C’est écrit dans la prophétie

1- Le lion (d’après vaguement Ésope)

Un vieillard craintif avait un fils unique plein de courage et passionné par la chasse ; il le vit en songe périr sous la griffe d’un lion. Craignant que le songe ne fût véritable et ne se réalisât, il lui interdit de prendre part aux safaris.

Le fils ne devait plus s’éloigner de la grande maison coloniale dont chaque mur racontait les exploits de ses aïeux. Des tableaux à foison où le plus animal des deux n’était peut-être pas celui qu’on croit. Il restait encore une place à côté des toilettes, où le fils comptait accrocher un trophée. Seulement son père ne l’entendait pas de cette oreille, et guère mieux de l’autre vu son grand âge.

– C’est pour ton bien, lui répétait ce dernier, inflexible. Et ça c’est pour ton bain, ajouta-t-il en lui désignant une superbe cuve sanitaire montée sur des pattes de lion en ivoire. Mes servantes t’en feront couler un et te feront oublier la chasse.

– J’t’en foutrais des bains et de tes foutus rêves prémonitoires, fulmina le jeune homme. Tout est lustré ici, mais moi c’que je veux c’est m’illustrer, tu m’entends !

Dans son énervement, il envoya son pied sur l’une des pattes de lion, la dernière qu’il aurait l’occasion de toucher. Car son gros orteil goûta très mal le contact fracassant avec la paluche féline qui n’avait pas à rugir de la comparaison avec la vraie. L’impulsif rugit lui aussi, de douleur.

Mal soignée, la blessure de son orteil s’infecta. Douleur effroyable qui précéda l’agonie puisque le mal se propagea à tout le pied. Les médecins, à force de tergiverser, décidèrent trop tard d’une amputation. Le malheureux mourut en quelques jours d’une gangrène généralisée, terrassé par un lion de salle de bain.

2- La sandale (d’à peu près la Toison d’Or)

Le roi Pelias avait reçu du chêne parlant de Dodone la révélation suivante : il serait renversé du trône par un homme chaussé d’une seule sandale. En vue de cette menaçante prédiction, il ordonna à tous ses sujets de marcher pieds nus. Personne, pas même ses ses plus fidèles conseillers, ne devait contrevenir à la règle, sous peine d’être pendu en place publique. Autant dire que les cordonniers déposèrent le bilan les uns après les autres.

Un matin, alors qu’il roupillait sur son trône, un garde le réveilla.

– Sire, un marchand désire vous voir. C’est important, dit-il.

– Très bien, faites-le introduire.

Le colporteur entra et le souverain aussi, dans une colère noire en le voyant affublé de deux chaussures différentes.

-Misérable! tonna-t-il. Tu oses te présenter chaussé devant moi ! Je vais te faire exécuter ainsi que le soldat qui n’a pas ouvert les yeux !

-Mais Sire, se justifia le visiteur, il n’est pas en faute, pas plus que moi. L’arrêté royal interdit de porter la moindre paire de chaussures. Or, regardez bien, dit-il en lui désignant ses arpions. Je me déplace avec deux paires.

En effet, son pied droit était affublé d’une botte fourrée et son pied gauche d’une spartiate.

– Tu joues sur les mots, paltoquet ! vociféra le monarque. Gardes, emparez-vous de lui.

Ces derniers en furent bien incapables, car le marchand était doté d’une botte de sept lieues. En un bond magistral il se transporta sur le trône, renversa le régnant avant de le poignarder mortellement.

-Ça, c’est pour mon fils que tu as fait pendre pour avoir volé une pomme ! lui glissa-t-il en dédicace.

La prophétie disait que Pélias serait renversé par un homme chaussé d’une seule sandale. Elle n’avait pas précisé qu’il porterait aussi une botte magique.

2 réflexions sur “C’est écrit dans la prophétie

    1. Hello Mo. Crois-tu aux rêves prémonitoires et que nul n’échappe à son destin ? Merci pour ton retour de lecture.

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