Dernière mise à jour

La Peur est à l’honneur de la Nuit de la Lecture en janvier 2023. Il a été proposé aux membres de notre atelier d’écriture d’inventer une histoire à faire dresser les cheveux sur la tête, à faire pâlir la nuit, enfin bref à mettre des frissons Voici ce que ce thème m’a inspiré. N’hésitez pas à me donner votre avis.

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Pourquoi s’être installée ici ?

Quand on lui posait la question, Johanna répondait avoir été séduite par la qualité de vie. A la Ferrière Béchet, l’air était plus sain. La pure vérité. Seulement personne n’imaginait à quel point elle respirait mieux ici. Pas même Christelle, sa nouvelle collègue et amie, qui l’avait convié ce soir à dîner dans sa maison, en bordure d’une forêt. A l’entendre, un havre de paix sur tous les plans. Mais pour arriver à bon port, mieux valait en posséder un de plan. Johanna hésitait entre celui tout froissé dans sa boite à gants ou son GPS au sens de l’orientation très approximatif. Trois précautions valant mieux que deux, elle décida d’imprimer l’itinéraire sur internet. Son hôte lui avait recommandé de prendre la direction Le Bouillon.

D’ici à trouver ton chemin, le Bouillon aura refroidi et la soupe avec, lui disait une petite voix sarcastique.

Heureusement, la jeune femme avait encore deux heures devant elle ainsi que Google ouvert à la page Cartographie. Temps de trajet estimé à 15 minutes selon l’état du trafic. Autrement dit si un tracteur ne se mettait pas sur sa route.

Tiens, je vais voir à quoi ressemble ce petit paradis, se dit Johanna arrivée avant d’être partie. Preuve en deux clics qu’une voiture allait moins vite qu’une souris, c’est comme si on y était, avec la visualisation street view.

Enfin, pas tout à fait.

Car l’habitation en photo envoyait moyennement du rêve. Son maquillage à la suie semblait l’œuvre d’un enfant en délicatesse avec les limites. Des traces noires un peu partout y compris autour des fenêtres vieillottes, leur imprimant un coquart. Quatre ouvertures donnaient sur la rue, dont deux à l’étage pourvues d’une rambarde toute rouillée. Le temps ne concédait aucune faveur au toit. Il n’effaçait pas l’ardoise, il la couvrait de mousse. Sur le pignon, une dentelle de trèfles dont l’un, peut-être, portait bonheur. La porte d’entrée en bois verni tranchait avec la blancheur fuligineuse du crépi. Si l’habitation ne payait pas de mine, d’aucuns dans le voisinage disaient que Johanna l’avait encore plus pâle à son emménagement.

Car oui, ce palais c’était la sien. Pas de quoi tomber en arrêt devant, et pourtant, le curseur street view faisait une fixation L’internaute avait beau le repositionner à l’endroit voulu, le voyageur virtuel revenait obstinément au point de départ. Quelque chose ne tournait plus rond, à commencer par le petit bonhomme qui, d’ordinaire, voyait les choses sous tous les angles. Il regardait fixement vers la maison, comme guettant des ombres derrière le carreau.

Sûrement un bug, pensa l’internaute. Une seule solution, contrôle alt sup.

L’ouverture de Guillaume Tell par Rossini, l’arrêta dans son action radicale. Qui pouvait bien trompeter à cette heure ? Peut-être Christelle, se dit-elle en regardant son smartphone. Appel en inconnu.

– Allo ?

Fin de la communication. Sans doute un faux numéro. Ses yeux revenus sur la page toujours ouverte crurent à une nouvelle erreur. Et pas des moindres. Rétrospectivement, la plus grande de toute sa vie. Car devant la porte il y avait maintenant un homme. Non, c’est impossible, se dit-elle en zoomant.

L’image, grossie au maximum, rendit son invraisemblable verdict. Sans appel malgré la qualité des pixels. Une autre résolution, salutaire, avait conduit Johanna jusque dans l’Orne où IL n’aurait pas idée de la retrouver. Or, voilà que son ennemi intime prenait la pose sur le perron. Son sang se glaça. Aucun doute, ce visage souriant, elle le connaissait. Ou tout du moins le croyait-elle avant d’en découvrir la face cachée. Depuis, c’est de lui qu’il lui fallait se cacher.

L’homme présentait bonne figure. L’air d’une personne bien élevée qui frottait toujours ses pieds sur le palier avant d’entrer. Or, Dieu sait pourtant si ce jaloux pathologique en avait franchi un, de pallier, un soir avec elle ! Apparemment l’injonction d’éloignement par le juge passait au-dessus du géant internet bien connu pour abolir les distances. La jeune trentenaire prit une lente et profonde inspiration. Elle s’efforça de regarder cette incrustation insensée sous un autre angle, uniquement rationnel. Après tout ce n’était jamais qu’une photo prise, d’après la date en haut à droite, en janvier 2023. Soit pas plus tard que ce mois-ci.

Soudain, retentit le carillon de la porte d’entrée. Son corps tout entier tressaillit pareil à un téléphone resté sur vibreur. Sa bouche ne laissa échapper aucun son, comme si dans les spasmes, personne ne vous entendait crier.

Gardons notre calme, se raisonna Johanna en allant voir à la fenêtre. C’était peut-être simplement la voisine. Une vieille dame bienveillante à qui elle rendait quelques menus services.

Sa chambre à l’étage donnait sur des maisons de ville restées dans leur jus. Les façades grisâtres, sujettes aux démangeaisons, avaient perdu des plaques d’enduit. Ici et là la pierre calcaire apparaissait à nu. Une fois la semaine, la place du marché tout proche s’animait, un tant soi peu, de bonnes intentions. Est-ce que c’était aussi le cas du visiteur ?

Johanna se pencha à la rambarde.

Personne en bas.

Son palpitant sonnait toujours le tocsin, plus insistant que l’individu déjà reparti. Restée fermée, la porte ouvrait d’un autre côté à toutes les hypothèses dont celles d’une visite de son ex Non, ça ne pouvait être lui, se rassura-t-elle. IL n’aurait pas lâché l’affaire aussi vite. Mais alors pourquoi se sentait-elle suffoquée, oppressée par les barreaux de sa cage thoracique ? Une brique lestait ses entrailles, comme un vestige du mur que jadis cet homme exclusif et sanguin avait érigé tout autour de leur couple.

Tout à coup, elle voulut fuir cette maison, reprendre un peu d’oxygène chez Christelle. Une fenêtre rendait l’atmosphère irrespirable, et ce n’était pas du PVC mais du PC. Ses yeux se posèrent à nouveau sur l’écran. Surprise ! Un coup de blanco avait été passé devant la façade d’habitation noircie. Exit, son photogénique bourreau. Une tache en moins dans un sens. J’ai dû rêver, espérait-elle.

Sauf qu’en regardant bien…

Sa raison, jusque là solidaire, ne répondit pas de la soudaine apparition en arrière plan. Un visage l’observait désormais depuis une des vitres au rez-de-chaussée. Le même, encore et toujours, cette fois tordu en une grimace glaçante. Il était loin le temps des dîners aux chandelles avec cet homo-rictus. Or, à cet instant, elle se sentit devenir une bougie, déjà consumée, liquéfiée d’effroi.

C’est une hallucination, le stress me joue des tours !

Mais autant se rendre à l’évidence, elle avait cassé l’emprise conjugale, et ce dingue était là, tout près, bien décidé à lui en faire payer le bris. A commencer par un carreau en bas. Aucun doute, ça venait du salon.

Johanna avança lentement vers l’escalier en colimaçon, les nerfs plus tendus que la peau du tam-tam en roue libre dans sa poitrine. Un fracas de meuble renversé fit sursauter son reflet sur la droite. Le miroir au mur saisit furtivement sa terreur en passe d’aspirer les dernières couleurs d’un visage marqué d’un passé toujours présent..

– Qui est là ?

Aucune réponse. Quelqu’un ou quelque chose se déplaçait, lentement mais sûrement, sous ses pieds.

– Joaquim, si c’est toi, sors immédiatement avant que j’appelle la police !

Vacillante, sa voix trébucha en bout de course. Il en fallait plus pour que l’intrus dégringolât aussi. L’escalier en bois craquait, marche après marche, sous ses pas lourds et déterminés. L’indicible peur montait, insidieuse, tétanisante. Dans un regain d’adrénaline, Johanna se retrancha à l’intérieur de sa chambre. Ou était la clé ? Pas le temps de la chercher. Elle plaça une chaise contre la poignée de la porte. Vite, appeler du secours ! Mais sa panique fébrile s’en mêla Par deux fois, son portable lui échappa des mains comme le savon que ce salaud voulait très certainement lui passer.

– Vous avez demandé la police, ne quittez pas…

Trop tard ma chérie, c’est déjà fait, et tu vas le regretter, décréta une petite voix intérieure.

Cette locataire, que d’aucuns pensaient sans histoire, était trop affairée pour regarder son écran d’ordinateur toujours ouvert sur la photo de sa maison. Elle aurait vu alors une jeune femme aux cheveux blonds détachés crier à l’aide depuis une des fenêtres du premier étage. On discernait une silhouette juste derrière elle. Street View janvier 2023.

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