For Mathilda (6)

39. Ext. Jour. Quelque part dans Manhattan. Le restaurant « Le goût du large ».
Fin d’après-midi. Une berline aux vitres fumées stoppe devant l’enseigne. Trois hommes cagoulés en descendent, munis d’armes automatiques.

40. Int. Le restaurant.
Ils rentrent d’un pas déterminé. Une réplique miniature de chalutier a jeté l’ancre à l’entrée de la salle. Au- dessus d’un aquarium, un espadon au mur donne une touche halieutique à l’endroit. La majorité des tables sont occupées.

Estevez déjeune avec deux gardes du corps. Aux premières secondes de l’intrusion, ces derniers se lèvent. L’un évacue son patron vers les cuisines, pendant que l’autre va au contact. Le « gorille » chargé de la couverture ouvre le feu sur les tueurs, touchant l’un d’eux. Cris de panique des clients. Le reste de l’escouade riposte dans les règles de l’art en le mitraillant. Le porte-flingue s’effondre sur la table d’Estevez, présentement déserte.

41. Ext. Cuisine du restaurant.
Estevez oriente son garde du corps au milieu des fourneaux. Le Chef l’intercepte avec l’air soucieux.

Chef
Monsieur Estevez ! C’était des coups de feu en salle ?

Estevez
(aboyant) Oui, et alors, midi c’est pas l’heure du coup de feu ? Au boulot !

42. Ext. Arrière du restaurant.
Une porte de service donnant sur la cour à poubelles du restaurant. Le garde du corps, précédé de son revolver, tâte le terrain avant de donner le signal à son patron. Direction la voiture garée au fond de la cour. Il a pratiquement atteint le point de chute quand un tueur jaillit par la porte des cuisines. Le « gorille » promptement, contrecarre la menace. Le tueur s’écroule.

Garde du corps
Montez, vite !

Estevez s’exécute. Son chauffeur enfonce la clé de contact quand il l’arrête d’un geste de la main.

Estevez
Attends.

Le mafieux, une pétoire à la main, sort du véhicule et se dirige vers le blessé. Son ange gardien sort à son tour pour le couvrir.

Estevez
(d’un geste péremptoire) Attends, je t’ai dit !

Il s’arrête devant le sbire à terre dont la poitrine sanglante se soulève frénétiquement.

Estevez
C’est Maxwell qui t’envoie ?

Une remontée de sang jaillit des lèvres de l’homme. Puis enfin un gémissement.

Estevez
Quoi ? Quoi ? J’entends rien. Articule putain !

Les sirènes de la police en approche.

Estevez
Tu diras à Maxwell que si c’est un message, je l’ai PAS compris ! Que je suis lent à la détente. Très Lent et maniaque !

Il ponctue sa dernière phrase de deux balles, une dans le ventre et l’autre en pleine tête. Il reprend la direction de la voiture.

Int. Jour. Voiture.
Le garde du corps reprend alors place au volant et tourne la clé.

Ext. Jour. Cour du restaurant.
Une déflagration déchiquette la bagnole dans une gerbe de feu et de métal. Estevez alors à quelques mètres, se trouve catapulté par le souffle. Couché, hébété, le visage en sang, il regarde les flammes dévorer la carcasse déchiquetée.

43. Int. Appartement de Mario. Le hall.
Mario rentre, chargé d’un gros sac de provisions. Il le pose par terre avec un soupir de soulagement. Son chien est là qui lui fait la fête. Il le caresse, reprend le sac que l’animal s’empresse de renifler.

Mario
Non, la viande n’est pas pour toi.

Il pose son chargement sur la table du coin cuisine. Il en sort un morceau de viande crue lyophilisée.

Mario
(l’agitant avec un sourire) Toi, t’auras ça.

Mario prend sa veste restée sur le divan, l’accroche à une patère. Un bout de papier tombe du vêtement. Celui sur lequel Mathilda a noté ses coordonnées. Pensif, il réfléchit au sort à donner à ce bout de papier. Décision est prise, il prend son téléphone et fait le numéro.

44. Int. La chambre de Mathilda.
Allongée sur son lit, elle suit la version américaine de Qui veut gagner des millions.

Jean Pierre Foucault (ou son homologue US)
Pour 15 000 dollars, Jack. Lequel de ses titres n’appartient pas au répertoire de Bruce Springsteen ?
-A Hit the road Jack, B The River, C Born in the USA, D Brilliant disguise.

Le candidat
Pfiou !… Alors là… Je vais demander l’avis du public.

Mathilda
(chantonnant) Hit the road Jack, and don’t you come back no more no more no more!

Son portable sonne. Elle répond.

-Mathilda ? C’est Mario.

On les voit chacun leur tour au téléphone. Lui ne semble pas très à l’aise au téléphone, et malaxe le bout de papier entre ses doigts.

Mario
Je voulais savoir si tu as prévu quelque chose ce soir.

Mathilda
Et bien, à vrai dire, j’ai encore des cours à potasser.

Mario
J’ai acheté un poulet. Je m’étais dit comme ça que… peut-être tu voudrais manger avec moi ce soir. Il y aurait toi, moi… et puis le chien. Il me donnera la patte et puis je lui donnerai une patte… de poulet, la patte.

Mathilda (souriant)
C’est tentant. J’ai envie de revoir ton chien.

Mario
Et moi, un peu aussi ?

Mathilda
Oui, toi un peu aussi.

Mario
Ouf ! On dit 20h30 ?

Mathilda
Ça me va.

Mario
Bien, à ce soir alors.

Mathilda
A ce soir.

Elle repose son téléphone, un petit sourire aux lèvres.

45. Int. Appart de Mario. La cuisine

Mario, un tablier autour de la taille, bat une vinaigrette avec vigueur dans un grand saladier. Il s’interrompt et enfile un gant pour retirer le poulet du four. Ça sonne à sa porte. Il pose le plat, prend l’arme dans un holster suspendu au dossier d’une chaise, planque l’arme dans son dos. Un coup d’œil dans le judas avant d’ouvrir.

46. Int. Entrée.
Gomez est sur le palier.

Gomez
(reniflant) Ça sent bon chez toi.

Mario
(froidement) Tu veux que je rajoute une assiette ?

Gomez
Je serais pas contre, mais c’est pas le but premier de ma visite… (pointant un index vers l’intérieur) Je peux ?

Mario le laisse rentrer et referme la porte.

Gomez
Y a eu du grabuge. Maxwell a envoyé ses petits soldats au Goût du Large. Estevez était à table. Il a pu se barrer mais ils avaient piégé sa tire.

Mario
Est-ce qu’il est…?

Gomez
Non. Il n’était pas dedans. Son chauffeur a eu moins de chance… Maxwell n’a pas dû apprécier tes exploits à Mulberry, il a voulu la jouer « œil pour œil ».

Il prend un lapin en céramique posé sur un meuble près de l’entrée et lui caresse ses oreilles en peluche.

Gomez
Bref, c’est la guerre. Et une guerre, c’est jamais bon pour le business. Tu te souviens des Chinois.

Mario
(en retournant dans le coin cuisine)J’ai allumé la mèche. C’était les ordres d’Estevez. Je réponds pas des représailles.

Gomez repose le lapin et marche vers la fenêtre du salon qui donne sur la rue.

Gomez
T’as allumé la mèche mais lui veut le bouquet final! Les flics ont serré l’un des tireurs, près du resto, un peu esquinté. Il s’est mis à table. Maxwell devrait recevoir une livraison sur les docks, ce soir, près de la 20e. Il sera là pour contrôler. Nous aussi.

Mario
Les stups seront de la partie.

Gomez (en regardant par la fenêtre du salon)
C’est le tuyau d’Harrisson … Le plus véreux des flics de Manhattan. Tu crois vraiment qu’il mettrait au secret ses petits copains ?

Mario
Ils seront passés après lui.

47. Int. Jour. Hôpital.
Une scène éclair. Une main applique fermement un oreiller sur le visage d’un patient. Nous découvrons le visage singulier d’Harrisson. Une dentition chevaline, des yeux porcins, une alopécie prononcée. Le patient relâche son bras.

48. Int. Jour. Appartement de Mario.

Gomez
Trop tard à mon avis… (il prend une bouteille de vin sur la table de la cuisine et regarde l’étiquette) Hum, du bordeaux… Attends-tu des invités ce soir ?

Mario
(après une hésitation) Non.

Gomez (reposant la bouteille)
Vraiment ? Alors remet-là au frais. Le vin, c’est so frenchy, mais ça altère les réflexes… et il t’en faudra ce soir. Règle ta tocante, sois en bas à 21h.

Il sort sans se retourner. Mario referme derrière lui, reste la main appuyée sur la porte avec l’air de réfléchir, retourne à sa cuisine, saisit la bouteille de vin. Son visage s’est fermé.

49. Int. Jour. Chambre de Mathilda
Allongée sur son lit, elle étudie. Une sonnerie de portable vient troubler sa concentration. Elle prend l’appel.

Mathilda
Mario ?

Son sourire s’évanouit à l’annonce d’une mauvaise nouvelle.

Mathilda
Bon… Non, ben ça fait rien… Si c’est vraiment urgent…Ce sera pour une autre fois, oui… Bonne soirée.

Elle repose sur le mobile sur le lit en exprimant un : « Fais chier ! »

50. Int. Pénombre. Appartement de Mario. Sa chambre
Il pose sa mallette sur son lit et l’ouvre. Un arsenal s’offre à notre vue. Il en sort deux pistolets mitrailleurs 9mm, met les chargeurs. Clac ! Torse nu, il attache une ceinture de munitions autour de lui. Il enfile une espèce de holster géant où il range ses pétoires.

51. Ext. Jour. L’immeuble de Mario.
Une voiture stoppe de l’autre côté de la rue.
52. Int. Jour. Voiture
Rachel est au volant. Mathilda se trouve à ses côtés.

Rachel
(se tourne vers son amie) Et maintenant ? T’as prévu quoi ? On fracture son appart et on met tout à sac jusqu’à trouver un indice probant ? J’sais pas, un string…

Mathilda
(avec agacement) Tu y es pas… C’est autre chose.

Rachel
Tu sais quoi ? Si ça se trouve, ton mec il est marié.

Mathilda
Je l’aurais vu s’il avait une alliance.

Rachel
Ca se retire une alliance… C’est un truc vieux comme le monde. Sa femme était partie (en l’imitant) Chéri, je rentre plus tôt que prévu ! Du coup, tout embarrassé qu’il est, il est obligé de te reporter.

Mathilda (en regardant vers l’immeuble)
C’est lui !

Elle s’aplatit sur le siège pour être invisible. Depuis la bagnole, nous voyons Mario attendre devant l’entrée du bâtiment, sa mallette à la main.

Rachel
Va le voir.

Mathilda (toujours aplatie)
Non. T’es folle !

53. Ext. Immeuble.
Une Chrysler arrive de la droite et stoppe à sa hauteur. Mario monte côté passager. La Chrysler redémarre.

54. Int. Voiture.

Rachel
Il vient de monter dans une grosse berline. Elle est passée devant nous.

Mathilda (en se redressant)
On les suit !

Rachel
T’es sérieuse ?

Mathilda
(excitée) Oui. Suis la voiture!… Vite, on va la perdre !

Rachel
(en enclenchant le contact et passant la première) Oui ben la prochaine fois que tu voudras filer quelqu’un, t’engageras un privé… Avec ma voiture en plus, t’es chiée !

Mathilda
Il aurait reconnu la mienne.

Elle enfile des lunettes noires et une casquette rouge, visière tournée vers l’arrière.

55. Int. Voiture de Gomez
Mario et son binôme gardent un silence concentré à l’intérieur de l’habitacle. La berline longe une artère de Manhattan encore très fréquentée à cette heure. Une heure renseignée par le tableau de bord : 21h04. S’il ne fait pas encore nuit, le ciel commence à se parer des premières couleurs du crépuscule.
Gomez, un chewing-gum à la bouche, insère un CD dans le lecteur de l’autoradio. C’est un album de Blue Oyster Cult. Il avance jusqu’à la piste 6. Démarre alors un morceau intitulé : Vengeance.

56. Int. Voiture de Rachel
Dans le flot de véhicules, la conductrice s’efforce de ne pas perdre de vue la Chrysler de Gomez.

Mathilda
Accélère, on est en train de les perdre !

Rachel
Oui ben je fais ce que je peux !

Elle écrase l’accélérateur, change de voie au prix d’une queue de poisson à une voiture derrière. Coups de klaxon.

57. Int. Voiture de Gomez
Le CD continue de jouer Blue Oyster Cult.

Gomez (à son passager)
Blue Oyser Cult… Ça c’est du son, putain ! T’aimes ?

Mario
(hochant la tête) Ouais. J’aime.

Gomez
(baissant le son ) Mais c’est pas ce que t’écoutes… (avec un sourire) Toi c’est le jazz… Remarque, ça m’arrive aussi d’en écouter du jazz.

Mario
(sourire sarcastique) Dans les ascenseurs ?

Gomez
Te fout pas de ma gueule ! Comment il s’appelle ce fils de pute que j’aime bien… Buble, c’est ça ?… Ouais, lui j’aime bien ce qu’il fait, ça swingue… Dommage qu’il ait du putain de sang de Rital.

Mario
Qu’est-ce que t’as contre les Ritals, connard de portos ?

S’ensuit un silence tendu. Gomez tourne plusieurs fois son visage vers Mario avant de lâcher un éclat de rire, plus inquiétant que rassurant. Il rehausse le volume du Blue Oyster Cult.

58. Ext. Jour. Sortie d’un tunnel de Manhattan
Les deux voitures s’échappent du boyau de béton.

59. Int. Jour. Voiture de Gomez
Le silence a repris ses droits à bord. Gomez, en mode radar, partage son attention entre la route et le rétroviseur. Le hard rock n’a pas endormi sa vigilance.

Gomez
On est suivi.

Mario zyeute à son tour dans le rétro.

Gomez
La Nissan rouge, à dix mètres derrière nous. Ça fait 10 minutes qu’elle est derrière nous.