Un prix spécial

Vito Cavo dit le Requin, dit l’Ordure, dit la Machine à Occire, souriait de toutes ses ratiches en métal. Recevoir le prix du Meilleur Dessoudeur de la Pègre 2016 face à un parterre de fumiers qui sentait fort et certainement pas l’odeur de sainteté, était la juste récompense des années de labeur et de sacrifice. A vrai dire l’ampleur des sacrifices se mesurait surtout  au cimetière où reposaient d’anciens amis devenus gênants.

Voleur de bicyclette à sept ans, de sac à main à huit, braqueur à 11 ans, flingueur à 15 ans pour le compte de Tony Truant, un parrain –et non deux par deux- local. Vito Cavo n’avait pas traîné sauf dans la rue bien sûr, son école à lui. Un sinistre bonhomme de chemin jalonné de cadavres  dont la plupart nourrissaient les poissons de la baie  où servaient de compost de jardin car ce nabab du crime se voulait un éco citoyen modèle.

Au terme d’un impitoyable nettoyage (à se demander à quoi servait le balai des ambulances et de la police, une serpillière eût été plus utile  ) le Requin s’était imposé sur le marché des casinos et de la prostitution.  Ses convocations auprès des juges n’avaient jamais abouti, avortées par de copieux bakchichs ou de regrettables accidents. Une trentaine de règlements de compte en 2015, et 2016 serait un an pire que le précédent ; un empire qu’il tenait dorénavant d’une main de fer sur un trône de fer.

Son fils Mario prendrait sa succession un jour. Il avait déjà la trempe d’un grand caïd.

– Merci, c’est trop d’horreur… d’honneur, bafouilla Vito tout ému, ses doigts crispés sur sa statuette plaquée or représentant un tueur en chapeau borsalino dégainant un revolver. Merci à tous ceux qui m’ont soutenu dans cette aventure… Enfin, les survivants. Merci aussi à mes sponsors : l’entreprise de pompes funèbres Les Pieds Devant, merci également aux juges pour  m’avoir écouté… Sans me mettre sur écoute. Je les croyais au service de la justice, heureusement je les avais mal jugés.

Un coup de feu interrompit son laïus.

-Tu quoque mi fili ! paraphrasa alors l’heureux nominé, les yeux révulsés, avant de s’effondrer mort, la tête sur son pupitre déjà inondé de sang. Mario, au premier rang du public, sa pétoire encore fumante à la main, n’avait pas non plus l’intention de traîner.

-C’est bien le fils de son père ! lança quelqu’un dans la salle…

La relève des Cavo était là…

Texte écrit pour un atelier d’écriture

Je l’ai rédigé en pensant à ce sketch d’Albert Dupontel. Un sommet de cynisme…

For Mathilda (7)

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Gomez
La Nissan rouge, à dix mètres derrière nous. Ça fait 10 minutes qu’elle est derrière nous.

Mario
Et alors? Y a cent bagnoles derrière nous !

Gomez lève le pied de l’accélérateur. Des voitures le dépassent sur la voie express.

60. Int. Jour. Voiture de Rachel

Rachel
Il ralentit… Je reste derrière lui ?

Mathilda
Non, double-le, ça va faire suspect.

Les deux véhicules se trouvent brièvement à la même hauteur. Les yeux de Mathilda et de Mario se rencontrent en un éclair. Il ne paraît pas la reconnaître derrière ses lunettes noires.

Rachel
Merde, un péage… Jusqu’où on va le suivre? Jusqu’à Philadelphie ?

Mathilda
(en se fouillant) J’ai de la monnaie.

60. Ext. Soir. Péage à la sortie du Queen Midtown Tunnel
Gomez s’acquitte du droit de passage. Six voies de circulation dans les deux sens et autant de files d’automobiles à l’arrêt. A plus de 21h, le gros rush est néanmoins passé. Rachel occupe une file voisine, sur la droite. Elle risque un coup d’œil vers la Chrysler.
Gomez dédie un regard glaçant à la conductrice qui détourne précipitamment les yeux.

61. Ext. Soir.
La Chrysler emprunte une sortie, juste après le péage. La Nissan suit ses traces à une distance raisonnable. La 2×3 voies laisse place à une large avenue dans Brooklyn cernée d’immeubles de quelques étages, la plupart en brique rouge, d’autres dont la façade fatiguée accuse le temps, mélangés à des commerces de proximité, des restaurants et des garages.

62. Int. Voiture de Rachel

Rachel (crispée)
Il m’a regardé tout à l’heure au péage, je suis sûr qu’il m’a grillée.

Mathilda
Je te dis que non, on les suit de loin.

63. Ext. Soir.
La Chrysler passe devant une zone de construction. Derrière un mur grisâtre, une grue toise son monde. A quelque cinquante mètres du chantier, un cinéma « Brooklyn West Cinema ».
La berline s’engouffre dans une ruelle à sens unique, juste derrière le bâtiment.

64. Int. Voiture de Rachel

Rachel (les yeux vers la ruelle)
Qu’est-ce qu’il va foutre par là ? (excédée) Mathilda, il est en train de nous balader !

Mathilda
Arrête-toi…

Son coup de frein impromptu lui vaut des coups de klaxon hostiles. Elle tend un doigt bien haut au mécontent.
L’oiseau, qui n’a pas vocation à s’attarder, disparaît à droite au fond de la ruelle.

Mathilda
On va le reprendre un peu plus loin. A la prochaine à gauche.

Rachel
(repasse la première, dans un soupir) T’as intérêt à ce qu’il y ait le gros lot au bout ! Je veux un super héros ou un chippendale !

65. Ext. Voiture de Rachel
Elle poursuit sur une centaine de mètres, retrouve une deuxième ruelle sur sa gauche et s’engage dedans. Une allée à l’ombre de deux immeubles de brique rouge flanqués de leurs escaliers de secours. Il y a des tags sur les façades.
La Nissan remonte la ruelle. La perspective est fermée par un paysage de béton derrière la grosse avenue au bout.
Une bagnole surgit de l’autre extrémité de la ruelle. La Chrysler se présente de face à la voiture de filature.

Rachel(en ralentissant)
Merde !

La berline avance doucement dans sa direction. Les regards des deux conducteurs s’interceptent. Rachel se fige, passive comme un piquet de métal qui attendrait la foudre.

Mathilda
Recule, Rachel !

La Chrysler accélère soudainement et vient à se coller à sa proie. Pare-choc contre pare-choc.

Mathilda
Mais recule !

Dans la panique, Rachel se trompe dans sa marche arrière. Grincement d’une boîte de vitesse qu’on martyrise. Mario descend de la menaçante voiture, une arme à la main et envoie une rafale dans le capot et dans les pneus de la Nissan, la stoppant en plein élan de marche arrière. Une fumée noire s’échappe du moteur.

Int. Voiture de Rachel
Rachel hurle de terreur. Comme le tireur s’approche, Mathilda verrouille les portières.
La jeune fille serre la main de son amie ; elle tient dans l’autre une bombe antigel. On peut s’attendre à ce que l’agresseur veuille fracturer la vitre passagère à coups de crosse. Or, il sort d’une poche une sorte de boitier électronique qu’il dirige vers la voiture… bip bip ! Déverrouillage de la portière.
Mathilda ne peut l’empêcher d’ouvrir la portière et s’en remet à sa bombe antigel pour l’aveugler. D’une manchette, Mario la désarme, la repousse sur le siège en la braquant avec son pistolet mitrailleur. Ses lunettes noires ne laissent transparaitre aucune expression dans son regard.
Rachel est en larmes. Son amie, mâchoire serrée, se serre contre elle. Son regard dit tout le mépris que peut lui inspirer Mario à cet instant.

Mathilda
(la voix étranglée par le choc) Tu voulais le gros lot, Rachel…

66. Ext. Nuit tombée. Les docks de Brooklyn. Au bord de l’Hudson
Un large quai bordé d’entrepôts. Des grues portuaires se découpent sur un ciel de nuit bleutée.
Des caristes vont et viennent entre une grosse barge amarrée et l’intérieur d’un hangar. L’architecture du bâtiment très imposante en briques rouges laisse à penser que c’était une ancienne manufacture.
67. Int. Nuit.
Depuis sa voiture garée à bonne distance, Gomez observe l’effervescence de fenwick avec des jumelles. Mario est à côté de lui.

Gomez
(tout en scrutant) Il y a deux gardes armés dehors. Je table sur une dizaine à l’intérieur… Ça va être sportif.

Il tend une photo à son partenaire. Sa lampe torche éclaire le faciès d’un homme aux chevaux blancs au regard solennel.

Gomez
La cible… On coupe à la racine, en faisant gaffe aux épines.

Des borborygmes étouffés attirent notre attention. Et de découvrir Rachel et Mathilda pieds et mains liées, bâillonnées, sur la banquette arrière.

Mario se retourne vers elles. Leur délicate posture semble le mettre mal à l’aise.

Mario
On les laisse pas là !

Gomez
(sourire froid) Si ! j’ai pas envie de m’emmerder avec des stagiaires…

68. Int. Entrepôt.
Les portes d’un utilitaire rempli de caisses se referment. D’autres camionnettes attendent d’être chargées. Des hommes armés surveillent. La fourgonnette sort du hangar.

69. Int. Voiture de Gomez
Une lueur éclaire l’habitacle.

Gomez
Cheval de Troie en approche… (dégaine de son holster un AMT Hardballer, un pistolet arme semi automatique) Go !

68. Ext. Quai. Camionnette
Deux individus dans le champ des phares. Coup de frein. Gomez ouvre la cabine du chauffeur. Ce dernier descend docilement, très attaché sa santé. Gomez s’assure de son silence d’un coup de crosse sur la tête avant de s’installer au volant. Mario monte côté passager. L’opération n’a pas pris vingt secondes.

69. Ext. Nuit. Entrepôt
Le véhicule intercepté rencontre un barrage à l’entrée. Un garde armé joue les douaniers.

Gomez
On a un peu de retard. On vient pour le chargement.

Garde
On a le compte des véhicules.

Gomez
On vient pourtant bien pour ça. Demandez à votre patron.

Garde (laconique)
Faites-voir le bon de chargement.

Gomez fait mine de chercher le papier. Il tient dans sa main droite un pistolet, canon pointé vers la portière. Au même instant, un deuxième garde s’approche du côté passager. Echange de regards avec Mario dont la main gauche se referme doucement sur son flingue calé entre les deux sièges.
Le chauffeur lui tend le bon de chargement.

Garde 1
(en le regardant) Il y a un tampon ! (sourcillant) Vous êtes le camion qu’est parti à l’instant! Mais c’est pas vous que j’ai vu !

Gomez tire à travers la portière, envoyant ad patres le douanier. Le mode silencieux étouffe la détonation. L’autre garde est abattu, dans une action coordonnée de Mario. Le chauffeur écrase le champignon. Crissement des pneus. La camionnette fait une entrée fracassante dans le hangar.

70. Int. Entrepôt.
D’énormes rayonnages hauts de plusieurs mètres remplis de caisses. De chaque côté des murs d’étagères, un large espace de circulation investi par les camions et les fenwick. Il y a un deuxième niveau, occupé par des bureaux visibles depuis le bas.
Maxwell entouré de deux gorilles, observe les opérations depuis une mezzanine métallique au premier étage. Il assiste en toute première loge à l’attaque. Ses gardes du corps se pressent de l’évacuer dans les bureaux.

Gomez lance la camionnette sur les murs de rayonnage le long desquels sont déployées des sentinelles. Mario et lui s’éjectent avant l’impact. Un formidable fracas métallique. Un garde, moins réactif, que les autres, se trouve écrabouillé contre un pilier.
Nos deux tueurs se réceptionnent sans dommage sous le tir nourri des gardes revenus de leur surprise. Ils se redressent sur leurs jambes et partent au feu chacun de leur côté.

Les balles glissent sur Gomez qui a bien pris soin de se munir de son porte-bonheur… Un pistolet mitrailleur. Ses adversaires sont fauchés à la volée. Le tueur trouve dans les chariots et les camions des points de repli, pour mieux repartir à la charge. Des caristes tombent sous les balles dans des explosions de verre et une grêle de fer.

Mario, derrière un fenwick, essuie des tirs groupés sur sa droite. La largeur du hangar amplifie l’écho furieux des balles. Une grenade l’aide à faire place nette. Deux gardes sauvent leurs miches in extremis, un autre encaisse la déflagration en pleine face. Sa jambe droite est sectionnée nette. Mario recharge son pistolet mitrailleur, grimpe dans le chariot élévateur et passe la première. Une main sur le volant, l’autre préposée au canardage. Les deux sbires encore sur pied ramassent leur arme mais échouent à riposter, criblés de pruneaux.
Un noyau dur de trois gangsters avec des mitraillettes surgit de derrière un camion, sur sa gauche, et vide son chargeur vers lui. Mario se baisse mais doit sûrement sa vie à la pile de caisses empilée sur les fourches du fenwick.

Il écrase l’accélérateur, et monte au front, baïonnette au canon. Le mur d’artillerie se disloque avant l’impact. Mario saute du chariot électrique, qui finit sa course contre un rayonnage, et se jette sur un garde. Les deux hommes roulent au sol. Mario prend le dessus en l’immobilisant et lui loge une balle à bout portant. Une nouvelle salve l’oblige à rouler sous le camion. Pénurie de munition ! Son salut vient de la mitraillette du défunt garde. A plat ventre, Mario donne la réplique aux deux assaillants. Après un échange nourri, il obtient le dernier mot.
71. Int. Entrepôt
Gomez longe les rayonnages en tenant son 11mm des deux mains. La mezzanine le surplombe. L’éclairage renvoie sur le sol l’ombre de la rambarde. Une ombre, humaine celle-ci, se dessine au dessus de la balustrade. Gomez fait montre de réflexes salvateurs. Le garde, copieusement plombé, dégringole du parapet et s’écrase six mètres plus bas. Le tireur ramasse sa mitraillette et monte vers la mezzanine.

Un sbire déboule d’un des bureaux pour le gratifier d’une rafale automatique. Gomez s’aplatit sur les dernières marches et répond du tac au tac… ou plutôt du tac tac tac ! Atteint à la jambe droite, l’homme de main se replie dans le bureau.

Gomez rejoint la plate-forme métallique et, dos au mur, évolue vers la porte en verre du bureau. Une volée de mitraille est tirée depuis l’intérieur, faisant voler en éclats la vitre. Le mercenaire sort une grenade de sa ceinture, la dégoupille et la baratte dans le trou béant. Une explosion fait trembler toute la structure.
Gomez entre dans la pièce dévastée. La fumée laisse entrevoir un monceau de gravas (le plafond est à moitié effondré) des débris de plâtre et du verre partout. Le cadavre du garde
à proximité d’un mobilier soufflé.
Une porte communique avec le bureau voisin. Il y pénètre, précédé de sa pétoire. Personne. Son flair l’oriente vers l’issue de secours du bureau.

72. Ext. Nuit. Entrepôt
Maxwell dévale les dernières marches de l’escalier. Une Mercedes est garée au bas. Il actionne le déverrouillage des portières, s’engouffre avec son attache case. La voiture s’ébranle dans un crissement de pneus.
La berline descend vers la bordure de quai. Mais au tournant du hangar, surgit un fenwick avec les fourches en avant. Les deux véhicules rentrent en collision, quasi frontalement. Le choc, violent, projette la Mercedes sur trois mètres. Mario, assis sur le chariot, fait feu sur les carreaux avant. La pétarade claque dans la nuit. S’ensuit un silence de mort que trouble juste le ronronnement du moteur.

Mario repart dans la direction opposée, au volant du chariot.

73. Ext. Nuit. Quai.
Mario se véhicule jusqu’à la bagnole de Gomez. Les portières sont verrouillées. Il parvient à ouvrir en brisant une vitre avec la crosse de son pistolet. Les deux jeunes filles se trouvent toujours allongées ligotées sur la banquette arrière. Il tire les deux prisonnières, l’une après l’autre, hors de la voiture. Il débâillonne Rachel lui donnant toute liberté pour hurler. Fermement, il applique une main sur sa bouche.

Mario
Je te libère mais tu coupes l’alarme, ok ?

Rachel acquiesce d’un hochement de tête. Il sort un canif et tranche ses liens.

74. Ext. Nuit. Quai.
Gomez s’approche de la Mercedes dont le moteur tourne toujours. Les vitres explosées donnent le spectacle du cadavre de Maxwell, sa tête couchée sur le volant. Un cri au loin sur le quai éveille son attention. Il éjecte le macchabée hors de l’auto pour se mettre au volant.

75. Ext. Nuit. Quai.
Mathilda n’a pas avalé toute sa salive et s’en gardait pour son ravisseur qui écope d’un beau crachat sur ses vêtements. Mario, impassible, sort un couteau pour trancher ses liens.

Mario
Je sais ce que tu penses… Mais si t’avais pas joué les flics, on n’en serait pas là.

Rachel, de nouveau libre, est adossée contre la voiture, les yeux hagards, en état de commotion. Les phares d’un véhicule arrivant de la zone de l’entrepôt. La vue de la lumière provoque comme un électrochoc chez la jeune fille qui se lève et se met à courir dans sa direction.

Rachel
Une voiture ! Oh merci, mon dieu ! Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous !

Mario
(hurlant) Non ! Revenez !

Il court à sa poursuite mais Rachel a déjà fait stopper la voiture. Les yeux de la jeune fille se révulsent de terreur lorsqu’elle identifie le conducteur. Gomez ouvre la portière, le canon d’une arme dirigé vers elle. Le coup part… atteignant sa cible en pleine tête. L’assassin encaisse alors un retour de bâton, touché à son tour à l’épaule par Mario malgré tout arrivé trop tard. Gomez tente de se ressaisir mais son partenaire fond sur lui et parvient à le désarmer en écrasant son bras avec la portière. Le 9 mm tombe sur le bitume. Gomez, assis devant le volant, fait face à un calibre braqué sur lui.

Gomez
(en se tenant son épaule ensanglantée) Qu’est-ce qu’y t’arrive, putain? Toutes les deux, elles connaissent notre gueule !

For Mathilda (6)

39. Ext. Jour. Quelque part dans Manhattan. Le restaurant « Le goût du large ».
Fin d’après-midi. Une berline aux vitres fumées stoppe devant l’enseigne. Trois hommes cagoulés en descendent, munis d’armes automatiques.

40. Int. Le restaurant.
Ils rentrent d’un pas déterminé. Une réplique miniature de chalutier a jeté l’ancre à l’entrée de la salle. Au- dessus d’un aquarium, un espadon au mur donne une touche halieutique à l’endroit. La majorité des tables sont occupées.

Estevez déjeune avec deux gardes du corps. Aux premières secondes de l’intrusion, ces derniers se lèvent. L’un évacue son patron vers les cuisines, pendant que l’autre va au contact. Le « gorille » chargé de la couverture ouvre le feu sur les tueurs, touchant l’un d’eux. Cris de panique des clients. Le reste de l’escouade riposte dans les règles de l’art en le mitraillant. Le porte-flingue s’effondre sur la table d’Estevez, présentement déserte.

41. Ext. Cuisine du restaurant.
Estevez oriente son garde du corps au milieu des fourneaux. Le Chef l’intercepte avec l’air soucieux.

Chef
Monsieur Estevez ! C’était des coups de feu en salle ?

Estevez
(aboyant) Oui, et alors, midi c’est pas l’heure du coup de feu ? Au boulot !

42. Ext. Arrière du restaurant.
Une porte de service donnant sur la cour à poubelles du restaurant. Le garde du corps, précédé de son revolver, tâte le terrain avant de donner le signal à son patron. Direction la voiture garée au fond de la cour. Il a pratiquement atteint le point de chute quand un tueur jaillit par la porte des cuisines. Le « gorille » promptement, contrecarre la menace. Le tueur s’écroule.

Garde du corps
Montez, vite !

Estevez s’exécute. Son chauffeur enfonce la clé de contact quand il l’arrête d’un geste de la main.

Estevez
Attends.

Le mafieux, une pétoire à la main, sort du véhicule et se dirige vers le blessé. Son ange gardien sort à son tour pour le couvrir.

Estevez
(d’un geste péremptoire) Attends, je t’ai dit !

Il s’arrête devant le sbire à terre dont la poitrine sanglante se soulève frénétiquement.

Estevez
C’est Maxwell qui t’envoie ?

Une remontée de sang jaillit des lèvres de l’homme. Puis enfin un gémissement.

Estevez
Quoi ? Quoi ? J’entends rien. Articule putain !

Les sirènes de la police en approche.

Estevez
Tu diras à Maxwell que si c’est un message, je l’ai PAS compris ! Que je suis lent à la détente. Très Lent et maniaque !

Il ponctue sa dernière phrase de deux balles, une dans le ventre et l’autre en pleine tête. Il reprend la direction de la voiture.

Int. Jour. Voiture.
Le garde du corps reprend alors place au volant et tourne la clé.

Ext. Jour. Cour du restaurant.
Une déflagration déchiquette la bagnole dans une gerbe de feu et de métal. Estevez alors à quelques mètres, se trouve catapulté par le souffle. Couché, hébété, le visage en sang, il regarde les flammes dévorer la carcasse déchiquetée.

43. Int. Appartement de Mario. Le hall.
Mario rentre, chargé d’un gros sac de provisions. Il le pose par terre avec un soupir de soulagement. Son chien est là qui lui fait la fête. Il le caresse, reprend le sac que l’animal s’empresse de renifler.

Mario
Non, la viande n’est pas pour toi.

Il pose son chargement sur la table du coin cuisine. Il en sort un morceau de viande crue lyophilisée.

Mario
(l’agitant avec un sourire) Toi, t’auras ça.

Mario prend sa veste restée sur le divan, l’accroche à une patère. Un bout de papier tombe du vêtement. Celui sur lequel Mathilda a noté ses coordonnées. Pensif, il réfléchit au sort à donner à ce bout de papier. Décision est prise, il prend son téléphone et fait le numéro.

44. Int. La chambre de Mathilda.
Allongée sur son lit, elle suit la version américaine de Qui veut gagner des millions.

Jean Pierre Foucault (ou son homologue US)
Pour 15 000 dollars, Jack. Lequel de ses titres n’appartient pas au répertoire de Bruce Springsteen ?
-A Hit the road Jack, B The River, C Born in the USA, D Brilliant disguise.

Le candidat
Pfiou !… Alors là… Je vais demander l’avis du public.

Mathilda
(chantonnant) Hit the road Jack, and don’t you come back no more no more no more!

Son portable sonne. Elle répond.

-Mathilda ? C’est Mario.

On les voit chacun leur tour au téléphone. Lui ne semble pas très à l’aise au téléphone, et malaxe le bout de papier entre ses doigts.

Mario
Je voulais savoir si tu as prévu quelque chose ce soir.

Mathilda
Et bien, à vrai dire, j’ai encore des cours à potasser.

Mario
J’ai acheté un poulet. Je m’étais dit comme ça que… peut-être tu voudrais manger avec moi ce soir. Il y aurait toi, moi… et puis le chien. Il me donnera la patte et puis je lui donnerai une patte… de poulet, la patte.

Mathilda (souriant)
C’est tentant. J’ai envie de revoir ton chien.

Mario
Et moi, un peu aussi ?

Mathilda
Oui, toi un peu aussi.

Mario
Ouf ! On dit 20h30 ?

Mathilda
Ça me va.

Mario
Bien, à ce soir alors.

Mathilda
A ce soir.

Elle repose son téléphone, un petit sourire aux lèvres.

45. Int. Appart de Mario. La cuisine

Mario, un tablier autour de la taille, bat une vinaigrette avec vigueur dans un grand saladier. Il s’interrompt et enfile un gant pour retirer le poulet du four. Ça sonne à sa porte. Il pose le plat, prend l’arme dans un holster suspendu au dossier d’une chaise, planque l’arme dans son dos. Un coup d’œil dans le judas avant d’ouvrir.

46. Int. Entrée.
Gomez est sur le palier.

Gomez
(reniflant) Ça sent bon chez toi.

Mario
(froidement) Tu veux que je rajoute une assiette ?

Gomez
Je serais pas contre, mais c’est pas le but premier de ma visite… (pointant un index vers l’intérieur) Je peux ?

Mario le laisse rentrer et referme la porte.

Gomez
Y a eu du grabuge. Maxwell a envoyé ses petits soldats au Goût du Large. Estevez était à table. Il a pu se barrer mais ils avaient piégé sa tire.

Mario
Est-ce qu’il est…?

Gomez
Non. Il n’était pas dedans. Son chauffeur a eu moins de chance… Maxwell n’a pas dû apprécier tes exploits à Mulberry, il a voulu la jouer « œil pour œil ».

Il prend un lapin en céramique posé sur un meuble près de l’entrée et lui caresse ses oreilles en peluche.

Gomez
Bref, c’est la guerre. Et une guerre, c’est jamais bon pour le business. Tu te souviens des Chinois.

Mario
(en retournant dans le coin cuisine)J’ai allumé la mèche. C’était les ordres d’Estevez. Je réponds pas des représailles.

Gomez repose le lapin et marche vers la fenêtre du salon qui donne sur la rue.

Gomez
T’as allumé la mèche mais lui veut le bouquet final! Les flics ont serré l’un des tireurs, près du resto, un peu esquinté. Il s’est mis à table. Maxwell devrait recevoir une livraison sur les docks, ce soir, près de la 20e. Il sera là pour contrôler. Nous aussi.

Mario
Les stups seront de la partie.

Gomez (en regardant par la fenêtre du salon)
C’est le tuyau d’Harrisson … Le plus véreux des flics de Manhattan. Tu crois vraiment qu’il mettrait au secret ses petits copains ?

Mario
Ils seront passés après lui.

47. Int. Jour. Hôpital.
Une scène éclair. Une main applique fermement un oreiller sur le visage d’un patient. Nous découvrons le visage singulier d’Harrisson. Une dentition chevaline, des yeux porcins, une alopécie prononcée. Le patient relâche son bras.

48. Int. Jour. Appartement de Mario.

Gomez
Trop tard à mon avis… (il prend une bouteille de vin sur la table de la cuisine et regarde l’étiquette) Hum, du bordeaux… Attends-tu des invités ce soir ?

Mario
(après une hésitation) Non.

Gomez (reposant la bouteille)
Vraiment ? Alors remet-là au frais. Le vin, c’est so frenchy, mais ça altère les réflexes… et il t’en faudra ce soir. Règle ta tocante, sois en bas à 21h.

Il sort sans se retourner. Mario referme derrière lui, reste la main appuyée sur la porte avec l’air de réfléchir, retourne à sa cuisine, saisit la bouteille de vin. Son visage s’est fermé.

49. Int. Jour. Chambre de Mathilda
Allongée sur son lit, elle étudie. Une sonnerie de portable vient troubler sa concentration. Elle prend l’appel.

Mathilda
Mario ?

Son sourire s’évanouit à l’annonce d’une mauvaise nouvelle.

Mathilda
Bon… Non, ben ça fait rien… Si c’est vraiment urgent…Ce sera pour une autre fois, oui… Bonne soirée.

Elle repose sur le mobile sur le lit en exprimant un : « Fais chier ! »

50. Int. Pénombre. Appartement de Mario. Sa chambre
Il pose sa mallette sur son lit et l’ouvre. Un arsenal s’offre à notre vue. Il en sort deux pistolets mitrailleurs 9mm, met les chargeurs. Clac ! Torse nu, il attache une ceinture de munitions autour de lui. Il enfile une espèce de holster géant où il range ses pétoires.

51. Ext. Jour. L’immeuble de Mario.
Une voiture stoppe de l’autre côté de la rue.
52. Int. Jour. Voiture
Rachel est au volant. Mathilda se trouve à ses côtés.

Rachel
(se tourne vers son amie) Et maintenant ? T’as prévu quoi ? On fracture son appart et on met tout à sac jusqu’à trouver un indice probant ? J’sais pas, un string…

Mathilda
(avec agacement) Tu y es pas… C’est autre chose.

Rachel
Tu sais quoi ? Si ça se trouve, ton mec il est marié.

Mathilda
Je l’aurais vu s’il avait une alliance.

Rachel
Ca se retire une alliance… C’est un truc vieux comme le monde. Sa femme était partie (en l’imitant) Chéri, je rentre plus tôt que prévu ! Du coup, tout embarrassé qu’il est, il est obligé de te reporter.

Mathilda (en regardant vers l’immeuble)
C’est lui !

Elle s’aplatit sur le siège pour être invisible. Depuis la bagnole, nous voyons Mario attendre devant l’entrée du bâtiment, sa mallette à la main.

Rachel
Va le voir.

Mathilda (toujours aplatie)
Non. T’es folle !

53. Ext. Immeuble.
Une Chrysler arrive de la droite et stoppe à sa hauteur. Mario monte côté passager. La Chrysler redémarre.

54. Int. Voiture.

Rachel
Il vient de monter dans une grosse berline. Elle est passée devant nous.

Mathilda (en se redressant)
On les suit !

Rachel
T’es sérieuse ?

Mathilda
(excitée) Oui. Suis la voiture!… Vite, on va la perdre !

Rachel
(en enclenchant le contact et passant la première) Oui ben la prochaine fois que tu voudras filer quelqu’un, t’engageras un privé… Avec ma voiture en plus, t’es chiée !

Mathilda
Il aurait reconnu la mienne.

Elle enfile des lunettes noires et une casquette rouge, visière tournée vers l’arrière.

55. Int. Voiture de Gomez
Mario et son binôme gardent un silence concentré à l’intérieur de l’habitacle. La berline longe une artère de Manhattan encore très fréquentée à cette heure. Une heure renseignée par le tableau de bord : 21h04. S’il ne fait pas encore nuit, le ciel commence à se parer des premières couleurs du crépuscule.
Gomez, un chewing-gum à la bouche, insère un CD dans le lecteur de l’autoradio. C’est un album de Blue Oyster Cult. Il avance jusqu’à la piste 6. Démarre alors un morceau intitulé : Vengeance.

56. Int. Voiture de Rachel
Dans le flot de véhicules, la conductrice s’efforce de ne pas perdre de vue la Chrysler de Gomez.

Mathilda
Accélère, on est en train de les perdre !

Rachel
Oui ben je fais ce que je peux !

Elle écrase l’accélérateur, change de voie au prix d’une queue de poisson à une voiture derrière. Coups de klaxon.

57. Int. Voiture de Gomez
Le CD continue de jouer Blue Oyster Cult.

Gomez (à son passager)
Blue Oyser Cult… Ça c’est du son, putain ! T’aimes ?

Mario
(hochant la tête) Ouais. J’aime.

Gomez
(baissant le son ) Mais c’est pas ce que t’écoutes… (avec un sourire) Toi c’est le jazz… Remarque, ça m’arrive aussi d’en écouter du jazz.

Mario
(sourire sarcastique) Dans les ascenseurs ?

Gomez
Te fout pas de ma gueule ! Comment il s’appelle ce fils de pute que j’aime bien… Buble, c’est ça ?… Ouais, lui j’aime bien ce qu’il fait, ça swingue… Dommage qu’il ait du putain de sang de Rital.

Mario
Qu’est-ce que t’as contre les Ritals, connard de portos ?

S’ensuit un silence tendu. Gomez tourne plusieurs fois son visage vers Mario avant de lâcher un éclat de rire, plus inquiétant que rassurant. Il rehausse le volume du Blue Oyster Cult.

58. Ext. Jour. Sortie d’un tunnel de Manhattan
Les deux voitures s’échappent du boyau de béton.

59. Int. Jour. Voiture de Gomez
Le silence a repris ses droits à bord. Gomez, en mode radar, partage son attention entre la route et le rétroviseur. Le hard rock n’a pas endormi sa vigilance.

Gomez
On est suivi.

Mario zyeute à son tour dans le rétro.

Gomez
La Nissan rouge, à dix mètres derrière nous. Ça fait 10 minutes qu’elle est derrière nous.