roman livre 2 (45)

«Est-ce que vous l’avez déjà entendu votre dieu? lui demanda Athos en se détournant de la carte routière dépliée sur le siège passager.

-Pas à proprement parler, répondit l’abbé qui  faillit ajouter, un brin spirituel. Et c’est pas avec ce boucan que je l’entendrai ! »

Il tourna le bouton du volume très loin vers la gauche, espérant ainsi décourager les deux choristes à l’arrière… En vain. Ces derniers s’en donnaient toujours à plein poumon. A son tour excédé, Sly brisa leurs velléités de chanteurs d’un franc coup de poing. Il n’y eut que Froggie à déguster, mais Barny avait compris le message.

«Il y a bien des façons d’entendre notre Seigneur, poursuivit Etienne. A travers nos évangiles, en parlant à notre prochain, ou bien en priant.

– Sur notre monde, nous ne reconnaissons qu’un seul dieu, dit Petit Prof. Pour les croyants, Goozmes est un tout qui s’incarne dans chaque élément de notre univers. Une simple feuille de papovier comme chaque rayon de l’Hélios. »

L’abbé n’avait jamais entendu parler du papovier et, pour cause, cet arbre n’existait pas sur Terre. Il apprit aussi que l’Hélios était le parent de lumière de son Soleil. Peut-être des astronomes l’avaient-elles déjà observé et baptisé autrement.

«Toi même es-tu croyant? demanda Etienne.

-Je ne suis croyant qu’en la science, déclara Athos. Elle est l’explication de toutes les choses. »

Orsie livra sa version à Petit Prof, le ton chargé  d’acrimonie :

« La vérité est dans la parole de Goozmes, pas dans vos travaux absurdes !

-Chacun a son approche de la vérité, intervint le curé, souhaitant clore une question sujette à polémique d’un côté comme de l’autre de l’univers. »

Le débat laissait indifférents le reste des passagers, notamment Spikey, la tête passée par une vitre arrière ouverte, la truffe au vent. L’idée lui avait été inspirée par un Bouledogue en voiture, rencontré dans l’autre sens. L’air brassé par la 2CV décoiffait le beau pelage jaune du Canidogue. Eclata alors la voix impérieuse, teintée d’inquiétude paternelle, de Sly.

« Sentinelle, remonte cette glace, tu vas t’enrhumer !

-Wahou ! Tu devrais essayer aussi Commandant, c’est trop le pied ! »

Le plus prompt à s’enrhumer était Jo, en proie à des éternuements morveux. Tancé pour sa façon de traiter le Bongrosum, Barny, un peu honteux, le libéra de la ceinture qui l’entortillait.

«Allez, quoi, c’était pour rire !  dit-il à son martyr qui l’accablait d’un regard vindicatif. »

Le menton levé avec mépris, ce dernier s’approcha de lui et, tranquillement, essuya son restant de morve sur sa belle fourrure brune. Barny resta quelques secondes impassible avant d’entrer dans une colère noire. «Tu vas me payer ça ! » promit-il au rongeur qu’un instinct de préservation avait fait se réfugier sur la tête d’Etienne.

« Veux-tu descendre ! somma le chauffeur, déconcentré dans sa conduite. »

Barny, résolu à régler ses comptes, bondit vers le promontoire humain. Mais Jo fût plus rapide et ses grosses pattes se refermèrent sur de l’air. Etienne, qui ne s’attendait pas à recevoir un Bizur sur le crâne, manqua de lâcher le volant. Barny, avachi sur sa tête, lui faisait comme une coiffe de poils. Son pelage tombait devant les yeux, obstruant sa visibilité. La voiture se déporta instinctivement sur la gauche. Le Bizur sauta sur le siège passager, redonnant de la vue au chauffeur lequel dévia in extremis sa trajectoire. Le fossé n’était pas passé loin.

« Enfin ça ne va pas ! explosa Etienne. Maudites bestioles, vous voulez me faire faire un accident ! »

La soudaine embardée de la 2CV intrigua une paire de motards de la maréchaussée que le hasard influencé par les dernières statistiques de la sécurité routière, avait fait se poster une centaine de mètres plus loin. Le chauffeur avait-il été saisi d’un court malaise ? A la vue des gendarmes, l’abbé tenta de reprendre une conduite consciencieuse, mais le mal était fait. Signe lui fut fait de s’arrêter.

3

     Peu avant 15h, deux policiers municipaux armés d’un lasso et d’un filet, sonnèrent à l’appartement de madame Pinson. Malgré leur insistance, la porte resta close. Voilà qui était bizarre, il s’agissait pourtant bien de l’adresse donnée au téléphone !  «Elle est toujours chez elle le dimanche, leur assura sa voisine de palier dont le regard se voila d’inquiétude. Ce n’est pas normal qu’elle ne réponde pas. » Décision fut prise d’appeler un serrurier qui crocheta la serrure. Une fois entrés, les agents découvrirent la résidente étendue, inerte, sur son lit. A leur grand soulagement, elle vivait toujours, simplement assommée par une dose corsée de somnifère. Madame Pinson fut transportée à l’hôpital pour observation, cependant que les policiers repartaient écrire leur rapport.

Une question se posait : la vieille dame avait-elle consommé son cachet avant ou après son coup de fil ? Certains somnifères pouvaient générer des effets indésirables, dans certains cas des hallucinations. La vieille dame avait pu se fabriquer les soi-disantes « bestioles » introduites chez elles. Le brigadier-chef Laurent Duroc, espérait y voir un peu plus clair à son réveil, priant pour qu’un scénario panique ne soit pas en train de s’écrire. Deux mois plus tôt, le poste avait subi une invasion de puces. Il avait fallu procéder à une désinsectisation complète. Le gradé s’était alors demandé quel prochain fléau leur tomberait dessus. Son face-à-face avec les indésirables poilus de la rue Chauvigny lui en avait donné une réjouissante idée. Il suffisait de remplacer l’antenne de police par une ville de 30 000 habitants, et les puces par autant de peluches façonnées de la main d’un dieu enfantin.

Dans son bureau, devant une tasse de café, le brigadier cherchait à se rassurer :

«Bon, à considérer qu’il y ait d’autre de ces bestioles, qu’elles viennent d’un autre monde, il y a pas de raison qu’elles aient toutes élu domicile à Alençon. Elle n’a rien de particulier cette ville ! »

Il lui vint alors à l’esprit qu’elles étaient peut-être en mesure de se multiplier, aussi vite que les papillons sur une voiture illicitement stationnée.

«Non, ça ne se voit que dans les films, » se dit-il en lui-même pour se rassurer.

Un subalterne poussa la porte du bureau.

« Chef, il y a en bas un type de la télévision. C’est à propos de ces créatures mystérieuses.

–  Dis-lui que j’ai déjà tout dit à la presse.

-Il dit qu’il en reste d’autres et qu’il a de quoi le prouver. »

Duroc baissa les yeux vers son petit noir, avec l’air de lire dedans. Il y vit le présage que le café serait froid à son retour. Il emmena sa tasse avec lui. Deux personnes patientaient dans le petit hall. Un homme d’une quarantaine d’années, au visage râblé, aux cheveux se désolidarisant peu à peu de son crâne. Il portait une cravate rayée nouée dans les règles de l’art. A ses côtés, un jeune rouquin que l’hôtesse de l’accueil, très accorte, ne semblait pas laisser insensible. Cette dernière intercepta l’un de ses regards à la dérobée. Et au coupable de ce flagrant délit d’écoper d’un timide sourire.

L’aîné tendit sa paluche au brigadier.

« Robin Lucas, reporter pour Normandie TV. Et voici Samuel, mon caméraman suppléant. L’autre est retenu à l’aérodrome du coin, par une faune susceptible, je crois, de vous intéresser. Votre temps est précieux, le mien aussi, allons à l’essentiel. »

L’essentiel tenait dans une bande vidéo de deux minutes que Duroc consentit à visionner sur le seul téléviseur du poste de police. Tremblante, mal cadrée, l’image portait les stigmates d’un tournage en catimini. S’il ne s’était pas déjà trouvé en présence de Goozmes, le brigadier-chef eût cru sans hésiter à une supercherie. La grenouille qui promenait sa silhouette dégingandée, en arrière plan, près du planeur-soucoupe, lui rappelait le spécimen capturé rue de Chauvigny.  L’ourson et le chien lui étaient tout aussi familiers. Combien existait-il de ces créatures sur le territoire de la commune ? Sur l’ensemble de la planète? L’homme ne descendait peut-être pas du singe mais il y avait à parier que ces peluches, elles, descendaient d’un vaisseau spatial. A la science d’en chercher la preuve, sa mission à lui était de protéger la population. Il n’eût pas su dire si elle était vraiment menacée par ces bestioles, toutefois il était certain d’une chose : rendu publique, cette vidéo pouvait allumer l’hystérie dans le pays si ce n’est ailleurs dans le monde.

« Vous n’allez pas faire diffuser ça ! espéra le brigadier-chef.

-Je veux, oui ! Le public a le droit de connaître le visage de ces créatures. »

Duroc pointa un index fébrile vers le reporter.

« Non mais vous avez pensé à l’impact !  Ça va être du pain béni pour une palanquée d’illuminés qui vont répandre leurs théories aux quatre vents ! Les gens vont céder à une panique irrationnelle ! »

Lucas lui répondit avec emphase.

– Très bien, alors allez-y, prenez cette cassette et brûlez-là puisque vous la jugez si dangereuse pour l’ordre public ! Mais si ces bébêtes s’en prennent à mon caméraman à l’aérodrome, ou que des hordes entières de leurs congénères se mettent à envahir les rues, vous expliquerez pourquoi vous avez refusé de lever le petit doigt, bien qu’au courant ! »

BREF j’ai voulu braquer ma banque

Bref, ce matin là, mon banquier m’a réveillé. Il a dit:

«C’est votre banquier. Il faut que je vous voie. Vous êtes à découvert.

J’étais dans le coltar mais surtout dans la merde. J’ai demandé : de beaucoup ?

Il a dit : Venez à 10h à l’agence. On va réfléchir à une solution »

Il a raccroché. J’ai dit plein de fois putain. Je me suis vu interdit bancaire, expulsé, pendre ma prochaine crémaillère sous les ponts.Je me suis vu me pendre… J’ai réfléchi… Non j’ai  pas réfléchi, j’ai voulu faire un truc interdit. J’avais un pistolet à eau. Je l’ai pris. Il crachait de l’eau. Il me restait à faire cracher ma banque. J’ai trouvé une vieille cagoule de montagne. Je me suis dit que je glissais sur une mauvaise pente. »

Je suis quand même sorti. Y avait un SDF en bas de chez moi. Je crois qu’il m’a dit: « A bientôt ! » puis il a ricané.

Je suis rentré, j’avais pas mis ma cagoule. Je me suis dit: Le con! Je suis ressorti, je l’ai enfilé, je suis re-rentré. J’ai dit comme dans les films : « Personne ne bouge ! » Y avait un mec cagoulé au guichet en train de se faire remplir des sacs. Il s’est retourné, je l’ai regardé, il m’a regardé, il m’a dit : « Casse-toi, tu vois pas que c’est pris ! » J’ai dit : «Mais c’est mon hold up !» Il a dit : « Fallait arriver plus tôt, connard ! » J’ai braqué mon gun, il a braqué le sien. Je me suis rappelé que le mien était à eau. Il l’a bien vu, il m’a dit : « Pauv’ clown, c’est un faux! » J’ai dit : Le tien aussi ! » Mais j’en savais rien. Il a vu que j’en savais rien. Il a vu que j’avais vu qu’il avait vu. Il s’est énervé. Il a dit : « Barre toi ou je te fume ! » Je l’ai joué stratégie, je me suis servi de ma tête: « On s’associe? 50/50 ? »  Il s’est aussi servi de la sienne, il m’a mis un coup de boule avant de partir avec les sacs. Je suis tombé, je me suis évanoui. A mon réveil, j’étais à l’arrière d’une voiture entre deux flics. Bref, j’ai voulu braquer ma banque.

NB: Bref, j’ai essayé d’écrire un épisode de Bref. Et c’est… pas évident! Pour celles et ceux qui ne connaissent pas ce format court (1mn 30) diffusé dans le Grand Journal de Canal+, vous pouvez visionner les épisodes sur le site de Canal.