premiers témoignages les habitants de l’île, ils ont été attaqués par des créatures de petite taille à la peau verte.
– Ha ha, la peau verte ! Ils ont bu quoi ? Ils croient qu’ils se sont fait attaquer par des martiens ou des lutins?
– Ils se sont fait sortir de leurs lits et ligoter près de ces pierres là-bas. Nous pensons que les preneurs d’otages voulaient se servir d’eux pour des sacrifices humains, mais cela n’est qu’une simple théorie.
– Des sacrifices humains? Vous vous moquez de nous, docteur ? Nous ne sommes plus au temps de l’antiquité !
– Je le sais. Aucune recherche archéologique n’a apporté la preuve qu’il y a eu des sacrifices humains entre ces pierres. Par contre, pour les animaux, de multiples ossements ont été découverts ici, enterrés sous différentes strates.
– Et pourquoi ces soit disantes créatures auraient choisi ce lieu pour faire ce sacrifice ?
– Une légende locale parle de ce lieu comme d’un passage entre deux mondes.
– Et bien, tout un programme ! Cela et rien d’autre ? Une piste d’atterrissage pour OVNI tant qu’on y est !
– Si, quand ce passage est ouvert, des créatures étranges passent et attaquent tous ce qu’ils croisent.
– Et cela serait déjà arrivé ?
– Oui, selon la légende. Il y a 350 ans environ.
– Et comment le savons-nous ?
– L’île était vide de toute vie après. Il ne restait plus que deux survivants.
–Oui, je suis fan des histoires locales étranges dans ce style là, sourit l’un des inspecteurs.
–Et tu as lu quoi d’autre ? Autant aller au bout de l’absurde !
–Les deux survivants ont été pris dans un premier temps pour des fous, continua le médecin légiste. Ils ont dit avoir vu des créatures du diable envahir le monde, puis des anges venir se battre contre eux et les faire fuir, puis ils sont retournés chez eux.
–Nous sommes vraiment dans l’absurde.
Une femme d’une trentaine d’année s’avança. Elle avait des yeux clairs presque bleus, les cheveux mi-longs d’un blond de couleur paille attachés par un élastique. Elle portait un tailleur moulant qui faisait se retourner tous les hommes et quelques femmes sur son passage. Elle s’avança vers le corps et serra la main du médecin. Les deux policiers la regardèrent passer.
– Madame Monmaison commença le médecin légiste, nous avons un mort ici, tué par une lame.
Il désigna la plaie sur le torse. La juge retint un haut-le-cœur en plaquant sa main sur sa bouche.
–Et vous l’avez identifié ? demanda la magistrate.
–Non, il n’a pas de papier d’identité sur lui, mais plusieurs choses très intéressantes peuvent nous aider à l’identifier.
–Intéressantes comme quoi ?
Je vais vous montrer.
Le médecin ouvrit la bouche du cadavre et exhiba ses dents. Une partie de celles-ci étaient en mauvais état, et certaines semblaient usées.
–Et bien elles sont en sale état, on dirait qu’il n’a jamais vu de dentiste de sa vie.
–Il faudrait que je demande à un collègue mais je partage votre impression. Il n’a jamais vu de dentiste de toute sa vie, selon moi. Il a des caries, les dents usées comme si il prenait une alimentation de mauvaise qualité ou très dure, comme de la viande séchée.
–Il y a encore autre chose à dire sur le corps avant de l’emmener à la morgue, docteur ? demanda la jeune femme.
–Pour le moment non, mais ses dents ne semblent pas correspondre à l’âge de la personne.
–Comment cela ?
– Sa dentition est celle d’un adulte d’un âge moyen, mais pas à un vieillard comme celui que nous avons devant nous.
–Et vous pensez à autres choses ?
–Pour le moment non. Je pourrais vous donner d’autres détails sur ce corps après avoir fait une autopsie et des analyses de sang.
La juge d’instruction tourna la tête rapidement autour d’elle.
–Et ces marques au sol ? demanda Madame Monmaison.
–Pour le moment, il est difficile de le dire, mais à première vue, elles témoignent de déplacements rapides. Nous avons même relevé des traces de sang à plusieurs endroits. Certains policiers ont suggéré qu’il y a peut-être eu des combats, mais pour le moment, nous n’avons trouvé aucune trace d’autre corps que celui-ci, ni d’arme à feu.
–Et il existe des spécialistes pour nous donner plus d’information ?
–Je ne sais pas, je vais appeler tout de suite et me renseigner.
–Parfait, je pense que je n’ai plus rien à faire ici, je rentre sur le continent alors.
La juge d’instruction s’éloigna en faisant retourner tous les hommes sur son passage et certaines femmes qui, vertes de jalousie, lui lançaient des regards noirs.
La scène de crime commença à se vider doucement. Le corps fut enlevé et conduit sur le continent. Les deux inspecteurs empruntèrent le même bateau. Leur conversation porta sur des sujets futiles pendant tout le trajet.

PIERRE

Le gardien (2) Par Pierre

Chapitre 2

Le jeune homme tourna quelques minutes en rond dans son petit appartement. Il n’avait pas vraiment cherché à s’y installer, à en faire son chez-lui. Les cartons constituaient l’essentiel du mobilier de la pièce. Ils s’empilaient sur plusieurs hauteurs. Un pan entier du mur en était recouvert. Le jeune homme alla dans la salle de bain, tourna le robinet et s’aspergea d’un peu d’eau. Il retourna dans la pièce principale pour y boire une gorgée d’une petite bouteille d’eau minérale qu’il posa ensuite sur la table à roulette disposée au milieu de la pièce, sur un grand tapis. Il ouvrit un livre et le prit pour finir de le lire dans son lit. Le sommeil le gagna rapidement. Il ne chercha pas à lui résister. Il avait besoin de dormir pour reprendre des forces. Au petit jour, son téléphone sonna sur le sol. Il l’attrapa et décrocha dans le même mouvement.
– Monsieur Leblanc, il est 6 heures du matin ! fit une voix robotique.
– Merci répondit Denis Leblanc.
Il raccrocha et pensa que ce service de réveil était parfait pour lui. Il s’assit quelques instants sur le bord du lit et se leva pour une journée de travail en usine. Cela lui assurait le minimum vital pour manger, payer son loyer, et assurer ses petits plaisir, en particulier les livres.
Juste après sa journée de travail, il retourna dans son deux-pièces. Denis Leblanc avala son repas et attendit le couché du soleil.
Il déplaça la table à roulette et enleva le tapis. Des symboles étaient dessinés sur le sol, certains à la peinture et d’autres à la craie. Il alluma des bougies et les plaça sur certains symboles. Il enleva le médaillon qu’il portait autour du cou et le posa sur la table. Le médaillon était en argent et gravé d’un dragon stylisé entouré de flammes et de nuages. Les yeux du dragon étaient incrustés de pierres rouges. Les flammes qui sortaient de sa gueule étaient en or.
Denis Leblanc balaya la pièce du regard et arrêta celui-ci sur un coffre en bois recouvert d’une couverture en laine. Il ouvrit la malle d’un mouvement sec et décidé. La caisse était vide, avec quelques moutons de poussière dans le fond. Il passa la main sur le coté du coffre et trouva un petit pivot de bois saillant. Il appuya dessus pour l’enfoncer dans la paroi. Un double-fond s’ouvrit, où étaient dissimulés des vêtements.
Il enfila un pantalon en toile noire, une cote de maille légère par dessus laquelle il mit un pull. Denis Leblanc releva la planche qui était tombée du couvercle et mit la main dans le coffre pour lever un deuxième double fond. Il en sortit une ceinture en cuir ainsi qu’un fourreau et une épée qu’il attacha à sa taille. Il glissa des poignards dans des encoches prévues à cet effet. Il referma le coffre et ouvrit les encoches de coté pour prendre de la main droite une petite arbalète qu’il déplia en un mouvement du poignet.
Le jeune homme se rendit dans la cuisine prendre une pomme et du pain qu’il glissa dans un sac. Il mit celui-ci en bandoulière et vérifia d’un regard le contenu. Il retourna au centre du dessin et s’agenouilla. Il prit un livre posé au sol à coté du dessin, le feuilleta rapidement jusqu’à s’arrêter à une page. Celle-ci montrait une représentation mégalithique. Il se leva pour prendre le journal et tourna plusieurs pages afin de voir ces mêmes pierres en photographie. L’article disait que quatre personnes avaient perdu la vie de façon inexpliquée dans une petite île de la Manche . Les corps avaient subis de fortes mutilations . Denis Leblanc avait tout de suite compris qui se trouvait derrière ces attaques et ces meurtres.
Il devait stopper cela tout de suite.
Dans un mouvement, il jeta le journal dans la pièce et s’agenouilla au milieu du dessin. Il lut attentivement l’incantation qui devait lui assurer le moyen de se rendre sur l’île. Le jeune homme redessina certains symboles à la craie, au centre du dessin, pour parachever le rituel magique. Il commença à réciter la formule. Un nuage de fumée l’enveloppa. Il sentit l’air changer autour de lui. Il pouvait déjà humer l’iode de la mer. La fumée blanche se dissipa autour de lui. Il était dans le noir complet.
Il devait attendre que ses yeux s’habituent à l’obscurité, mais surtout récupérer des forces, car cette opération demandait beaucoup d’énergie magique. Se déplacer d’un endroit à l’autre dans un même monde était épuisant. Passer d’un univers à l’autre, cela pouvait s’avérer mortel pour une personne non entraînée. Cela dura quelques minutes. Denis Leblanc pouvait parfaitement marcher dans la nuit.
Il s’orienta vers des points lumineux au loin, en déduisit que cela devaient être les habitations. Les premières maisons étaient vides. Il serra le poing. C’était ce qu’il redoutait, les habitants avaient été enlevés. Il fit rapidement le tour sans toucher à quoi que ce soit afin de ne pas laisser de traces.
Il traversa la campagne pour se rendre au site des mégalithes. Celui-ci était structuré en deux cercles de pierres : certains menhirs étaient tombés, d’autres commençaient à être recouverts de verdure et de plantes grimpantes. Le jeune homme arriva à une cinquantaine de mètres et s’accroupit à l’abri des regards, derrière un buisson d’épines. Il regarda devant lui, sortit des jumelles de son sac et scruta dans cette direction.
– Merde, murmura-t-il.
Il avait reconnu un mage, le visage dissimulé derrière une capuche, flanqué de ses deux gardes du corps et de soldats d’élite, en pleine séance de magie noire. Autour d’eux une dizaine de gobelins couraient d’un lieu à un autre et surveillaient une dizaine de personnes de différents âges. Quelques uns avaient été extirpés de leur lit car ils portaient des vêtements de nuit.
Les gobelins étaient des êtres assez petits, d’environ un mètre vingt, avec la peau grisonnante. Ils portaient des vêtements récupérés sur des corps, souvent déchirés et rapiécés. Leurs armes étaient, la plupart du temps, glanées de la même façon. Denis Leblanc passa en revue toutes les possibilités que lui offrait le terrain pour lancer son attaque en quelques secondes. Il arma son arbalète et prépara des flèches supplémentaires.
Il s’approcha doucement sans faire de bruit en se déplaçant le plus souvent en rampant. Il était à distance de tir. Quand il fut à porté de sa cible, il visa le premier gobelin et jeta un regard sur les autres. Denis Leblanc attendit, guetta un moment d’inattention de leur part pour décocher sa flèche. Le carreau entra dans le crâne d’un gobelin qui s’effondra sur le sol.
Denis Leblanc jeta un regard vers les sentinelles restantes. Aucune ne semblait avoir remarqué l’absence de leur camarade. Il plaça une seconde flèche dans la glissière de l’arbalète. Il s’avança doucement en rampant et se cacha derrière une pierre. Il prit un poignard par la lame et se prépara à le lancer. Il observa et, au passage du premier gobelin, lui lança le poignard lequel se planta dans sa gorge. La créature s’écroula dans un bruit de métaux lourd.
Le vacarme attira l’attention des autres gobelins. Denis Leblanc devait se jeter dans la bataille sans réfléchir. Il lança ses autres poignards vers ses adversaires. Tous s’écroulèrent morts, sauf deux. Denis n’avait plus d’arme à lancer. En criant, les gobelins prirent leurs lames et se jetèrent sur le jeune homme qui défourailla et para la première attaque sans difficulté, du tranchant de la lame. D’un mouvement rapide, il trancha le bas du ventre du premier gobelin et enfonça sa lame dans le second.
Il faisait maintenant face aux deux gardes du corps et au mage noir. Il leva son arbalète et tira. Le mage leva la main, faisant dévier le carreau de sa course.
–Il vous faudra plus que cela pour me tuer mon jeune ami, dit le mage noir.
–C’est ce que je vois, sorcier.
– Qui êtes vous ?
–Je suis un gardien des portails.
–Un gardien ? Je ne savais pas qu’il en restait encore.
Les deux gardes du corps avaient déjà sorti leurs épées de leurs fourreaux et avançaient vers le jeune homme.
–Il en reste au moins un, sourit Denis Leblanc.
Le jeune homme savait par expérience qu’il devrait tuer le plus rapidement possible ces deux soldats sans pour autant utiliser de magie, réservant celle-ci pour le mage noir. Les deux gardes du corps étaient des soldats de premier plan, entraînés à tuer.
Il étudia le langage de leurs corps pour anticiper leurs attaques. Denis Leblanc attendit la première offensive. Il para et abattit sa lame sur le bras de son adversaire. La lame fit jaillir le sang et cassa l’os. Le soldat cria de douleur et lâcha son arme. Denis releva son épée, lui trancha la gorge de façon verticale. La lame finit sa course dans la mâchoire de la créature.
Il passa son pied sous l’épée de son adversaire, la fit sauter en l’air pour l’attraper. Il pivota et la jeta dans la direction des prisonniers. La lame coupa un lien et, par conséquent, leur rendit la liberté. Le magicien grogna de rage, mais les laissa fuir. Il reporta son attention sur le deuxième garde du corps.
–Gardien, tu aurais dû jeter cette lame sur moi. Avec un peu de chance, cela t’aurait sauvé la vie, dit ce dernier.
–Mais j’ai encore la mienne.
En finissant ses mots, il fit un mouvement vers l’avant et lança son épée qui se planta dans le torse de son adversaire. Celui-ci baissa les yeux pour regarder sa blessure.
Denis Leblanc s’approcha tranquillement de lui et attrapa le pommeau. Il retira la lame du corps d’un coup sec. Le soldat s’effondra sur le sol.
– Vous êtes habile au combat, reconnut le sorcier, mais contre moi cela sera plus difficile.

Pierre
(à suivre)

Léo se fait la malle (2)

7. INT. UNE SALLE DE SPECTACLE

Léo pousse la porte. Devant lui, au bout d’une immense allée, une scène gigantesque occupée par un énorme lapin blanc coiffé d’un chapeau haut de forme. Le lapin, en pleine réprésentation, tire de son couvre-chef un homme gigotant qu’il tient pendu par les jambes. Applaudissents. Il le replonge ensuite dans son chapeau qu’il montre une nouvelle fois au public. L’intérieur est vide. Nouveaux applaudissements. Le lapin magicien remet le chapeau sur sa tête et désigne la malle au milieu de la scène.

LAPIN

Et maintenant, ladies et gentlemens, la malle magique ! Qui est volontaire pour disparaître à l’intérieur? (pointant la patte vers Léo) Monsieur !

Tout le monde dans les gradins se retourne vers lui. Léo s’aperçoit alors que les spectateurs ont tous des têtes de lapins. Notre héros pivote sur ses talons, sort par où il est entré. Derrière la porte ce n’est plus un salon mais un escalier dont il gravit les marches jusqu’à se trouver soudainement la tête sous l’eau.

Les lois de la physique semblent tout à fait particulières ici car le sommet de l’escalier est immergé sous un sorte de lac mais pas le bas. L’eau tient inexplicablement en suspension. Des poissons passent tranquillement. Léo hésite à poursuivre l’ascension en apnée lorsqu’un crochet descend jusqu’à lui et agrippe son pull. Il est ferré par un pêcheur. Il ne peut se défaire de la prise et, malgré ses efforts pour se débattre, est entraîné à la surface.

8. EXT. SALLE DE BAIN

Léo émerge d’une baignoire géante, accroché au bout d’une canne à pêche tenue par un géant barbu en chemise de bûcheron. Celui-ci défait sa prise hurlant d’effroi, pour la poser à côté de la baignoire où frétillent au sol des poissons à tête d’hommes. Le géant éclate d’un rire gargantuesque avant de rétrécir soudainement et revenir à une taille normale en même temps que la baignoire et tous les meubles de la salle de bain. Son apparence se transforme pour devenir celle d’un homme barbu d’âge vénérable, habillé comme un mage avec une longue toge et un  chapeau pointu.

LÉO (blotti dans un recoin de la salle de bain)

Qui êtes vous?

MAGE

Je suis Azimut, le maître des lieux et le plus grand des magiciens.

LÉO (admiratif)

Chapeau le coup du géant !

AZIMUT

Merci. Mais je ne fais pas que me transformer, je transforme aussi les autres.

LÉO (inquiet)

Ah bon? En quoi?

AZIMUT

J’ai le catalogue si tu veux.

Le mage fait apparaître dans ses mains le catalogue, genre 3 Suisses, qu’il apporte à sa victime. Léo reprend un peu confiance et le feuillette en livrant ses impressions au fil des pages.

LÉO

Ah ouais, pas mal… (grimaçant) Beeuh, c’est quoi ça?

AZIMUT

C’est un griffon… En fin de catalogue se trouvent les dernières nouveautés (sur un ton de commercial) Si je peux me permettre, la métamophose en service 6 assiettes en arcopal est très tendance en ce moment.

LÉO

Est-ce que vous faites…?

Sa demande doit être un peu génante car il s’approche du mage pour le lui dire dans l’oreille.

AZIMUT (en secouant négativement la tête)

Ah non, ça je fais pas.

LÉO

Peuh, et ça se dit le plus grand magicien?

Piqué au vif, Azimut brandit sa baguette vers lui en incantant une formule. Problème, rien ne se passe. Soupir d’agacement du sorcier.

AZIMUT

Elle a dû prendre l’humidité… (en la balançant)Ah, ces baguettes chinoises, ça ne vaut rien!

Azimut prononce une nouvelle formule et se change en une  tortue géante plus haute qu’un homme. Léo tente de sortir de la salle de bain seulement dès qu’il approche de la porte, celle-ci recule. Au début calme, il perd très vite patience. Malgré tous ses efforts, la lourde se dérobe à lui. Le supplice de Tantale en quelque sorte. Un long couloir s’est creusé, en perpétuelle expansion. Il s’est élargi de lui même pour laisser s’engouffrer la tortue Azimut.

TORTUE Azimut (d’une voix molle)

Tu n’échapperas pas à la Tortue.  Courir est vain, elle arrivera à toi. Doit-elle mettre un siècle! Elle a touuut son temps. Alors elle te digérera comme une feuille de salade… leeeentement, très leeentement.

Léo se laisse tomber par-terre. Il regarde la tortue se trainer laborieusement vers lui. On peut lire du renoncement dans ses yeux quand soudain une idée l’illumine. Il sort son iPhone sur lequel il lance une application « Montagnes Russes ». TGP pour nous montrer le rendu graphique du jeu qui fait vivre les Montagnes comme si on y était, avec les hauts et les bas incessants. Ca va très vite, beaucoup trop vite pour la Tortue devant qui Léo braque son téléphone.

TORTUE

Aaah, cette vitesse ! C’est insupportable !

Elle détourne sa vieille tête plissée mais quelle quoi sa direction, Léo lui colle les montagnes russes sous les yeux.

LÉO

C’est ça le vrai monde, vieille tortue ! Dans le vrai monde, tout va à ce rythme !

TORTUE

Aaah, tu me tues! Enlève ça de ma vue!

La Tortue veut se protège en fermant les yeux mais Léo impitoyable, lui ouvre de force un oeil. Des spirales envahissent sa rétine comme un oeil hypnotisé.

TORTUE

Nooon! Pitiééé ! Moins viteeeeee !

La créature s’effondre sur ses pattes dans un dernier soupir. Son corps se volatilise. A sa place apparaît Azimut sous sa forme humaine. Il a l’air un peu secoué.

AZIMUT

Tu es le premier à vaincre la Tortue! Je m’incline devant ton pouvoir. Demande-moi ce que tu voudras, valeureux guerrier.

LÉO

J’aimerais être renvoyé d’où je viens. Moi et tous mes livres.

AZIMUT

Tes désirs sont des ordres.

Le mage rentre en concentration extrème. Il exécute de grands gestes de sorcier en psalmodiant une formule. Ca ne donne aucun effet. Nouvel essai, toujours aucun résultat.

AZIMUT (soupirant) J’suis vidé !(il sort une clé) Bon, on va s’y prendre autrement. Pointe ça devant toi.

Léo pointe la clé vers la porte laquelle s’avance jusqu’à lui. C’est la porte qui va vers la clé et pas l’inverse. Il la tourne dans la serrure. Derrière la porte, se trouve la salle du point de départ où la malle est toujours posée.

AZIMUT

La malle te raménera chez toi.

Léo se dirige vers le centre de la pièce lorsque le mage le rappelle.

AZIMUT

Hé! Ma clé ! J’ai pas de double !

Il lui redonne docilement, entre dans la caisse, referme le couvercle de l’intérieur. Un « pouf! » se produit qui se matérialise par un soupçon de fumée.

9. INT. APPART DE LEO

La malle, le même « pouf! », la même fumée. Un silence, puis le couvercle s’ouvre. Léo s’extrait de son sarcophage, un peu tourneboulé. L’instant d’après, c’est tout son trésor personnel qui lui est restitué.

Enchaînement avec le moment où notre héros finit de vider tout ce qui se trouvait dans la malle avant d’en refermer le couvercle dans un claquement définitif.

LÉO

Je vais te cadenasser ça et te le foutre à la décharge…

On sonne à la porte. Léo va ouvrir sans s’attendre à trouver une vieille femme au visage austère sur le palier. Ou plutôt si, il s’y attendait, mais pas à cette date. En effet c’est sa propriétaire.

PROPRIETAIRE

Il vous reste une semaine pour payer ce que vous me devez. J’espère pour vous que vous serez en mesure de me payer.

LÉO

Ca risque d’être dur.

PROPRIO

Alors je vous ferai expulser mais auparavant je me serai remboursé avec votre mobilier. Un huissier sera là.

LÉO  (après réflexion)

J’ai justement une belle malle de grande valeur. Je suis prêt à vous la céder. Un début de remboursement en quelque sorte.

PROPRIO

Il faudra plus d’une malle.

LÉO

Mais entrez, je vais vous la montrer ! Vous verrez, elle fera disparaître toutes mes dettes.

PROPRIO

Ca m’étonnerait bien.

La propriétaire se laisse convaincre d’y jeter un oeil. Léo referme la porte derrière elle. Mais n’est-ce pas un sourire machiavélique qui se dessine sur son visage?

FIN

Léo se fait la malle (1)

1. EXT. JOUR. UN VIDE-grenier

Léo baguenaude dans les allées, le pas paresseux, le nez fureteur. Il arrive devant un stand dont le gérant se démarque des autres par son costume doré et pailleté. Il est donc très chichement habillé et ses cheveux en touffe lui donnent des airs d’hurluberlu ou de savant fou.

Sur son stand: des DVD,des livres sur lesquels on peut lire le mot « magie », des jeux de cartes, des accessoires comme des chapeaux haut de forme,des petites cages, quelques costumes… Léo semble surtout intéressé par une grosse malle de la taille d’un homme, exposée au pied de l’étal.

LEO

Combien la malle?

VENDEUR

Il y a le prix dessus

LEO

Oh ! C’est trop cher…

VENDEUR

Ce n’est pas n’importe quelle malle, elle a servi à des magiciens.

LEO

Ah bon? Comme?

VENDEUR

(fièrement) Moi, Magic David.

LEO

Qu’est ce que ça change?

VENDEUR

Eh bien, cette malle vous fera voir l’invisible et vous effacera du visible.

LEO

(en partant)Mais moi je vois que mon porte-monnaie. Au-revoir.

VENDEUR

Je vous le fais à moins de 50%!

Léo s’arrête et se retourne. Cette fois il est disposé à réfléchir.

2. INT. IMMEUBLE

Léo monte les dernières marches d’un étage en traînant sa dernière acquisition. Il semble à la peine. Il croise un type en salopette bleu qui descend  l’escalier.

LE TYPE

C’est bon, j’ai réparé l’ascenseur.

Léo lève les bras dans un soupir dégouté. Inconciemment, il lâche la malle qui redescend aussi sec tout l’étage. Plus qu’à réattaquer l’escalier… ou à reprendre l’ascenseur.

3. INT. APPARTEMENT DE LEO. SALON.

Des piles de bouquins, romans, encyclopédies, et de classeurs entassés au pied d’une étagère elle même regorgeant d’ouvrages.

Léo prend une grosse poignée de livres qu’il déverse à l’intérieur de la malle posée au milieu du salon, près d’un sofa et d’une table basse. Scène suivante lorsque la caisse est remplie au trois quart de bouquins et de cassettes VHS. Léo reste quelques secondes à contempler son trésor. Une voix résonne dans sa tête, très aigue et désagréable, celle de sa propriétaire.

PROPRIETAIRE

(off) Vous avez un mois pour régler ce que vous me devez !Passé ce délai, c’est dehors !

Il referme le couvercle. Une cassette traîne encore par terre. Il la ramasse, rouvre la malle pour la ranger dedans. Or voilà quela caisse est vide ! Plus un livre, plus un cahier, rien, vide ! Il n’est pas difficile d’imaginer le regard estomaqué de Léo qui palpe le fond de la malle, comme pour vérifier qu’il ne rêve pas. Mais non, tout a disparu corps et âme. Il soulève la malle, regarde en dessous et par terre, en vain. Plus aucune trace de ses affaires. Il se frotte énergiquement les yeux, inspecte à nouveau, toujours rien. Il repose la malle, se gratte la tête. Les paroles du brocanteur lui reviennent alors à l’esprit.

BROCANTEUR

(off) Cette malle vous fera voir l’invisible et vous effacera du visible.

Le jeune homme reste les yeux rivés sur cette boîte maléfique. En fond sonore, les notes à la fois douces et inquiétantes d’une boîte à musique.

Il met un pied dans la malle puis l’autre, se recroqueville pour pouvoir se couler intégralement dedans. Il referme le couvercle de l’intérieur. Un claquement suivi d’un « Pouf ! »

3. EXT. UNE ETRANGE SALLE CARREE

Les murs sont en pierre. Une porte à chaque pan. Au milieu de la pièce se trouve une malle, la même que celle de Léo. Le couvercle s’ouvre, et qui voit-on sortir? Et oui, Léo himself! Notre héros tourne la tête de tous les côtés, le regard ahuri. Le décor a bien changé, ce n’est plus son appart. Quel est cet endroit?

Il se promène quelques instants dans la pièce, s’approche d’une porte, s’apprête à l’ouvrir puis finalement se ravise. Il marche vers une autre porte à l’opposé. Il l’entrebaille d’abord, méfiant, avant de l’ouvrir entiérement. Il franchit l’encadrement sans s’attendre à ne trouver que le néant derrière.

4. EXT. UNE PORTE DANS L’espace

Léo se raccroche in extremis à la poignée. Sa posture est des plus inconfortable, ses jambes pendent au dessus du vide spatial. Derrière lui c’est l’immensité glacé de l’univers. La porte apparaît suspendue au milieu de rien, comme le passage dans un autre monde. Léo parvient, par un balancement des jambes, à revenir à l’intérieur, sur la terre ferme.

Le voilà de nouveau en sécurité. Il reste une interrogation et pas des moindre. Dans quel monde peut-il bien se trouver?

Il entrouvre une deuxième porte, espérant trouver des éléments de réponse de l’autre côté.

5. int. UN GRAND SALON

La salle apparaît totalement jusqu’à ce que Léo lève la tête. Tous les meubles ( canapé, placards, table…) tiennent au plafond. Une gravité différente semble s’opérer ici. Puis c’est comme si une main invisible retournait la pièce, le haut devenant bas. Léo suit la rotation et atterrit sur le fauteuil.

Il reste assis, un peu étourdi. Il balaie du regard le salon avant de poser ses yeux sur un journal laissé sur une table basse. Il ouvre le canard: l’écriture est inversée. Un miroir l’aiderait à la déchiffrer. Il en repère un avec un cadre en bois et posé sur un pied, dans un coin du salon.

Léo dirige le journal vers le miroir. C’est alors que son reflet passe une main par la glace, le happe et l’entraîne de l’autre côté. Le reflet passe dans l’autre monde laissant notre héros prisonnier à sa place. Léo tambourine sur la glace en criant mais aucun son ne sort. Son reflet s’installe tranquillement sur le fauteuil et ouvre le journal.

Le prisonnier prend alors le miroir à deux mains et le secoue d’arrière en avant. Le miroir tangue tant et si  bien qu’il finit par tomber. Un bris de glace. Le reflet de Léo subit le choc à distance, et une profonde ébréchure sanglante le traverse des pieds jusqu’à la tête. Il se lève et marche en titubant dans le salon.

Léo s’extrait péniblement du miroir. Voyant l’agonie de son double, il abrège ses souffrances en finissant de briser la glace d’un coup sec. Le reflet vole en mille éclats.

Comment sortir d’ici? Après inspection notre ami ne relève qu’une seule issue, une porte qui n’est pas dans le bon sens mais se trouve tout en haut du mur. Pas facile à atteindre ! Léo se laisse tomber sur le fauteuil, désemparé.

Il prend connaissance d’un document en rouleau posé sur la table basse. Un poster représentant un bâteau pirate voguant sur les flots. Par désoeuvrement, il punaise la photo au mur, et se prend à la contempler avec la satisfaction de quelqu’un qui a refait sa déco.

C’est alors que le poster s’anime et la mer en jaillit comme l’eau d’un barrage brisé, propulsant le bateau dans la pièce. Léo tente de colmater avec son corps mais il se ramasse une douche monumentale. Il trouve son salut en retirant les punaises: le poster tombe par terre en se réenroulant. La cataracte est stoppée aussi nette.

Le salon trempe à présent dans un centimètre d’eau. Le bâteau pirate de la taille d’un modèle Playmobyl flotte sur ce lac improvisé. Léo pousse un « Ail ! ». Les pirates ont lancé un grappin sur lui, dans l’intention évidente de l’aborder. Il retire l’ancre de son molet (c’est un tout petit grappin à l’échelle du navire), l’examine avant de lever la tête vers la porte perchée.  Il tire alors sur le mini grappin comme il déroulerait un fil d’aspirateur, le fait tournoyer au dessus de sa tête pour le lancer ensuite jusqu’à la porte. Le grappin s’accroche à la poignée. Léo teste la solidité du fil avant d’entreprendre son ascension. Il parvient en haut.

(à suivre)