Léo se fait la malle (2)

7. INT. UNE SALLE DE SPECTACLE

Léo pousse la porte. Devant lui, au bout d’une immense allée, une scène gigantesque occupée par un énorme lapin blanc coiffé d’un chapeau haut de forme. Le lapin, en pleine réprésentation, tire de son couvre-chef un homme gigotant qu’il tient pendu par les jambes. Applaudissents. Il le replonge ensuite dans son chapeau qu’il montre une nouvelle fois au public. L’intérieur est vide. Nouveaux applaudissements. Le lapin magicien remet le chapeau sur sa tête et désigne la malle au milieu de la scène.

LAPIN

Et maintenant, ladies et gentlemens, la malle magique ! Qui est volontaire pour disparaître à l’intérieur? (pointant la patte vers Léo) Monsieur !

Tout le monde dans les gradins se retourne vers lui. Léo s’aperçoit alors que les spectateurs ont tous des têtes de lapins. Notre héros pivote sur ses talons, sort par où il est entré. Derrière la porte ce n’est plus un salon mais un escalier dont il gravit les marches jusqu’à se trouver soudainement la tête sous l’eau.

Les lois de la physique semblent tout à fait particulières ici car le sommet de l’escalier est immergé sous un sorte de lac mais pas le bas. L’eau tient inexplicablement en suspension. Des poissons passent tranquillement. Léo hésite à poursuivre l’ascension en apnée lorsqu’un crochet descend jusqu’à lui et agrippe son pull. Il est ferré par un pêcheur. Il ne peut se défaire de la prise et, malgré ses efforts pour se débattre, est entraîné à la surface.

8. EXT. SALLE DE BAIN

Léo émerge d’une baignoire géante, accroché au bout d’une canne à pêche tenue par un géant barbu en chemise de bûcheron. Celui-ci défait sa prise hurlant d’effroi, pour la poser à côté de la baignoire où frétillent au sol des poissons à tête d’hommes. Le géant éclate d’un rire gargantuesque avant de rétrécir soudainement et revenir à une taille normale en même temps que la baignoire et tous les meubles de la salle de bain. Son apparence se transforme pour devenir celle d’un homme barbu d’âge vénérable, habillé comme un mage avec une longue toge et un  chapeau pointu.

LÉO (blotti dans un recoin de la salle de bain)

Qui êtes vous?

MAGE

Je suis Azimut, le maître des lieux et le plus grand des magiciens.

LÉO (admiratif)

Chapeau le coup du géant !

AZIMUT

Merci. Mais je ne fais pas que me transformer, je transforme aussi les autres.

LÉO (inquiet)

Ah bon? En quoi?

AZIMUT

J’ai le catalogue si tu veux.

Le mage fait apparaître dans ses mains le catalogue, genre 3 Suisses, qu’il apporte à sa victime. Léo reprend un peu confiance et le feuillette en livrant ses impressions au fil des pages.

LÉO

Ah ouais, pas mal… (grimaçant) Beeuh, c’est quoi ça?

AZIMUT

C’est un griffon… En fin de catalogue se trouvent les dernières nouveautés (sur un ton de commercial) Si je peux me permettre, la métamophose en service 6 assiettes en arcopal est très tendance en ce moment.

LÉO

Est-ce que vous faites…?

Sa demande doit être un peu génante car il s’approche du mage pour le lui dire dans l’oreille.

AZIMUT (en secouant négativement la tête)

Ah non, ça je fais pas.

LÉO

Peuh, et ça se dit le plus grand magicien?

Piqué au vif, Azimut brandit sa baguette vers lui en incantant une formule. Problème, rien ne se passe. Soupir d’agacement du sorcier.

AZIMUT

Elle a dû prendre l’humidité… (en la balançant)Ah, ces baguettes chinoises, ça ne vaut rien!

Azimut prononce une nouvelle formule et se change en une  tortue géante plus haute qu’un homme. Léo tente de sortir de la salle de bain seulement dès qu’il approche de la porte, celle-ci recule. Au début calme, il perd très vite patience. Malgré tous ses efforts, la lourde se dérobe à lui. Le supplice de Tantale en quelque sorte. Un long couloir s’est creusé, en perpétuelle expansion. Il s’est élargi de lui même pour laisser s’engouffrer la tortue Azimut.

TORTUE Azimut (d’une voix molle)

Tu n’échapperas pas à la Tortue.  Courir est vain, elle arrivera à toi. Doit-elle mettre un siècle! Elle a touuut son temps. Alors elle te digérera comme une feuille de salade… leeeentement, très leeentement.

Léo se laisse tomber par-terre. Il regarde la tortue se trainer laborieusement vers lui. On peut lire du renoncement dans ses yeux quand soudain une idée l’illumine. Il sort son iPhone sur lequel il lance une application « Montagnes Russes ». TGP pour nous montrer le rendu graphique du jeu qui fait vivre les Montagnes comme si on y était, avec les hauts et les bas incessants. Ca va très vite, beaucoup trop vite pour la Tortue devant qui Léo braque son téléphone.

TORTUE

Aaah, cette vitesse ! C’est insupportable !

Elle détourne sa vieille tête plissée mais quelle quoi sa direction, Léo lui colle les montagnes russes sous les yeux.

LÉO

C’est ça le vrai monde, vieille tortue ! Dans le vrai monde, tout va à ce rythme !

TORTUE

Aaah, tu me tues! Enlève ça de ma vue!

La Tortue veut se protège en fermant les yeux mais Léo impitoyable, lui ouvre de force un oeil. Des spirales envahissent sa rétine comme un oeil hypnotisé.

TORTUE

Nooon! Pitiééé ! Moins viteeeeee !

La créature s’effondre sur ses pattes dans un dernier soupir. Son corps se volatilise. A sa place apparaît Azimut sous sa forme humaine. Il a l’air un peu secoué.

AZIMUT

Tu es le premier à vaincre la Tortue! Je m’incline devant ton pouvoir. Demande-moi ce que tu voudras, valeureux guerrier.

LÉO

J’aimerais être renvoyé d’où je viens. Moi et tous mes livres.

AZIMUT

Tes désirs sont des ordres.

Le mage rentre en concentration extrème. Il exécute de grands gestes de sorcier en psalmodiant une formule. Ca ne donne aucun effet. Nouvel essai, toujours aucun résultat.

AZIMUT (soupirant) J’suis vidé !(il sort une clé) Bon, on va s’y prendre autrement. Pointe ça devant toi.

Léo pointe la clé vers la porte laquelle s’avance jusqu’à lui. C’est la porte qui va vers la clé et pas l’inverse. Il la tourne dans la serrure. Derrière la porte, se trouve la salle du point de départ où la malle est toujours posée.

AZIMUT

La malle te raménera chez toi.

Léo se dirige vers le centre de la pièce lorsque le mage le rappelle.

AZIMUT

Hé! Ma clé ! J’ai pas de double !

Il lui redonne docilement, entre dans la caisse, referme le couvercle de l’intérieur. Un « pouf! » se produit qui se matérialise par un soupçon de fumée.

9. INT. APPART DE LEO

La malle, le même « pouf! », la même fumée. Un silence, puis le couvercle s’ouvre. Léo s’extrait de son sarcophage, un peu tourneboulé. L’instant d’après, c’est tout son trésor personnel qui lui est restitué.

Enchaînement avec le moment où notre héros finit de vider tout ce qui se trouvait dans la malle avant d’en refermer le couvercle dans un claquement définitif.

LÉO

Je vais te cadenasser ça et te le foutre à la décharge…

On sonne à la porte. Léo va ouvrir sans s’attendre à trouver une vieille femme au visage austère sur le palier. Ou plutôt si, il s’y attendait, mais pas à cette date. En effet c’est sa propriétaire.

PROPRIETAIRE

Il vous reste une semaine pour payer ce que vous me devez. J’espère pour vous que vous serez en mesure de me payer.

LÉO

Ca risque d’être dur.

PROPRIO

Alors je vous ferai expulser mais auparavant je me serai remboursé avec votre mobilier. Un huissier sera là.

LÉO  (après réflexion)

J’ai justement une belle malle de grande valeur. Je suis prêt à vous la céder. Un début de remboursement en quelque sorte.

PROPRIO

Il faudra plus d’une malle.

LÉO

Mais entrez, je vais vous la montrer ! Vous verrez, elle fera disparaître toutes mes dettes.

PROPRIO

Ca m’étonnerait bien.

La propriétaire se laisse convaincre d’y jeter un oeil. Léo referme la porte derrière elle. Mais n’est-ce pas un sourire machiavélique qui se dessine sur son visage?

FIN